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10 juin 2011

Bettina et Héléna, par Aline

 

Ce texte est né de la réflexion autour d'un personnage, et de l'évènement déclencheur qui pouvait modifier sa vie.


Bettina et Héléna

 

Bettina Cramer, comme tous les jours, prenait son petit déjeuner, sans céréales, juste un petit café noir qu’elle dégustait avec soin pour en apprécier l’arôme. Ensuite, de manière mécanique, elle verserait dans une assiette ronde les croquettes favorites de son énorme chat Pouf qui, en ce moment même, s’étirait, faisant rouler sa masse ventrale et dorsale sur le carrelage avec grâce certes, mais aussi avec lourdeur. Bettina aimait son chat au-delà du raisonnable. Elle vivait comme une épreuve l’instant où elle devait refermer la porte derrière elle ; juste avant, Pouf tenterait de se faufiler entre ses jambes, mais en vain : Bettina aurait passé la frontière. Elle accélèrerait son pas, et ses pensées la suivraient. Les choses urgentes d’abord, et les points de repère qui baliseraient sa journée ensuite.

Bettina avait perdu une partie de sa famille dans les camps de la mort lorsqu’elle était encore très jeune. Malgré  cela, elle avait vécu auprès d’un mari très aimant qu’elle avait chéri tout au long de son existence ; ils avaient souhaité un enfant qui n’était jamais venu. Aujourd’hui, son mari était décédé depuis peu. Bettina était mélancolique.

Il ne lui restait de sa vie antérieure que cette ancienne demeure, remplie de souvenirs et de meubles anciens. Cette maison, à l’aspect aristocratique, donnait sur un jardin aux allures de petit parc, et avait un charme désuet qui attirait le regard des passants. C’est ce qui avait décidé Bettina à prendre un nouveau départ. Ouvrir un magasin d’antiquités signifiait pour elle faire de cet endroit un lieu de rencontre avec autrui, afin d’alléger un peu sa solitude.

Elle ouvrait son magasin trois jours par semaine, le mercredi et le week-end, mais tous les jours durant les vacances où les gens en mal de distraction aimaient venir se perdre dans son labyrinthe. Les autres jours, elle sillonnait les foires, salles de ventes, voyait les clients ou rendait visite aux personnes désireuses de se défaire de souvenirs douloureux ou d’objets de valeur…

Les jours d’ouverture, Bettina était présente dans son magasin dès 9h, faisant un tour complet de celui-ci pour réajuster un objet, un meuble qu’un client avait par inadvertance déplacé, allumer les multiples lampes de chevet qui donnaient de la chaleur et entretenaient du mystère. « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » pensait parfois Bettina, qui en était d’ailleurs persuadée.

Ensuite elle allait comme d’habitude s’assoir légèrement en retrait derrière le grand portail de l’entrée, au milieu de vieilles draperies, de chemises de nuit à l’anciennes, et autres jupons du siècle passé. Cet emplacement n’était pas anodin : de là, elle pouvait écouter et observer ses clients à loisir. Elle entrait dans leurs confidences sans y être invitée. Les objets étaient placés par elle avec tant de soin, qu’ils ressuscitaient chez les visiteurs des moments de vie, des souvenirs d’enfance, des personnes aimées et parfois disparues. « Je suis dans le petit théâtre de la vie », pensait-elle au milieu des draperies qui l’entouraient.

Mais la vraie surprise vint de là où elle n’attendait pas. D’ailleurs l’espoir n’était plus dans son cœur… Pourtant un mercredi matin comme tant d’autres, alors qu’elle passait un plumeau sur une série de petits objets de cristal, elle entendit une voix d’enfant qui appelait : « Papa, maman ! Venez voir ! » Bettina leva la tête machinalement et vit, dans le grand miroir style 19ème siècle, une petite fille en admiration devant un gros poupon de celluloïd. Elle retint son souffle, attendant la suite. Mais les parents ne firent pas mine de s’intéresser à la demande de l’enfant, et continuèrent leur visite, laissant leur progéniture en extase devant le poupon…

« Hélène, Hélène ! cria le père un peu plus tard, s’adressant à la petite-fille, viens nous partons ! » Le couple franchit le portail en glissant un discret au-revoir à Bettina, tirant leur fille par la main, sans avoir fait le moindre achat. « Je le lui aurais bien donné ce poupon ! pensa Bettina. Et pour pas cher, même ! » Mais parfois les parents c’est comme cela, ça ne veut pas, c’est une question d’autorité. Ou alors ce sera peut-être pour Noël…

La suite, Bettina ne l’aurait jamais imaginée si elle ne l’avait pas vécue. Le mercredi suivant, alors qu’elle venait de s’installer sur son vieux fauteuil derrière le portail, elle entendit une voix douce qui chantonnait : « Do do ! L’enfant do ! » et vit, dans le reflet du miroir, la petite Hélène qui berçait le poupon. Bettina ne bougea pas et laissa faire. Il n’y avait aucun autre visiteur dans le magasin.

Du temps passa. Comme l’heure de la fermeture approchait, Bettina pensa aller à la rencontre de l’enfant, mais elle avait filé, laissant là le poupon.

Cet épisode se reproduisit les trois mercredi suivants, sans que Bettina n’intervienne.

Le quatrième mercredi cependant, elle se fit connaître d’Hélène et, très délicatement, entra en relation avec elle. Elle lui prit la main et l’emmena faire le tour du magasin : à chaque fois que la fillette s’intéressait à un objet, Bettina lui en racontait l’histoire.

Ainsi, de mercredi en dimanche, une complicité s’établit entre la vieille dame et l’enfant, une relation amicale. Au fil des ans, Hélène apprit de Bettina :

-          Tous les secrets cachés dans les vieux tiroirs,

-          Les portes dérobées ouvertes sur les mystères que chacun de nous porte en soi,

-          La beauté des choses.

Bettina, elle, put poser le fardeau d’une vie parfois cruelle sur l’épaule d’Hélène. Elle lui laissa sa maison de légende et sa boutique, où tous les objets avaient appris à lui parler.

 Aline

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Commentaires
D
Comme il est émouvant de se mouvoir dans ce petit théâtre de la vie où chaque objet vous interpalle et vous plonge dans un bain de souvenirs vivifiant.<br /> Bravo pour ce basculement qui conforte dans l'idée que la vie est porteuse de bon nombre de surprises
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