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12 mars 2012

Tu seras un homme riche, mon fils, par ETTYLA

Cette nouvelle a été inspirée par le visuel ci-dessous.

 

laurettevisuel« Tu seras un homme riche mon fils »

 C’est avec ses mots que son père l’a quitté, en janvier, la veille de ses dix-huit ans !

Au souvenir de cet instant, Cyrille a un hoquet, un hoquet de sanglot, penserez vous, sanglot de chagrin ? Non, hoquet de dégoût, de surprise et de colère !

Pour retrouver son calme, il se lève, ouvre la porte-fenêtre et la vue le prend au cœur : de la colline où est juchée la maison familiale, son regard plonge littéralement dans la crique du Caillassou d’un côté et directement dans la cour de l’usine de l’autre.

Ainsi disait son bis-aieul,  on joint l’utile à l’agréable.

Les bureaux, cuisines et office donnent sur les ateliers, tandis que les salons, salles à manger et chambres s’éclairent sur la mer.

Le parc aux arbres centenaires descend en pente douce jusqu’aux murets de pierres sèches en lisière de la plage : pelouse, massifs de fleurs, pergolas et arbustes y sont soignés par une armée de jardiniers triés sur le volet.

Son regard se perd,  se fixe sur une voile qui tangue non loin du rivage et dans l’auréole de lumière ainsi formée, le visage tant aimé se dessine.

Il se sent enveloppé dans la douceur des yeux dorés et lumineux, sur ses joues aujourd’hui piquantes de barbe naissante, les lèvres maternelles semblent courir en légers baisers.

L’ombre d’un nuage vient soudain éteindre son rêve et dégonfler la bulle de tendresse.

Des enfants courent sur la pelouse ; il reconnaît ses petits neveux qu’il n’a pas vus depuis Noël, ce dernier Noël avec son père, Monsieur Joël Durand, des Café Durand, fils d’Amédée, petit-fils d’Hector, arrière petit-fils de Philippe, tous Durand devant l’éternel et propriétaires de l’usine Durand et fils depuis des générations.

-Ne vous échauffez pas ainsi, nous allons bientôt dîner.

Margaret, de la fenêtre du premier étage, invective ses petits-fils.

- ne vous salissez pas, votre père vous punirait.

Cyrille sourit et s’avance sur la terrasse pour la saluer mais elle a déjà disparu. 

Tante Margaret règne en tyran sur toute la maisonnée, de la soubrette à la cuisinière, du cocher au palefrenier. Son mari Jérôme et son fils Georges marchent au pas et gare à celui qui trébuche et perd la cadence.

Mais Cyrille aime bien sa tante : très vite, il a trouvé la faille dans sa carapace et a su s’attirer sa bienveillance : elle est juste, juste et droite, sans méandres ni faux-semblants. Il l’attend, l’embrasse avec tendresse et bras dessus-dessous, ils se rendent à la salle à manger d’été sous les ormes.

Autour de la table, immense bloc de marbre blanc soutenu par d’imposants pieds en fer forgé, Amédée dans un fauteuil en rotin trône à un bout, en face Jérôme déguste un léger porto, sa femme s’installe à sa droite et Cyrille s’assoit en face, entre les jumeaux ! Georges debout, semble énervé et impatient.

-Georges ! Assieds-toi, je t’en prie ordonne Amédée à son petits-fils.

Margaret tapote la chaise vide entre elle et sa bru :

-Viens Georges, viens et calme-toi.

A contre-cœur, obéissant à sa mère, Georges prend place.

-Papa, pourquoi oncle Thomas n’est il pas là ? demande l’un des enfants.

-Il est en Egypte, pour fouiller je ne sais quelle tombe dans l’espoir de trouver je ne sais quel trésor ! raille Georges.

-C’est bien triste qu’il soit si loin ! se plaint Margaret

Cyrille ne partage pas cette tristesse. Son frère lui tape sur les nerfs avec ses grandes phrases toutes faites, ses grands principes et son obstination à toujours avoir raison.

La dernière fois qu’ils se sont rencontrés, lors de l’enterrement de leur père, ils se sont encore une fois brouillés pour une histoire idiote, il ne se  souvient même plus laquelle. Le flegme, qui pourtant caractérise Cyrille, vole en éclat quand Thomas pontifie. De quinze ans son aîné, celui-ci se croit obligé d’éduquer son petit frère et Cyrille ne peut plus le supporter.

-S’il était venu, je ne serai pas là, affirme t’il, il est très bien en Egypte même si j’ai été surpris qu’il y soit parti.

-Mon cher Cyrille dit Amédée, si tu es présent ici aujourd’hui, c’est pour une raison bien précise et après le repas, je t’attends au fumoir ainsi que Jérôme et Georges.

Puis s’adressant au majordome, qui attend au garde à vous :

-à présent, vous pouvez servir.

