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5 décembre 2010

Sphères (épisode 4, partie2) par Paul LILIN

« Mes Bouboules vont avoir besoin de repos et de beaucoup de soleil, maintenant, fit le combattant improvisé. Elles ont vidé toutes leurs réserves. »

Il se tourna vers le chef : « T’es encore là, toi ? On va faire connaissance alors. C’est quoi ton nom ? »

Le petit homme n’essaya même pas de prétendre qu’ils ne sauraient rien.

- J’m’appelle… Enzo Legran.

- Tu portes mal ton nom, nota Andrik. Bon. (Il se pencha vers lui. Enzo lui retourna son regard, sans animosité, plutôt comme s’il avait attendu ce moment avec espoir.) J’ai trois questions. Je te les pose ?

- Moui ?

- Qu’est-ce que tu voulais à nos Sphères ? Qui étaient ces gens ? Qu’as-tu utilisé pour bloquer nos Sphères ?

- Vos Bouboules, répondit-il avec flegme, je voulais vous les piquer et les revendre, ou les utiliser pour mes machines.

- Tes machines ?

- J’suis ingénieur. Enfin j’étais. J’ai quitté le GD n°6 il y a quelques années.

- C’est quoi le GD ? demanda Nath.

- Groupe Dissident, répondit Enzo Legran. Le 6°, bourré d’idéalistes sans ambition. On bossait sur des moyens d’utiliser les Sphères Inverses. Moi, je travaillais surtout sur les Bouboules alliées aux technologies. (Il regarda les véhicules). Mais on n’en trouve pas beaucoup, de nouvelles technologies, par ici.

- Groupe dissident de quoi, exactement ? demanda Andrik qui n’était pas disposé à laisser quelqu’un en savoir plus que lui.

- Bin, de l’Organisation, dit Enzo qui paraissait résolument prêt à collaborer. Des Technologues et autres Ingéniomaîtres. De ces gentlemen qui emploient des brutes.

- Voilà autre chose !

- Le résumé de tout ce que j’ai pu lire et apprendre sur l’Organisation, qui remplirait aisément une encyclopédie, c’est qu’ils veulent conquérir le monde.

- Tiens, quelle originalité… marmonna Nath.

- … à leur façon, derrière le dos des gens, poursuivit Enzo, imperturbable. En utilisant leurs bidules et leurs machins qui fonctionnent avec des trucs. Mais ce programme a pas convenu à tout l’monde, alors certains de nous on est partis et on a fondé les GD.

- Mais c’était pas dans les termes du contrat ? Quand on devient un méchant, y’a bien une clause en note de bas de page qui spécifie qu’on devra participer à la conquête du monde, non ?

- Ben, je savais pas qu’il y avait un contrat à signer quand on entre dans un club de pétanque. La prochaine fois, je vérifierai les antécédents psychiatriques du futur président… Un fin stratège, c’est sûr. Ça faisait trois ans que je jouais aux Bouboules avec mes potes quand le président de l’époque a trouvé une bombe dans sa chaussette droite. Il a explosé et la politique de l’Organisation aussi… Quelques semaines après, on était nombreux à s’barrer. Au début, on était à peu près unis…

 

Un des brigands assommé tenta de se lever, (peut-être avait-il son mot à dire ?) mais il retomba en écrasant à moitié son camarade le plus proche dans l’indifférence générale.

- Mais ensuite, reprit Enzo, il faut croire que nos sous-vêtements aussi étaient piégées, parce que le premier GD a pété pour des raisons idiotes, et ça a fait trois grands groupes : ceux qui arrêtaient tout, ceux qui utilisant les Bouboules Inverses et ceux qui utilisaient la technologie, mais différemment. Et pis ça a encore pété, si bien que quand j’suis parti y’avait 12 GD qui s’amusaient comme des fous à s’attaquer et à s’allier, quand y z’étaient pas occupés à fonder d’nouveaux GD, si bien que y’en avait deux qui disaient exactement les mêmes choses, dans l’fond, mais qui pouvaient pas se sentir. L’Organisation, elle, devenait de plus en plus puante et la haine qu’on lui portait tous était la dernière chose qui nous unifiait.

