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9 avril 2011

Renaissance, par Louis Portejoie

Renaissance

 

                     Tayeb se laisse pousser au fond de la rame du métro par la foule . 18 h : l’heure du pointe . Il faut qu’il dégage un peu sa main droite en jouant des coudes , tout à l’heure il va devoir déclencher le détonateur de la ceinture d’explosifs qui  lui emprisonne les reins . Ca va faire un carnage !

                     Son chef le lui a  bien précisé :  il faut un maximum de victimes , ll faut que le monde entier prenne conscience du  désespoir de tout un peuple. Tayeb le sait : son action ne sera pas vaine , elle continuera ce qui plus tard entrera dans l’histoire , ses enfants et petits enfants vivront libres et le remercieront , honoreront sa mémoire  peut être …Tayeb se sent comme planant quelque part au dessus des hommes , curieusement pas stressé , plutôt étrangement calme , peut être est ce la certitude tranquille de savoir qu’il va mourir tout à l’heure et de savoir pourquoi , alors que tant d’autres meurent pour rien !

                    Les portes s’ouvrent , déversent le flot des travailleurs quotidiens qui courent vers leur maison , leur famille , leurs enfants .. Il en a deux enfants : Tayeb . Enfin, il en avait deux ! Tout à l’heure , quand tout  sera fini , ils comprendront … grandiront , deviendront adultes ,auront un avenir, et leur descendance aussi , et les enfants de leurs enfants aussi , jusqu’à la fin des temps . Alors que coûte une seconde explosive a l’échelle de l’éternité ?

                    Une femme semble perdue , empêtrée au milieu de ses valises , et surveille avec angoisse le panneau indicateur des stations : elle va sûrement à la gare , ou à l’aéroport . Vers le soleil , de l’autre coté de la méditerranée peut être ! sur cette plage ou cet été encore il jouait en famille , ou ils auraient pu être tellement heureux !

                    Les mains se chevauchent sur les  barres métalliques verticales , un homme , indifférent au chaloupement du wagon , lit imperturbablement son  journal . Tout à l’heure il descendra machinalement comme chaque soir à la bonne station , et marchera comme un robot sur ce trajet qu’il connaît par cœur : sans doute un fonctionnaire qui recommencera demain le même chemin en sens inverse .

                      Demain ! … c’est pas demain . C’est maintenant , encore une minute ! Tayeb glisse sa main droite discrètement vers le détonateur , une fillette le regarde fixement , quatre ans peut être ! Elle chuchote quelque chose à sa maman en le montrant du doigt , la dame répond que ce n’est pas  poli de montrer quelqu’un du doigt et s’excuse . Mais la fillette darde ses yeux dans les siens , le fouille , l’investigue , l’interroge , l’interpelle !

                     Elle ne sait pas ce qu’elle sait mais elle sait !

                    Tayeb sent sa main s’écarter de la ceinture d’explosifs, puis il se retrouve stupidement dehors, sur le quai . Le flot  des voyageurs l’emporte et il  monte avec eux , vers la lumière . Le soleil lui brûle les yeux , quelque chose l’appelle , comme une renaissance , comme ce jour où il a pris précautionneusement son bébé nouveau né dans ses bras . Il ressent une joie  immense , s’étonne puis comprend :

Aujourd’hui il a mis au monde une petite fille de quatre ans !

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