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2 juin 2011

Aurélie aime se lever tôt, par Danièle Chauvin

 

Aurélie aime se lever tôt      

 

 

 Aurélie aime se lever tôt, un peu avant sept heures, quand tout le monde commence à s'activer. Chaque matin, elle s'étire dans son lit, vérifie l'heure à son réveil, ouvre ses volets. Puis, elle prépare son petit-déjeuner et le déguste tranquillement pendant qu'elle entend les uns et les autres s'éveiller. Elle écoute la rue retrouver son animation matinale.

Sa vie lui plaît. Son travail l'intéresse. Ses nuits sont calmes car le quartier est silencieux dès que chacun est rentré chez soi.

 

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Cette nuit, Aurélie ne dort pas. Elle entend sa nouvelle voisine du dessus arpenter l'appartement de long en large, puis dans l'autre sens, et encore et encore. Les talons aiguilles claquent, clac clac clac. Une heure du matin. Chaque nuit, c'est le même rituel. Clac clac clac. Sa voisine travaille de nuit. Un bar ? Un dancing ? Ou bien..? Les talons font vraisemblablement partie de « l'uniforme ». Clac clac clac. Cela dure longtemps. Cela réveille Aurélie chaque nuit depuis l’arrivée de la perturbatrice. Comment peut-on être aussi indélicat ? Ces attitudes sans-gêne insupportent Aurélie.

 

Ceux qui parlent fort en montant l'escalier ne peuvent-ils imaginer que leurs propos n'intéressent qu'eux, et qu’ils empêchent peut-être quelqu'un de se reposer ou de travailler dans le calme ?

Les jeunes qui trafiquent leur deux-roues pour que le pot d'échappement tonitrue sur leur passage pensent-ils démontrer ainsi autre chose que leur vanité bruyante ?

Aurélie déteste la pollution sonore lorsque celle-ci n'est pas inévitable. Elle juge ce comportement incivil, le plus mal élevé qui soit. Oui, c'est cela : mal élevé. C'est un manque d'éducation élémentaire. Une vulgarité.

 

Elle entend encore sa mère insister : « Soulève ta chaise quand tu la déplaces. » Sa famille vivait alors dans des HLM construites en 1960. Les cloisons étaient si fines que l'on entendait tout ce qui se passait chez les voisins mitoyens. Ses parents considéraient pourtant qu'ils avaient de la chance d'habiter au troisième et dernier étage, ce qui leur évitait de supporter les allées et venues des locataires du dessus, car le bruit des pas traversaient eux aussi le plancher, comme ils avaient pu le constater en prenant l'apéritif chez les Chandort qui résidaient au deuxième.

Pourtant, dans ces immeubles si mal isolés, nous n'avons jamais souffert du bruit des voisins. Chacun respectait strictement la tranquillité des autres, car  tous, sauf ma famille, étaient employés de la SNCF et effectuaient les trois-huit. De sorte que toujours, l'un ou l'autre dormait le matin ou l'après-midi pour rattraper le sommeil de la nuit. Nous étions habitués à être parfaitement discrets tant par simple courtoisie que pour ne pas déranger le repos bien mérité des cheminots.

 

Clac clac clac. Aurélie trouve que sa voisine exagère. Voilà une semaine que le manège se répète, avec une régularité de métronome.

Aurélie se demande à quoi ressemble sa voisine. Elle ne l'a jamais rencontrée, ce qui n'est pas surprenant puisqu'à l'évidence elles n'ont pas les mêmes horaires de travail. Elle serait bien incapable de la décrire. Elle ne connaît d'elle que, clac clac clac, le claquement de ses talons aiguilles. Elle se promet d'intervenir si le dérangement persiste.

Aurélie est très fatiguée, elle se retourne dans son lit et se rendort.

Au bout de quelques jours, elle ne fait plus attention aux retours nocturnes de sa voisine ni au claquement des talons aiguilles. A croire que l'on s'habitue à tout.

 

L'appartement mitoyen de celui d'Aurélie est occupé depuis peu par un monsieur. Aurélie pense « un monsieur » car il est bien plus âgé qu’elle ! Au moins dix ans. Il est venu se présenter lorsqu'il a emménagé. Courtois, il l'a invitée à prendre un verre. Quelques minutes en sa compagnie ont suffi à Aurélie pour ne pas souhaiter poursuivre la relation. Il n'a pas insisté. Ils se saluent sur le palier à l'occasion.

 

Une nuit, par-dessus le clac, clac, clac des talons aiguilles qu'Aurélie ne perçoit plus que de façon très lointaine, s'ajoute quelque chose d'insolite. Aurélie se redresse dans son lit. Elle a bien entendu. Voilà que, pour la deuxième fois sa voisine enclenche le répondeur de son téléphone. On n'y entend pourtant que le message d'accueil. Aucune communication ne suit. Elle connaît donc à présent la voix de sa voisine. Quelques jours plus tard, quelle n'est pas sa surprise quand elle surprend, après le message d'accueil, la même voix qui dit : « Allô. Bonjour. C'est moi. » « La pauvre. Quelle solitude ! » s'attriste Aurélie. Cette découverte a tué en elle tout sentiment d'agacement ou de colère.

 

Ce soir, on est samedi. La semaine a été chargée. Aurélie se réjouit de pouvoir étendre ses jambes, un bon livre dans les mains. Elle introduit un CD dans le lecteur. Une musique reposante la délasse.

Des pas et des rires montent l'escalier. Puis, une discussion animée et gaie traverse la cloison, suivie d'une sortie pas vraiment discrète, mais bon, nous sommes samedi soir et il n'est que vingt heures. Son voisin a de la compagnie. Aurélie lui souhaite mentalement une bonne soirée.

 

Aurélie poursuit sa lecture et se couche. Elle s'endort paisiblement en pensant au dimanche qui s'annonce : grasse matinée, puis journée au club d'équitation avec au programme balade, pique-nique et détente avec les autres membres.

 

A une heure du matin, comme d'habitude : clac clac clac. Puis, répondeur.

 

A trois heures, oui, oui Aurélie vérifie encore une fois, il est bien trois heures, retour de la joyeuse compagnie. Des rires sonores et des propos éméchés passent devant sa porte et entrent chez son voisin. La fête continue à l'intérieur. Il ne manque à Aurélie que l'image et encore. Les éclats de voix et les gloussements qui lui parviennent décrivent avec précision les ébats qui se déroulent là.

Quand le silence enfin s'établit, le jour commence à poindre.

 

 A six heures, les voisins d'Aurélie sont tirés de leur sommeil par la sonnerie de son réveil. Elle dure très longtemps. Dès qu'elle se tait, la radio prend le relai et ils reçoivent les nouvelles et le programme musical de la station aussi distinctement que si le poste se trouvait à leur chevet.

 

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Chaque matin, Aurélie se lève tôt. A six heures précises, même les jours de congé, son réveil sonne. Elle le laisse sonner jusqu'à la fin, jusqu'à ce qu'il s'arrête tout seul. Puis elle prépare son petit-déjeuner et le déguste en écoutant la radio dont elle prend bien soin de monter le son afin que tout le monde en profite.

 

 

 

 

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