- Et toi dans tout ça ? questionna Nath.

- Moi, j’voulais faire fortune. Mais j’ai pas choisi l’bon groupe. Ils utilisaient les Bouboules inverses, mais moi, ça m’passionne pas, les trucs qui te pètent à la figure si tu l’approches trop de l’amulette de mémé, dit-il en jetant un œil aux Sphères d’Andrik. Mauvais pour le commerce. C’était le GD n°4. Alors Je suis parti pour le GD n°6, parce-que les autres m’avaient en froid vu qu’y n’aiment pas trop ceux qui changent trop d’avis. Mais le n°6, c’était que des idéalistes, alors y m’ont accueilli. Eux, ils étaient un peu paumés avec leurs Bouboules basiques, mais c’est ce qui me plaît le plus en fait. C’est ce qui à le moins de chance de te péter entre les doigts. Donc bon, j’ai un peu travaillé avec et sans eux, en squattant leurs machines et autres instrumentations. J’ai fabriqué pas mal de trucs : un coffret isoloir pour Inverses, ces véhicules, qu’j’ai appelés Déserteurs, pasque y’a pas mieux dans la nature et qu’y permettent d’allez plus vite que toutes les voitures qu’tu voudras, tant que t’es pas trop regardant niveau sécurité et prix. J’ai aussi fabriqué des trucs plus basiques, comme des…

- Ok ok, l’interrompit Andrik. Mais dis-nous en plus sur les GD. Ils veulent quoi, au final ?

- Ben, s’faire du fric ou améliorer la vie des gens, ça dépend.

- Ok. Ceux qui veulent améliorer la vie des gens, pourquoi on n’en entend pas parler ? Ils sont intégrés à la vie citoyenne ?

- Quéqu’céqu’ça ? De toute façon, y’a rien qui filtre depuis Valua, et tout ce p’tit monde est confiné là-bas. Et si les GD se font remarquer, l’Organisation et le Gouvernement, qui marchent main dans la main, leur tombent dessus. Mais il reste encore plein de clubs de pétanques.

- Des clubs ? Ils sont où ? demanda Nath un peu à la traîne.

- Ben, surtout autour d’la capitale, jamais en dehors de l’île. Le Gouvernement ne prône pas vraiment l’émigration, pour l’instant en tout cas : y’a que des gens triés sur le volet qui sont autorisés à aller répandre la bonne parole sur le continent. Nos élites préparent la conquête du monde dans l’secret – oups.

- Ca vous a échappé, on dirait… remarqua Nath. Mais pourquoi vous nous racontez tout ça ?

- Ben, vous avez l’air de gens cools, et vous êtes enfin parvenus à me mettre en échec, c’qui n’est pas plus mal pour moi. Maintenant, j’peux arrêter de jouer les matadors pour un groupe d’hurluberlus qui m’empêchait d’partir.

L’un des hurluberlus en question se réveilla, mais il rejoignit vite ses compagnons dans leurs rêves en lâchant un « Aïe » dépité quand son front cabossé se rappela à lui.

- Et puis je vois que vous aussi z’êtes un utilisateur des Bouboules (Il lorgna le badge de l’Association Anti-Chimique accroché au pull d’Andrik). Les nouvelles technologies prônées par l’Organisation utilisent tellement de trucs qui devraient pas exister dans la nature qu’on en perd le compte. C’est encore bien pire que les Inverses, j’vous dis.

 Le professeur acquiesça.

