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20 avril 2011

Aurore, par Olivier Hirt

AURORE

Franck pense
Quel monde ! Et tout ce bruit. Je me sens toujours un peu con dès que je suis seul parmi les autres. On est toujours seul parmi les autres. Faut que je me fraye un chemin. Allez comme j’ai dit : j’entre, je me dirige droit vers le bar, j’interpelle le Barman et je demande un Jack Daniel’s. Même ça ce n’est pas de moi ; je l’ai piqué à Jeff ce fantasme. Coup de chance il reste un tabouret de libre au bar.
« Un Jack Daniel’s, s’il vous plaît » Et merde c’est quoi cette voix de gentil.

Dans la taverne cérébrale du barman
Trop propre, trop jeune et une gueule trop fraîche, pas assez cassée pour un habitué, l’un de ces voyageurs des voies sans issue qui les ramènent toujours au fond de l’impasse, après les pissotières des tavernes sans fenêtre, dans l’arrière-cour où les derniers sous, les derniers saouls s’écoulent à la lame.
Alors mon garçon, ne va pas jouer un mauvais film, pas ce soir, ne va pas faire n’importe quoi, pas dans mon bar.

Le comptoir en bois massif brillait dans l’obscurité. Sur les étagères, s’alignaient les bouteilles d’alcool fort. Les industriels jouaient d’ingéniosité pour vendre leurs mixtures : couleur fluo dans des bouteilles aux accents de robes de soirées qui doivent suggérer par les formes et les couleurs l’incroyable consistance qu’acquerra le buveur potentiel.  Après son premier verre, Franck dû se rendre à l’évidence « Décidément je n’aime vraiment pas le whisky. Quel calvaire ! » Il l’avait alors descendu presque d’un trait. La première gorgée lui rappela à quel point il n’aimait pas cet alcool et la deuxième lui épargna de souffrir à petit feu. Il crut agoniser dans un grand brasier, les larmes lui montaient aux yeux mais il les contint tant bien que mal.

Pérégrinations métalcooliques d’un jeune footballeur : une pression pour lui, cinq pour ses amis et une pour Elle
Elle m’emmerde. Faut toujours qu’elle vienne dans les soirées qu’on fait avec les potes, mais ça fout la merde, je le sens bien. A quoi elle joue ? Les meufs des autres elles ne viennent pas. Et puis je le vois bien, devant les autres nanas, elle me colle et m’embrasse et après c’est presque si elle allume tous mes potes, même Francis !
Bon il les pond ses bières ou quoi ? Ah quand même. Et surtout que personne ne m’aide à porter tout ça. Et c’est qui qui va se taper les allers-retours ? Ben ouais c’est quiqui. Et pas la peine de gueuler avec ce son ils ne m’entendront jamais. Ah bah tient, je me disais que ça faisait bien 2 minutes qu’elle m’avait lâcher alors que je me suis rendu en territoire ennemi.
« Oh chérie tu tombes bien, tu m’aides à en porter quelques-unes ? »

Alors qu’elle se penchait vers le comptoir pour attraper la dernière bière, son escarpin glissa sur le sol, l’une de ces minuscules parcelles épargnées par l’alcool et le sucre. Un bras la saisit fermement pour la retenir, Franck lui évita et la chute et le déversement des bières sur la dernière parcelle épargnée par l’alcool et le sucre.

Qu’est-ce qu’il fout tout seul lui ? « Ben mon gars, t’as une sacrée descente et de sacrés réflexes et je sais de quoi je cause, je suis gardien de hand. »

Introspection en territoire couleur des blés
« Merci de m’avoir retenue. »
Je ne l’avais pas vu. Il a l’air bien seul… si seul, comme abandonné, un chien errant au regard si vif et si méfiant. En croisant ses yeux, j’ai cru voir un miroir. Je me sens bien seule ce soir, moi aussi. Je croyais réussir à me persuader, mais je fais semblant. Je l’accompagne, mais il ne veut pas de moi, je le sens bien. Ils ont l’air de s’amuser et je suis en trop. Qu’est-ce que j’aurais aimé être un mec ! Faire partie d’une bande de potes.

Au pays de Franck
« Pas de quoi mademoiselle »
Allez, passez votre chemin, je ne suis pas venu pour me faire des amis. Dire que j’ai presque réussi à m’amuser, de ma gaucherie surtout et à me distraire en regardant les autres, tous ces autres. Des étudiants, beaucoup. En groupe, toujours. Je suis le seul à être seul ici, c’est de la métasolitude. Foutaises ! Tout le monde est seul ici ! Ils ne se connaissent pas plus, ils ne se lient pas plus à mesure qu’ils s’imbibent ! Des illusions qu’ils bouffent comme des gorets et n’allez pas les leur gâcher, ils mordraient.
« Vous avez du cognac ? » « Alors un cognac… s’il vous plaît. »
Je ne vais quand même pas jouer les déçus de la vie, le nez collé sur le comptoir, l’air abattu. Il reste quoi de vrai à force de jouer ? A force de dire que tout n’est qu’illusion, que finalement on a que ça pour faire avec les autres. Ca ?
Elle avait l’air triste cette fille dans ces petits escarpins au milieu de ces sportifs. A première vue, tout le monde doit l’appeler Candy, une image qui lui colle à la peau mais cache son lot d’espoirs héroïque d’une Xéna.
Alors que feraient-ils, tous, si on enlevait les bières, les clopes, le foot, la télé, les marques…

Frank chauffait son verre depuis quelques minutes et fixait une grande pendule de gare accrochée au-dessus des bouteilles. Il ne s’en était d’abord pas rendu compte mais toute la déco était faite de pièces rapportées d’univers multiples : garages automobile, panneaux routiers, alambiques, moulages de cirque, et même des outils et objets agricoles insolites.
Le volume sonore venait encore d’augmenter. Personne ne dansait vraiment. Beaucoup étaient debout et s’échangeaient quelques paroles en hurlant dans les oreilles du voisin. Rares étaient les conversations de groupe, à gorge déployée. Au centre se trouvait la salle principale, avec un billard, quelques tables hautes et des banquettes installées dans les coins invitant à se réunir en petits salons. Les espaces vides, sans chaises ni table, étaient occupés depuis bien longtemps par tous ceux qui n’avaient pu envoyer quelques éclaireurs, tôt dans la soirée pour garder des places. Il était maintenant très difficile de circuler et les contacts étaient obligatoires.

“Ils viennent entre amis, mais est-ce que les cercles se mélangent, se nouent, se tissent ?” pensait Franck.

Promenade Barlesque
Au-dessus de la pièce centrale, une mezzanine métallique accueillait les VIP dans de larges sofas en cuir. En bas, de ci de là, rayonnaient de petites salles voûtées où les groupes jouissaient d’un regain d’intimité, d’un bruit plus supportable qui laissait la possibilité de s’entendre à plusieurs. A l’abri des alcôves certains s’adonnaient au billard, en grande démonstration virile. C’est au fond de l’une d’entre elles, assises à l’angle le plus reculé d’une banquette capitonnée, qu’Aurore, à moitié plongée dans la pénombre observait.

 Olivier Hirt, avril 2011

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