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28 mai 2011

Ava Gardner - Un partout, par Jacqueline Chauvet-Poggi

 

Prologue : Dans la nouvelle ‘’AVA GARDNER’’ de Gilles Moraton (parue dans la revue Brèves, n° 88), Monsieur Martin, un homme effacé, a un coup de foudre pour une perruche qu’il appelle Ava Gardner. Il l’amène dans sa maison où son épouse les reçoit très mal. Alors, soudain résolu, Monsieur Martin s’en va…

 

AVA GARDNER- UN PARTOUT

 

…..Monsieur Martin a soulevé la cage, et doucement, à petits pas, sans se retourner, il a pris la porte et s’en est allé……..

 

Madame Martin n’entendit même pas la porte se fermer. Elle avait vu la scène, d’un regard stupéfait, comme dans un film dont on aurait coupé le son. Il lui fallut bien cinq minutes pour refermer sa bouche bée, le menton décroché dans une expression de sidération.

Elle quitta la cuisine d’un pas de somnambule, trainant les pieds sur ses patins de feutre. Elle s’arrêta à la porte du salon. La table ronde était là, vide comme d’habitude, le napperon central légèrement déplacé. Machinalement, elle le remit en place. Une petite plume verte s’accrochait à une maille. Elle la prit distraitement, l’examina, souffla sur le fin duvet puis l’enfonça dans la poche de son tablier.

 

-         Un oiseau, quelle idée ! Qu’est-ce qui peut bien attirer dans un oiseau ? En plus, une perruche ! Ça jacasse, ça piaille, ça crotte dans la mangeoire, il faut nettoyer, remplacer les graines, renouveler l’eau…. Qu’est-ce que je dis ? Pourquoi je raconte ça ? Je n’ai jamais eu à entretenir une cage avec un oiseau, mais je suis sûre que c’est dégoûtant.

 

Tout ça pour le plaisir de voir une petite boule verte sautiller de barreau en barreau. Quelle vie pour ces bestioles ! Ça leur plaît, à elles ? Elles seraient plus heureuses ailleurs. Ah non ! Si en plus il faut s’occuper de leur bonheur !

-          En tout cas m’en voilà bien débarrassée. Et débarrassée de Martin du même coup.

 

Elle imaginait Martin remontant la rue à petits pas, la cage à la main. Peut-être lui parlait-il à sa perruche. Ava Gardner, je vous demande un peu ! Tant mieux, s’il était en veine de confidences, il avait maintenant quelqu’un pour l’écouter. Pour dire quoi ? A elle il ne parlait jamais, qu’est-ce qui lui prenait tout d’un coup ? C’était possible qu’il lui dise, justement, ce qu’il avait sur le cœur. Du mal d’elle sans doute. L’avait-il jamais aimée, Martin ? Et elle ? La question la plongea dans une grande perplexité.

 

Elle s’était tellement habituée à voir Martin dans le décor familier de leur petit deux-pièces. Il était là. Il sortait faire un tour et alors il n’était plus là. Il revenait. Souvent un parfum anisé de pastis l’entourait comme s’il ramenait un pan d’un monde à lui, où elle n’avait pas accès, où il échangeait avec des amis. Echangeait sur quoi, je vous prie ? Le temps qu’il fait ? La vie des oiseaux ? Les femmes, les bobonnes moches comme les leurs et les super belles comme cette traînée d’Ava Gardner ?

 

Elle, pendant ce temps, veillait à ne pas gaspiller les centimes d’euros, s’assurait que le napperon était au milieu de la table, que les chaises avaient toujours quatre pieds. C’était son domaine, elle avait réussi à ce que rien ne change, malgré le temps qui passe et le monde qui va. Voilà que tout à coup un orage avait éclaté dans ce bel agencement.

 

-          Non ! Il m’a dit non ! comme ça ! bien en face ! deux fois !

Je ne l’ai jamais vu aussi déterminé. J’ai cru voir passer un éclair meurtrier dans ses yeux. Tout ça pour qui ? Pour quoi ? Monsieur a découvert qu’il aimait les animaux, les oiseaux, les perruches, cette perruche là. Alors il la ramène à la maison.

 

 

 

Il ne lui avait pas demandé son avis. D’ailleurs il n’avait jamais eu à lui en demander un, c’est elle qui décidait de tout. S’était-il seulement préoccupé de ce qu’elle aimait, elle ? D’accord, il le savait, elle n’aimait pas les animaux en général, encore moins les oiseaux. Pas non plus  ses amis du Café des deux ânes, ni l’odeur du pastis. Mais maintenant que l’appartement lui semblait soudain tellement vide, elle se prenait à imaginer une petite présence vivante, quelque chose de pas trop exigeant, pas encombrant, silencieux, qui s’occuperait toute seule dans son coin.

 

-         Je lui parlerais au lieu de me faire des conversations dans ma tête puisque Martin ne m’écoutait jamais. Je verrais bien quelque chose de soyeux, de chaud, que je puisse toucher de temps en temps……. 

 

Madame Martin enleva son tablier, le suspendit dans le placard, enfila son imperméable, sortit et tira la porte d’un geste ferme. En passant devant le Café des deux ânes, elle ralentit un peu, humant les relents de pastis auxquels elle trouva un air familier pas si désagréable. Elle soupira et reprit sa marche de l’air décidé de quelqu’un qui sait ce qu’elle veut.  Elle entra dans l’animalerie et se dirigea tout droit vers le rayon des hamsters. Le commis se précipita.

 

-         Madame a une préférence ? Nous avons un grand choix d’animaux, nos clients sont attirés par ces petits compagnons discrets. Ce matin encore j’ai fait le bonheur d’un monsieur en lui vendant une superbe perruche……

Ah, je vois que vous êtes intéressée par les hamsters. Nous en avons une jolie portée de six, à poils longs, très vifs, très bien portants. Lequel voulez-vous ? Celui-ci est un mâle, vous ne trouvez pas qu’il a une tête à s’appeler Martin ?

-          Pas du tout, il s’appellera Caruso.

-         Ah, ah, très original, parfait ! Madame prendra aussi une cage ? C’est là-dedans qu’ils sont le mieux, à tourner dans leur roue. Nous en avons plusieurs modèles, quel prix pensez-vous y mettre ?

 

-          Cent quatre vingt quinze euros et soixante treize centimes.

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Commentaires
J
Nous sommes plusieurs à avoir tenté de donner une suite à la nouvelle "Ava Gardner", de Gilles Moraton, dont la fin reste ouverte. L'auteur ne dit pas ce que deviennent les deux protagonistes après le départ précipité de Monsieur Martin. D'autre part l'histoire est racontée du point de vue exclusif du mari. Il était donc doublement intéressant d'exprimer le "ressenti" de Madame Martin, qui songe à s'accorder une petite revanche, et de trouver une "chute". Celle-ci me paraît particulièrement inattendue et réussie.
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