- Vous avez entendu parler de c’nouveau truc qu’y z’ont découverts par chez moi ? continua Enzo. Ils appellent ça du « pétrole ». En latin, ça veut dire « huile de pierre », vous imaginez ? Quels plats veulent-ils graisser avec leur saleté ? C’est noir, visqueux, et ça vous jaillit du sol à la gueule plus vite que le temps nécessaire à un de ces scientifiques pour avoir une idée bizarre. Ils veulent le brûler, je crois. Quant à savoir pourquoi… Pt’être pour que ça pue moins ? Ou alors y viennent juste d’trouver un moyen d’polluer les villes encore plus vite qu’avant ?

Andrik commençait à trouver le personnage intéressant. Il décida de continuer son interrogatoire.

- Bon, c’est pas tout ça, dit-il. Mais on doit rejoindre Murlay-sur-Monts avant la tombée de la nuit. Vous pouvez répondre aux autres questions ? Pour commencer, qui étaient ceux qui vous accompagnaient ?

- Ah, oui. Les brigands, c’étaient d’anciennes p’tites frappes qui m’ont agressé quand je suis sorti d’mon île, y’a quelques années. C’étaient de – très – anciens mineurs et autres chercheurs d’Bouboules de la rivière Noname, mais ça fait longtemps qu’ils ont échangé la pioche contre le gourdin, maintenant c’est plus un prétexte pour avoir l’air honorables, s’donner une bonne cause et jouer les justiciers.

- Mais pourquoi se prétendre ancien mineur permettrait de justifier le brigandage ? intervint Nath qui était content d’avoir réussi à caser ce mot, qu’il ne voyait d’ordinaire que dans ses livres.

- Ben, les monts Osturiens sont très riches en Bouboules, et la Noname, qui prend sa source là-bas, en charrie. Mais des riches ont acheté des parcelles de la Noname, et des sociétés ont été fondées pour exploiter mines et fleuve. Du coup, les chercheurs de Sphères, doivent donner un tiers de leurs Bouboules à la société à laquelle appartient l’endroit maint’nant, sans r’cevoir d’aide supplémentaire. Et ça les fait rager, pasque les sociétés elles foutent rien, elles secourent même pas les blessés, et elles prennent une bonne part du butin déjà maigre. Un bon nombre d’vos Sphères doivent venir de là-bas, donc ceux qui s’rebellent considèrent comme normal de vous les voler, pour se venger.

- Ça… fit Andrik. On n’y peut pas grand-chose, c’est à ces sociétés de changer. Mais comment avez-vous bloqué nos Sphères ?

- Simple, répondit Enzo. J’ai utilisé une Inverse. Je la transporte dans un petit coffret de ma confection (il montra la petite boîte) qui l’empêche d’agir. Les Inverses ressemblent beaucoup aux Sphères dans leur mode de fonctionnement. Par contre, dès qu’on approche une Inverse de Bouboules, les capacités des deux s’amenuisent beaucoup. Celle que j’ai était pas chargée du tout, mais j’crois pas que ça change l’efficacité. Je sais pas trop ce qu’elle fait normalement.

- Elle tue toute végétation à proximité, l’informa Nath. D’ailleurs, si tu veux la reprendre, tu n’as qu’à chercher un cercle roussi d’herbe morte…

- Non, ça ira, merci. J’aimerai pas réveiller un de mes ex-compagnons, j’devrais tout recommencer… y compris la phase de castagne.

Il sortit un bout de papier et un crayon de sa poche et écrivit quelques mots.

- J’vous donne ma future adresse, enfin j’espère, si ma maison n’a pas été démolie. Si vous venez vous balader à Valua, envoyez-moi un télégramme.

- Un quoi ? demandèrent l’élève et le professeur en cœur.

- Bon, d’accord, j’marque aussi les mots compliqués… J’mets aussi mon numéro de téléphone, si vous voulez me joindre.

- Oui, oui, bien sûr, fit Andrik (qui ne connaissait pas davantage ce télémachin), en empochant le bout de papier. Bonne continuation et ne vous laissez pas aller aux facilités insidieuses de la technophilie !

- Vous voyez, dit Nath en souriant, nous aussi on peut dire des mots bizarres.

 

Et ils se séparèrent en amis.

 

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