Cyrille, étonné, s’apprête à interroger son grand-père, mais celui-ci lui intime silence, entame le bénédicité et lui répète : « Après le repas, au fumoir. »

 

C’est une belle pièce, tapissée de bibliothèques où sont présents tous les grands et illustres auteurs, en volumes reliés luxueusement.

Les hautes fenêtres aux tentures lourdes et imprégnées de la fumée des pipes et cigares de générations de Durand et fils, laissent entrer juste assez de lumière pour les confidences et le repos.

Installés confortablement, Jérôme et son fils Georges dégustent une fine.

Le père semble calme mais le fils triture sa moustache nerveusement.

Amédée accueille Cyrille, qui ayant atteint la majorité, est introduit dans le cercle des hommes :

-Assieds –toi, Cyrille, dans le club de ton père. C’est ta place désormais.

Surpris, mais obéissant, le jeune homme se cale au fond du vieux fauteuil au cuir odorant.

-Et quelle est la place de Thomas qui est pourtant l’aîné ? s’étonne t-il.

Les trois hommes se consultent du regard en silence.

Puis Amédée ordonne :

-Parle Jérôme !

Penché en avant, les bras posés sur les genoux, Jérôme cherche ses mots, tire sur son cigare, en étudie le bout rougeoyant et se décide pour une seule phrase lapidaire :

-Thomas n’est pas ton frère.

Stupéfait, Cyrille ne peut que répéter la phrase, scrutant les visages de ses aînés avec incrédulité.

Silencieusement, d’un regard, Jérôme invite son père à prendre la parole.

-Marie, ta mère, était une enfant chétive et pâle, une musicienne rêveuse, tout le contraire de ce que je désirais pour mon fils aîné, raconte Amédée. Très vite, j’ai su que le mariage serait un fiasco. En effet, après quelques mois de roucoulade, ton père s’est détourné d’elle et l’enfant tant attendu ne vint pas !

Chez nous, comme tu le sais, la charge du nom et de la fabrique revient traditionnellement au fils aîné du fils aîné. La santé de Marie se détériorait et ton père entretenait une petite en ville ! J’ai exigé qu’à sa naissance Thomas, fils de Jérôme soit le fils de Joël.

Cyrille, atterré par ces confidences, serre les poings de rage et d’impuissance, la haine qu’il ressent pour son père gonfle dans sa poitrine et le suffoque.

-Thomas est donc ton cousin conclut Jérôme. Et mon frère ajoute Georges.

Abasourdi, blessé, Cyrille reste silencieux, tassé au fond du fauteuil paternel !

Une main maigre et dure s’abat sur son poignet, et l’étreint.

Une serre d’aigle qui tient sa proie, pense Cyrille, celle d’Amédée le rapace.

-C’est toi le maître à présent.

La voix est aussi dure et sèche  que la main.

Le jeune homme se raidit et d’une secousse délivre son bras. Il ne laissera personne le mener là où il ne veut pas aller.

-Est-ce que Thomas sait ?

-Oui, nous lui avons dit lors de l’enterrement de ton père !

-Suis-je le fils de ma mère ?

-Sur le tard, ton père s’est assagi et est revenu vers Marie ! Ta naissance fut une bénédiction pour nous tous .

Son monde ébranlé, Cyrille dégringole, perd pied, son passé se déforme, se liquéfie, des pans entiers s’écroulent, des questions sans réponses s’éclairent, les endroits sombres sont mis en pleine lumière.

Amédée parle, explique, conseille, ordonne, mais Cyrille n’écoute rien. Il n’en finit pas de tomber puis tout à coup, il éclate de rire, il rit à gorge déployée, trop de mystères dévoilés, trop de tension.

A nouveau, la main s’abat sur lui et le secoue avec rudesse.

Il déboule enfin tout au fond du trou, les vannes de ses yeux débordent, il sanglote, lové dans le fauteuil. En lui l’enfant en quête d’amour et de tendresse étouffe, les épaules lourdes du fardeau hérité.

Debout devant son petit-fils, ses doigts broyant son  poignet, Amédée ordonne :

-De la tenue Cyrille, reprends-toi !

La voix sifflante et méprisante a un effet d’eau glacée jetée en pleine figure !

Le chaos dans lequel Cyrille se débat s’ordonne soudain : les yeux clos, il voit disparaître à tire d’aile ses illusions d’adolescent, la musique, la vie de bohême à Paris, les matins rêveurs au bord de la Seine, les soirées enfumées à refaire le monde entre amis. De gros nuages gris et pesants viennent encombrer son horizon.

Il reprend haleine et laisse son esprit remonter à la surface, les voix fortes et anxieuses le tirent vers le haut.

Amédée se penche sur lui, inquiet, ulcéré même et lui souffle au visage :

-Mon petit  voyons reviens parmi nous.

Résigné, sans force, Cyrille ne résiste plus. Quand, au bord du précipice il ouvre les yeux sur son grand-père ce qu’il voit l’atterre :

Deux flammes au fond de leurs orbites le scrutent !

 

« Tu seras un homme riche mon fils »

 

16/01/12

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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