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10 juin 2011

Sainte Geneviève, par Michelle Jolly

 

Sainte Geneviève

 

C’était une rue banale, des maisons ternes, en triste meulière aux joints larges et gris ; quelques portes décorées de faïences venues du Nord, des jardins avec de maigres arbustes, peu de fleurs malgré le printemps qui arrivait.

 

La pension Ste Geneviève occupait un large espace, grilles peintes en noir, gravier dans l’allée, on ne devinait rien tant les fenêtres closes cachaient l’animation de l’intérieur. C’était un lieu discret, on y laissait le temps de cette fin de guerre, les jeunes filles de bonne famille, religion imposée, pour  la bonne tenue de l’endroit…

Nous venions d’arriver à Paris, appartement trop petit pour nous cinq,  mes parents avaient décidé de me confier aux bons soins de Ste Geneviève

 

L’établissement était dirigé par « Madame » et « Monsieur.

« Madame » avait la cinquantaine replète, un chignon bas et brun, retenu par une éternelle épingle noire, sa robe ? un modèle qu’elle avait

conjugué en gris, en noir, en bleu et une fois en crème, un dimanche de fête ! « Madame » s’occupait des études, elle recevait les parents, voyait les professeurs, donnait les punitions, les bulletins de notes, tout ça avec la même voix sans relief, sans sourire ; rien ne semblait l’émouvoir… elle avait de très belles mains, soignées, avec de jolies bagues, mais je ne sais pourquoi, nous avions peur de ces mains là..

« Madame »  n’avait pas d’enfant, disait chaque année à la distribution des prix, que nous étions ses enfants, mais aucune de nous n’aurez voulu l’avoir pour mère !.

« Monsieur » était grand, maigre et agité, il était l’intendant, le gardien,  le chauffeur, l’homme de confiance de la maison, il riait beaucoup, nous murmurait des choses que l’on ne comprenait pas, derrière sa main, jouait les complices, au début on le trouvait drôle et gentil.

 ***

Notre enseignement était donné par plusieurs professeurs, externes pour la plupart, ma mémoire n’a retenu que trois d’entre eux, la professeur de français, rousse avec au dessus du front quatre étages de boucles serrées comme c’était la mode, si bien rangées, que l’on se demandait si elle dormait avec cet échafaudage ? et comment faisait elle pour tout reconstruire chaque matin !

Le second, professeur de math, un grand, bel homme au regard clair, il nous faisait fondre tant il ressemblait à Jean Marais !  nous enragions car il s’intéressait au troisième professeur, une brune mince et exotique qui nous enseignait l’histoire-géo !!

Nous avions entre douze et dix-huit ans, jeunes abandonnées à nos rêveries, prisonnières de longues semaines, concentrant tous nos efforts sur les problèmes insolubles d’algèbre, attendant que le prof vienne tout près, presque contre notre joue, expliquant les méandres, les dénouant, les maths ne m’ont jamais autant intéressée qu’à ce moment là !

  ***

 …C’était une rue banale, une maison sans histoire, pourtant, quand après le frugal diner nous allions dormir, commençait alors la cruauté de la nuit.

Il y avait les « grandes »dans le dortoir, et parmi elles une fille brune,  17 ans, toute en muscles et en hargne ; elle menait la bande ; dans son sillage un troupeau consentant et servile.

Il y avait les « planquées », familles célèbres et riches ou jeunes juives à l’abri, toutes intouchables ; et puis nous les « petites » qui regardions.

Deux clans s’étaient formés, et chaque soir réglaient les comptes de la journée.

Un mot de travers, un regard insolent, une meilleure note à l’une, une parole de « Monsieur » ou « Madame » qui déséquilibrait l’ensemble, et la rage couvait ; tout le jour on menaçait, et la bataille finissait au dortoir.

La femme qui nous surveillai faisait aussi le secrétariat, elle montait bien après nous, entre temps, c’était rituel, deux filles ou quatre, de chaque camp, s’empoignaient : je n’ai jamais vu autant de haine, de méchanceté, de cruauté. J’ai le souvenir de cheveux arrachés, de dents cassées, de plaies que l’on camoufle, certaines étaient sans pitié, en actes et en paroles.

J’avais douze ans, je n’arrivais pas à m’endormir, car elles me faisaient peur, il m’a fallu de longues années pour me rendre compte que ce rite de violence, recommencé chaque jour, elles en avaient besoin, c’était presque un jeu, un passage pour conjurer je ne sais quel manque. L’une d’elles, bien plus tard, me dirait qu’à certains moments, au creux de la nuit, elles s’entendaient bien.

 ***

….C’était une maison terne en meulière grise, Ste Geneviève était son nom ; ce nom aurait dû nous protéger, pourtant je mis des mois à comprendre qu’il fallait  éviter « Monsieur » dans les couloirs,  ne pas accepter  dans l’oreille les ordures qu’il murmurait et, au coucher, quand avec « Madame » il se baissait pour nous dire bonsoir, ne pas le laisser nous caresser trop intimement de sa main moite et froide. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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