Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
20 février 2011

L'eau, épisodes 1 et 2, par Antonia Contreras

Piste d'écriture : ce texte a été inspiré par la consigne "présenter un personnage ou son état d'esprit à travers son environnement".

L’EAU

(A lire en écoutant les Märchenbilder pour alto et piano Op. 113 de Robert Schumann)

L’eau verte

 

I – Nicht schnell

antonia1

 

Sans presque s’en rendre compte, Ernest avait pénétré peu à peu dans l’intimité de l’eau fraîche du ruisseau. Le jeu des ombres et une fine couche d’algues visible entre les cailloux blancs teignaient l’onde claire d’un vert émeraude.

Son corps était submergé maintenant jusqu’à la poitrine, il pouvait le contempler, musclé et blanc, se détachant du fond, tel un marbre vivant.

Il éprouvait la sollicitation muette et pourtant claire de ce marbre jeune qu’il était. La beauté l’appelait à travers sa propre beauté entrevue dans le cristal mouvant.

De ce corps blanc inconnu de lui jusqu’alors, son émotion faisait surgir un autre plus gracile et plus blond. Un corps qu’il venait juste d’imaginer.

Il se laissa flotter en s’abandonnant à la fraîcheur délicieuse de la jeune rivière, qui s’offrait à lui en toute conscience, comme un être vivant.

Ce moment de connaissance intime ne fut pas long. Il sortit de l’eau et soudain eut froid ; il se dirigea rapidement vers l’autre rive, où il avait abandonné ses vêtements au soleil. Il songea au village où il venait d’arriver et désira furieusement y rencontrer l’amour.


 

L’eau blanche

 

II - Lebhaft

 

antoniaeau2



Ils étaient restés tête à tête, les autres s’étant précipités pour acheter leurs entrées. Elle le regarda en face pour la première fois, comme s’il venait d’arriver. Il pensait à de possibles choses à dire mais ne trouvait rien et le temps s’écoulait et les autres allaient bientôt revenir… Sarah se mit soudain à rire de manière presque insolente. Il ne savait toujours pas quoi dire ni que faire. Fallait-il partir lui aussi du même éclat de rire ? Une colère sourde lui monta du cœur à la tête. Il regarda dans son verre de vodka, la seule chose à ne pas faire, ça il le savait. Elle soupira et se retourna vers l’entrée comme pour dire que les autres tardaient à arriver. S’ennuyait-elle tant que ça en sa présence ? Ou était-elle aussi intimidée ? Il tenta le tout pour le tout et lui attrapa de sa main libre un poignet qu’il sentit délicat et suave, ce qui le fit tressaillir. Elle ne fit aucun geste pour s’en dégager mais partit d’un nouvel éclat de rire. Il la fixa maintenant presque avec haine. Elle s’arrêta de rire et lui sourit. Surpris il la lâcha et improvisa une question, n’importe laquelle. Une question ridicule. Il lui demanda si elle se plaisait au village. Il lui posa cette ridicule question à elle dont la langue mordante n’avait pas cessé de taquiner les uns et les autres pendant toute la soirée, surtout les garçons. Le sourire de Sarah s’estompa et elle regarda sa montre. Il but une gorgée et prit la décision héroïque de lui dire qu’il était fou d’elle. Mais en ce moment précis les autres arrivèrent. Elle courut auprès de Jacques, le brillant, le séducteur. Il comprit que ç’en était fait de lui. Plus tard dans la soirée, alors qu’il dansait avec la petite blonde gracile, Sarah envoya à Ernest un regard de feu. Et si c’était vrai ? Ernest tremblait de tout son corps et ne pouvant cacher son trouble à sa partenaire il sortit de la salle. En passant près du couple qu’elle formait avec son danseur il lui sembla qu’ils parlaient de lui en plaisantant. Il entendit une bribe de conversation. Jacques disait à Sarah quelque chose comme « je t’ai dit de ne pas mettre cette robe blanche tu fais souffrir tous les gars du village et même les... » Il imagina que le dernier mot, qu’il n’avait pas compris était « les nouveaux-venus » et que le nouveau-venu c’était lui. Il alla boire une deuxième vodka au bar. Assis à une table écartée, il regarda le fond de son verre. La vodka avait perdu sa transparence à cause des glaçons. C’était comme une eau blanche. Il se dit que vodka en russe ça signifie petite eau. Petite eau blanche. Petite main blanche de Sarah. Des glaçons dans son cœur à lui, brûlant. Ceux du verre étaient en train de fondre, comme la banquise. Maintenant c’étaient des grands ours polaires ivres, comme lui. Petite eau de feu et de glace.

Il sortit avec son verre à la main, à l’air frais de la nuit. Il avait très mal à la tête. Il transpirait. Il regarda le fond de son verre vide. Il le déposa dans un coin et se dirigea machinalement vers la rivière, son coin à lui.

Suite, épisodes 3 et 4

Antonia Contreras, février 2011

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité