L'avis de chien, par Danièle Géroda

L’avis de chien

 

-Ah ça, je n’ai jamais de bol. Toujours derrière Lui . . . Pas moyen de leur fausser compagnie. Aujourd’hui que la plage est déserte, ou presque, je n’ai même pas le droit de gambader.

Bon ! Essayons de suivre un bon rythme sans qu’Elle me tire de trop sur le cou !

Que c’est soft ce sable ! Rien à voir avec les allées gravillonnées de la maison. Mes coussinets adorent !

C’est sûr ! S’ils me gardent attaché toute la balade, ils ne courent pas le risque de me voir rejoindre le copain de la semaine dernière. C’est vrai que nous nous étions ébroués avec plaisir, mais sur la serviette d’un maître pas très coopératif. Elle, ma maîtresse, elle s’est mise franchement en colère contre moi, nous regardant, mon pote et moi, en chiens de faïence.

Elle crie beaucoup, en ce moment . . . C’est certainement dû à son état. Je comprends qu’elle ne veuille pas me courir derrière, mais Lui ! Pourquoi ne s’intéresse- t-il plus qu’au môme dans la poussette ? C’est bien ma veine ! D’ici peu, il y en aura deux pour me tirer les oreilles ou les poils.

-       Pierre ! ne va pas trop vite ! J’ai déjà Toby qui tire sur la laisse ! Il a les pattes trempées. On va encore salir toute la voiture. Il ne fallait pas l’emmener.

Tiens ! Je l’avais dit ! Elle ne me supporte plus. Je vais encore avoir droit au bain à la maison. J’ai horreur de ça. Comme je préfèrerais me jeter dans les vagues. J’en aurais même profité pour me désaltérer car cette sortie au trottinement cadencé m’a assoiffé.

-       Ne t’inquiète pas Chérie. Je lui ferai une bonne friction. Ah ! voilà notre fiston qui se réveille. On va penser à rentrer.

-       C’est ça, rentrons.

Et voilà, comment toute ma petite famille décide de me raccompagner à la niche. Il me faut abandonner à regret ce doux terrain sableux, pour arpenter des rues étroites menant au port. Comment peut-il être, Lui, fasciné par ces engins flottants ? Je peux vous aboyer qu’il n’est pas question d’avoir une envie pressante. Elle ne lâche pas de lest et me contraint à raser les murs. Il faut que je me tienne à carreaux ! Déjà que j’ai les pattes trempées.

Un embouteillage monstre de poussettes va me permettre de souffler un peu. Ah ! On peut dire qu’ils me mènent la vie rude, tous les deux. Mais, je leur garderai un chien de ma chienne. Pas question de courir bêtement derrière leur baballe, ce soir à la fraîche.

Allez, jouons mon rôle de chien gardien. Ça va m’occuper un moment ! J’ai acquis la confiance de mes maîtres depuis longtemps pour ce qui est de veiller sur le bambin. Même si la mission paraît valorisante, les attentions vont toujours vers le jeune. Il faut s’y faire. Pourtant, je me donne un mal de chien à attirer les compliments. En faisant le beau, j’ai parfois droit à un regard chargé de gentillesse, voire à une caresse. Il y en a qui reconnaissent mes talents de compagnon protecteur.

N’en demeure pas moins que je suis un peu jaloux.

Bon, il me faut ouvrir grand les yeux ! Avec tous ces mômes en goguette il ne faudrait pas qu’il y ait erreur sur la poussette.   Pourtant ça me plairait assez de voir comment il réagirait, Lui, si je quittais mon poste d’observation.

Il fait soif ! Mais je dois attendre l’arrivée à la casa, pour la soupe ! A moins que . . .

Pas de chance ! Lui, voyez, sur cette terrasse, il a trouvé de quoi étancher sa soif !!

J’ai tellement soif ! Lui, il est rentré dans ce bistroquet. Elle, elle papote. Tous sont fascinés par ces petites têtes blondes endormies dans leur carriole.

J’ai soif, j’ai soif. Je laperais bien la mer et ses poissons. ‘ To be ‘or not ‘Toby’ , je suis là, moi, j’existe ! Ah ! Que c’est dur d’être un chien ! Comme j’aimerais leur fausser compagnie !

Danièle Géroda                         Lundi 19 septembre 2011