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10 juin 2011

Je t'aime... moi, non plus! par Danièle Géroda

 

Je t’aime . . . moi, non plus !

 

Chaque fois que Julie franchit la porte de l’hôpital, sa vie se transforme radicalement. Elle laisse derrière elle son quotidien étriqué, sa piètre existence, pour pénétrer dans son véritable univers. Elle sait qu’elle ne regrettera jamais toutes ses longues années d’études de médecine car elles l’ont conduite à ce job extraordinairement gratifiant. Devenue médecin urgentiste, chacun comprendra que l’importance du rapport humain et la diversité des cas à traiter sont ses principales motivations. Julie, discrète, ne lève aucun voile sur sa vie. Jamais elle n’avouera qu’elle a sacrifié sa vie de femme pour ce métier Elle a seulement envie d’être appréciée pour son professionnalisme, alliant sang-froid et  réactivité. Elle n’a même pas le souci d’être remerciée quand elle prend les services de garde plus souvent qu’à son tour.

Aujourd’hui, encore, elle est là pour remplacer son collègue Rémi. L’uniforme blanc revêtu, la voilà opérationnelle. Elle dévore l’espace de ses déplacements rapides  effectuant ici un diagnostic,  dispensant là, les premiers soins. A l’instant, on vient l’appeler au chevet d’une patiente accidentée de la route,  presque ’au terme d’une grossesse et traumatisée à l’idée de perdre son bébé. Julie va devoir procéder aux investigations d’usage et veiller à calmer douleur et stress. Ce cas nécessite comme beaucoup d’autres une vigilance sans bornes. Ici, la vie d’une mère et d’un enfant justifient son intervention immédiate.

 

Mais, dès l’entrée dans le box, Julie se sent défaillir. Ce visage ! Elle le connaît bien même s’il ne fait plus partie de sa vie depuis tant, tant, trop d’années. Eva, sa sœur Eva est là, immobile, livide, les mains cramponnant son ventre et les yeux perdus dans le vide. Une blessure sanguinolente barre son front mais ne dissimule en rien des traits délicats. Julie ne peut détacher le regard de cette patiente pas ordinaire que le destin lui flanque brutalement sur sa route, aujourd’hui. Figée, à l’arrière du lit, elle n’arrive pas à calmer cette douleur, au fond de sa poitrine. Elle, Julie un médecin imperturbable, se laisse surprendre par des sueurs froides qui gravitent sur ses tempes. Comment calmer ce cœur qui s’emballe ? Comment ne pas replonger dix ans en arrière ? Oui ! Dix ans ! Dans un  contexte  presque identique ! Dans cet autre hôpital où elles virent s’éteindre leur mère, où les reproches d’Eva lui martèlent encore la tête. Comment avait-t-elle pu l’accuser d’avoir laissé mourir leur mère ? «  Tu es Impardonnable de ne pas t’être aperçue de la gravité de son état ! » avait hurlé Eva., doutant à jamais des compétences d’une sœur récemment reconnue praticien. Un ressentiment implacable les avait éloignées l’une de l’autre au grand désespoir de leur père, impuissant  dans sa propre souffrance.

 

Un épais brouillard  semble avoir envahi le box, tout à coup. Julie ne contrôle plus les larmes qui gonflent ses yeux meurtris par la vision de sa sœur, sa seule sœur, ressurgissant du passé dans un flot de souvenirs ingérable.

Sa sœur était une peste, enquiquinante, rapporteuse : la reine des imbroglios dans la maison. Dès le saut du lit, au petit déjeuner en famille, le calvaire commençait. « Maman ! Julie m’a encore empêchée de dormir cette nuit », se plaignait déjà la cadette, collée, serrée contre leur mère, en admiration devant son minois bouclé et boudeur. De si bon matin, il fallait à Julie faire bonne figure et ne pas s’attirer les foudres de la mater familias, prête à sortir les griffes. « Tais toi, ne dis rien. Tu es la plus grande. Excuse toi auprès de ta  sœur » Elle entendait encore la voix de sa soeur qui reprenait son leitmotiv quotidien, calquant son discours sur celui des parents. Julie ne rêvait, alors, que d’écraser de son mépris cette frangine adulée de tous. Elle décochait de sérieux coups de pieds  sous la table dans les tibias de cette impossible intrigante,voleuse depuis tant de temps de l’amour et des calins de ses parents.

 

« Julie ! Ca va ! Tu es subitement livide : va t’asseoir un instant. On prend le relais et on l’installe sous perfusion !  » La main de sa collègue sur l’épaule ramène Julie à la triste réalité. Elle sait qu’il lui faut être présente , sans tomber dans cette hyper- émotivité handicapante que personne autour d’elle ne comprendrait. Bien que tuméfié, le visage d’Eva retient toute son attention. Les années n’ont pas terni la beauté de sa sœur.

 

Comme elle avait été jalouse de cette face, lisse, légèrement hâlée, qui ne suscitait que des regards admirateurs. Force était de constater que tous les camarades de classe de Julie qui fréquentaient la maison se laissaient vite distraire par la sœur, aux rires enchanteurs, à la beauté radieuse. Julie, contrairement à Eva, en voulait à Dame Nature qui  l’avait gratifiée  d’une myriade de boutons sur la figure. Au lycée, on la regardait curieusement. Elle avait beau essayer de dissimuler, comme elle pouvait, ce triste faciès boursouflé, rien n’y faisait. « C’est l’âge ingrat ! L’entrée dans l’adolescence » excusaient un peu beaucoup ses parents, comme honteux de  devoir imposer leur fille dans cet état. Julie s’était persuadée d’être une véritable handicapée, avec peu d’espoir de retrouver une physionomie acceptable, l’âge avançant. C’est alors qu’elle avait côtoyé  sa solitude avec la seule compagnie des bouquins. Ignorer Eva ou l’envoyer au diable !, Julie ne voulaIt céder en rien..

Telle une fourmi besogneuse, c’est au service d’une hargne farouche au travail qu’elle prit sa revanche  Des études parfaitement orchestrées lui firent gagner les faveurs et félicitations des parents, en même temps qu’une réussite professionnelle indéniable : cette réussite dont Eva prit ombrage en la critiquant  farouchement.

 

« La tension est anormalement élevée. On n’arrive pas à la stabiliser. Elle risque de perdre son bébé »  Les voix résonnent à ses oreilles avec tout le poids de l’insupportable. « C’’est ma sœur, parvient- elle à murmurer avec désespoir. Il faut les sauver , elle et son bébé. Vite, au block opératoire ! On va faire une césarienne. »

Julie serre avec force la main d’Eva qui s’abandonne maintenant, confiante, soulagée en reconnaissant soudain ce docteur un peu particulier. « Soeurette, je suis là avec toi, on va gagner la bataille »

 

Julie est redevenue le médecin en qui l’on croit, dont les membres ne tremblent plus. Elle a tant à prouver ou à se faire pardonner.

 

 

 

Les portes viennent à nouveau de s’ouvrir Un papa radieux se penche amoureusement sur le visage blême mais heureux de son épouse. On est déjà demain. Julie admire ce petit bout de nièce, adorable comme sa maman et qui porte le doux prénom de Julie Anne.

 

 

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