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5 février 2011

Un jardin, par Jacqueline Chauvet-Poggi

Consigne d'écriture : la MÉTAPHORE dans le récit, où l’évolution du cadre est parallèle à celle des personnages.

Un jardin

La boite aux lettres est près du portail, assez grande pour recevoir des catalogues épais, accessible, classique, quoi. Classique comme le jardin : une haie drue taillée au carré, un chemin tout droit de gravillon blanc, quelques fleurs disposées en rond dans des cercles limités par de petits arceaux. Près du porche un rosier grimpant escalade comme il se doit un croisillon de bois peint en vert.

Un jardin bien tenu, un jardin bien pensant.

Un jardin sans charme, se dit le facteur chaque matin quand il fait sa tournée.

Elle, qui habite là, ne se pose plus la question du charme. Elle n’en manque pas pourtant, avec son chignon sage, son tailleur strict, son visage lisse. Mais pour le jardin, passé l’enthousiasme de l’installation et des premières plantations, quand tout a été bien en place, elle s’est contentée de couper les fleurs fanées, de redresser une branche, d’arracher quelques pissenlits malvenus. Le côté propre, net, ordonné la rassure et la met en confiance.

Lui, son compagnon, a créé un coin potager. Oh, pas grand-chose, quelques plants de tomates soigneusement tuteurés, deux pieds d’artichauts, une touffe de persil et quelques herbes aromatiques.

 Un jardin de gens qui n’ont pas le temps, en quelque sorte. Ainsi pense le facteur qui finit par connaître le quartier, ses habitants, leurs manies, leurs états d’âme, rien qu’en observant de l’extérieur.

 

Par exemple il a bien vu s’installer des signes de négligence dans ce jardin.

Elle aussi en a pris conscience. La sérénité qu’elle éprouvait en y faisant un tour a laissé place à un sentiment de malaise, comme si quelque chose de triste ou de malade couvait dans l’atmosphère, menaçant même les plantes, les haies non élaguées, les feuilles recroquevillées autour des cocons blancs des parasites, la cochenille et ses dépôts de fumagine noirs sur des tiges déplumées. Dans le potager, les tomates flétries se décomposent le long des tiges, le persil est monté en graines, le thym est envahi d’herbes folles. Des outils pour sarcler ou piocher gisent éparpillés sur le sol comme abandonnés par un jardinier découragé. Elle appelle ça la déprime végétale.

Elle, dans son quotidien, continue sa trajectoire, d’une obligation à l’autre, comme une araignée tisse sa toile, mécaniquement, géométriquement. Son activité est engluée par la routine qui s’insinue et l’alourdit. Avec Lui, c’est pareil.

Elle a l’air bien triste la petite dame, se dit le facteur, avec ses cheveux ternes et son châle qui l’emmitoufle comme une mémé frileuse. Il en est lui-même mal à l’aise.

 

 Il fut encore plus profondément ému quand il vit, un jour, le jardin complètement dégradé. De négligé il était devenu saccagé. Quelque chose avait dû se produire, un orage, une rupture, un bouleversement important. Les haies n’étaient plus que bois mort. Le gravillon disparaissait sous les herbes folles. Un mauvais vent ou une mauvaise humeur avait brisé les branches du prunus devenu triste squelette. Même le rosier avait été arraché de son support et gisait au sol, froissé comme de vieilles nippes.

Le potager aussi avait disparu, à sa place un grand trou, une sorte de fosse creusée avec rage. Une pelle, plantée dans la terre remuée, semblait le point d’exclamation final d’une crise de colère.

Elle, bras croisés, campée devant l’entrée, debout dans ses bottes crottées, les cheveux dénoués tombant en désordre sur ses épaules, contemplait ce champ de bataille. Elle avait laissé libre cours à une énergie mauvaise trop longtemps contenue, la tête bourdonnante de mots de colère : couper, casser, saccager, détruire……. Maintenant elle se sentait soulagée mais son visage gardait des plis d’amertume.

Eh bien, se dit tristement le facteur, ça va pas, ça va pas du tout ! Tout de même ça ne va pas rester comme ça ! Il faudra bien qu’un jour le calme revienne !

 

Chaque jour il jette un coup d’œil en passant, bien qu’il n’y ait ces temps ci presque pas de courrier. S’il avait eu le temps, il aurait poussé le portail, serait entré redresser quelques branches, dégager un peu de feuilles mortes, arracher par-ci par-là les mauvaises herbes, essayer de convaincre le jardin de garder l’espoir.

Aussi est-il heureux quand il remarque que petit à petit quelqu’un a entrepris d’y ramener la vie. Les herbes ont été arrachées, le chemin ratissé. Les haies taillées court reprennent vigoureusement. Plus de fleurs emprisonnées par des arceaux mais de touffes de narcisses jetées ça et là sur une terre remuée et assagie où un gazon timide commence à verdir. Le rosier a survécu et forme une guirlande accueillante autour du porche. Le potager n’est plus. A sa place, sur le sol aplani, une table et quelques fauteuils appellent à la détente sous un grand parasol blanc. Elle, cheveux courts d’une jolie couleur nouvelle, dans une robe à fleurs très décolletée, expose son visage à la douceur du soleil.

 

Il est rassuré, le facteur. C’est vrai, quoi, ça fait chaud au cœur de savoir les gens heureux. Les plantes le sentent bien, vous savez, à cœur heureux jardin harmonieux.

Tiens, remarque-t-il, la boite aux lettres a été remplacée. La nouvelle est originale et rigolote, comme celles des dessins animés. Sur l’étiquette, deux noms. Nouveaux. Enfin le sien à elle n’a pas changé mais celui du monsieur est nouveau. Tant mieux, c’est ainsi que j’aime la vie.

Bonheur à deux, jardin heureux.

 

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