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Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
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29 décembre 2011

Vincent, par Sonia

Durant la dernière semaine des ateliers, nous nous sommes inspirés d'un extrait de Carrare de Célia Houdart (éditions P.O.L. 2011). Comme l'auteure, il s'agissait de décrire, à travers la subjectivité d'un personnage, une suite de tableaux du quotidien. Le Vincent de Sonia nous invite à une traversée particulière de Montpellier... Carole 

Vincent a mis son manteau bleu marine, il a enroulé son écharpe de laine beige, le vent souffle, il faut éviter tout refroidissement avant les deux soirs à venir.

A la gare saint Roch, il descend du TER bondé qu’il a pris à Nîmes, il hume l’air montpelliérain, s’arrête un moment sur le terre-plein, son sac en bandoulière, regarde à gauche, à droite, en face, quel bordel, cette place, se dit-il. Il décide de s’attabler à la brasserie face à la gare, il est 17 heures,  il a une heure devant lui s’il opte pour la marche, une heure et demie s’il choisit de prendre le tramway.

Les mégots jonchent le sol, c’est aussi sale qu’à Nîmes, pense-t-il.  Il observe les clients autour de lui,  la plupart ont posé leurs gros bagages à leurs côtés, dévorent en hâte une mauvaise salade les yeux rivés sur la grosse horloge du fronton de Saint Roch. Lui n’a pas de gros bagage, juste sa serviette en bandoulière, dans laquelle il fourré ses partitions. Il commande une bière pression, la boisson qu’il prend avant les soirées où il est exposé, où il doit gérer des petits ou des grands, du haut de sa chaire.

Ce soir, il a pu  s’habiller en chemise et jean, demain, ce sera le costume noir habituel, tenue de rigueur. Il n’est pas encore nerveux, mais il sait que l’anxiété va le prendre à la descente du tram ou devant le musée Fabre s’il choisit de marcher. Alors il se pose,  savoure sa bière pression, laisse son regard traîner autour de lui, se laisse charmer à la vue d’une belle femme qui passe, il se dit que c’est ça, le bonheur, se poser quelque part, être ouvert à tout ce qui arrive en sachant que ça ne dure qu’un temps limité.

solangeesplanadeIl termine sa chope de bière, jette un œil sur sa vieille montre Lip, dépose l’appoint sur la table, se lève tranquillement et se met en route. Au vu de l’heure, Il décide de marcher. Il traverse cette place au milieu des trams 1 et 2, au milieu des cyclistes et des piétons qui roulent et marchent dans tous les sens, il pense que c’est tout de même plus calme chez lui à Nîmes. Il s’engage dans la rue de Maguelone en direction de la Comédie, il a du mal à se frayer un passage, il marche à contre-sens, la foule descend plutôt vers la gare à cette heure. Il retrouve cette place de la Comédie irradiée par un soleil couchant, il aime cette place piétonne bordée par ses immeubles haussmanniens. Là, à nouveau, il fait une pause, s’arrête un moment devant le théâtre actuellement en rénovation, savoure des yeux la lumière d’automne en ce début de soirée. Il a besoin de sentir cette ville avant de s’y produire. Il se remet tranquillement en marche, rejoint l’Esplanade où il respire l’odeur dégagée par les feuillages des arbres centenaires. Il s’enivre, de ces odeurs de verdure en pleine ville, il gonfle son abdomen et ses poumons, reste un moment en apnée,  puis relâche tout cet air d’un coup sec, en produisant un chuintement  volontaire. Parvenu à la hauteur du musée Fabre, l’anxiété le prend, il le sait, c’est toujours à ce moment que le même phénomène  se produit. Alors il s’arrête à nouveau, prend une respiration profonde puis souffle à grand bruit. Il reprend plusieurs fois cette respiration volontaire, intentionnelle, consciente,  sensée  faire passer l’angoisse. Mais l’angoisse est tenace, l’angoisse s’accroche à lui ce soir. L’heure de la séance approche, il pense qu’il ne pourra pas l’aborder dans cet état. 

             Allons, courage, se dit-il ; d’ailleurs, je n’ai pas le choix, à vrai dire.

Il lui reste deux cent mètres à parcourir, de longues marches à descendre, car dans cette ville, technopole, europole et tout le reste, les ascenseurs qui desservent le haut et le bas du Corum sont en panne depuis plus de deux ans, il pense que sa bonne ville de Nîmes est moins prétentieuse mais que les services de base y sont plus efficaces. Sauf que ce n’est pas le moment de pester contre la ville où il va diriger les Chœurs  ce soir et demain, ce n’est pas le meilleur moyen de se s’installer dans son rôle de chef. Alors il tente de se calmer, de descendre sans précipitation ces marches interminables, de respirer tranquillement, comme il dira dans un petit moment à ses choristes de le faire.

...Lorsqu’il sonne à la porte de l’entrée des artistes, son souffle a repris sa régularité, son pouls s’est apaisé, il se sent prêt à affronter ses 90 chanteurs, petits et grands, qui l’attendent  dans la  salle des chœurs. C’est déjà le plaisir de la musique qui prend place, qui s’installe en lui, oui, il est  définitivement prêt. Prêt pour la musique.

 

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