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11 mars 2012

Album, par Antonia Contreras

Ce texte a été inspiré par la musique de Brahms, et de Robert et Clara Shumann. Antonia a choisi une construction originale, sous forme d'album...

Album

 

antoniabramsUn jeune homme.

Il est assis un peu sur le côté, ses yeux bleus regardent ailleurs, sont front haut est comme une montagne du matin, sa veste de laine mise sans élégance voudrait recréer les manteaux de tous les hivers disparus, son nœud de papillon n’en est pas un mais une libellule.

Je suis là pour Elle et seulement pour Elle, et toute autre qu’Elle m’est étrangère car ma passion n’a pas de revers. Il respire un air d’aube étonnée sans faire de bruit. Des silences et des sons passent devant lui et il ne les regarde presque pas. C’est son univers et il lui est familier, le reste, meubles, fêtes, conversations, plats cuisinés, enfants, l’incommode. Sauf sa famille à Elle. Elle, peut-être une femme, peut-être la musique.

Il s’appelle Johannes Brahms.

 

antoniamaisonUn chalet de montagne.

Le regard et l’âme sont surpris à sa vue, et une tristesse indicible d’hivers interminables vous prend à la gorge et aux yeux. Le bois est l’élément prédominant de la façade, un bois presque gris qui préfigure la solitude. Des rideaux blancs ajourés voilent l’intérieur à l’extérieur. Des regards d’enfants, aimants et illuminés de joie y ont contemplé le paysage de neige depuis une chambre douillette, et des regards de femme se sont perdus au loin dans les cimes aux couchers de soleil, y ont contemplé les étoiles de l’hiver.

C’est le chalet de famille Schumann à Interlaken, en Suisse.

 

antoniabrams3Deux jeunes filles

L’une, un peu plus âgée, est assise, vêtue d’une longue robe foncée, elle ne regarde pas le peintre, mais un livre rouge qu’elle fait semblant de lire ou contempler. Le livre pourrait bien s’appeler « Le joli bois » et l’image qu’elle contemple être une vallée dans laquelle s’étend comme un tapis, ô combien vert et foncé, un bois de sapins. Elle dit en silence : les livres et la musique sont mes vrais amis, je ne veux pas vous regarder si vous ne regardez pas mon âme.  La plus jeune, debout à droite de l’aînée, regarde, elle, le peintre et le futur, spectateur du tableau. Tout dans son attitude dit, regarde comme je suis belle. Le reste ne m’intéresse pas. Je me marierai et j’aurai des enfants. Elle ne dit pas, car elle ne le sait pas, car son innocence est intacte, qu’elle mourra en mettant au monde son troisième enfant.

Ce sont  Marie et Julie, filles de Robert Schumann et Clara Wieck.

 

 antoniaclaraUne dame à son trône.

Elle est assise à une chaise au long dossier en bois travaillé. Tout dans son attitude est agir, elle a devant elle mille claviers d’ombre et de lumière, tous les claviers de sa vie, et deux vies ne lui seraient pas suffisantes pour jouer de tous, pour les faire tous chanter, les cœurs des hommes aussi.  Mais elle a eu huit petites vies contre la sienne, ses enfants, ces petits intrus tant aimés. Ses yeux recèlent des mystères dont elle ne soupçonne même pas l’existence, c’est en la musique qui émane de certains cœurs que ces mystères se réveillent. Ses mains sont au repos comme le sont les oiseaux, entre deux envols. Une musique toujours nouvelle sommeille entre ses doigts, elle passe à travers comme du sable. Ah, elle aurait pu la faire chanter sous ses doigts, hélas, cette musique non née restera endormie pour toujours.

C’est Clara Schuman, née Clara Wieck.

 

 antoniabrahmshopitalUn hôpital

La façade est large et harmonieuse, l’immeuble semble posé sur le faite d’une douce colline de parterres, image de l’harmonie qui abrite la disharmonie. C’est là qu’il a perdu le langage qui l’unissait encore aux autres, les sons et les idées ont éclaté là-dedans, dans sa tête parquée dans ce magasin de l’étrangeté où sont rassemblés les perdus de ce monde. Des Anges et des Démons avaient investi cette tête vêtus d’or et de noir comme les abeilles dans leurs ruches et le miel fabriqué par tous ces pollens immangeables est devenu dans son cœur à lui pure transmutation. Maintenant la tête est une ruche dévastée où plus aucune Reine ne commande les travaux.

C’est la clinique mentale d’Endennich où a été interné Robert Schumann

 

 antoniabrahmscliniqueLa femme aux ciseaux attachés à son cou par un ruban rose.

Ils l’ont aidée à découper toutes ces images éparses pour en faire un album, mais sans couper les fils de soie légers et brillants comme le diamant qui les unissaient, qui reliaient des cœurs à d’autres cœurs, par des liens qui nous sont connus et par des liens qui resteront pour toujours dans l’invisible, comme le resteront les fils ténus qui guident les mains et l’ouïe dans cet univers, domaine d’Apollon  et des muses, qu’il est permis de fouler parfois à l’homme, guidé par la Musique.

Elle demande au Ciel un nouveau soleil, une nouvelle nuit, un nouveau sentier dans le bois de l’indicible et de nouveaux voyageurs pour ce vingt-et-unième siècle de tous les possibles qui est le nôtre.

C’est une femme anonyme à qui je ressemble.

 

 

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