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20 mai 2012

Portable, par Christiane Koberich

Un texte libre de Christiane, regard d'une voyageuse du quotidien sur notre monde et ses nouveaux usages. On pense à Montesquieu et ses Lettres persanes..

Portable.

portable2Le portable…

Nouveau compagnon, nouveau confident …

Il transforme nos rues, nos relations, nos rencontres…

Souvent intrus, il bénéficie pourtant d’une large indulgence.

Même quand il dérange, on n’ose s’en prendre à lui.

Car il dérange autant qu’il éveille notre curiosité.

Dès sa naissance il a induit des comportements particuliers, pas toujours agréables… Ainsi quand il sonne au cinéma, au milieu d’un film, et que son propriétaire répond, sans gêne.

Ou bien chez le médecin, lorsque le patient, en pleine auscultation, se précipite pour décrocher et fait signe au docteur d’attendre  une minute…

La phrase clé, le « sésame ouvre-toi » de la conversation téléphonique est devenu : « Allo ! T’es où là ? » Combien de fois l’entendons-nous dans une journée ?

Parfois suivi d’un : « Oh merde, fais chier ! » paroles que nos conventions sociales censurent, mais  dont  l’auteur, même lorsqu’il  le clame en pleine rue, n’est nullement gêné.

 

Que dire également de son invasion dans les magasins où chacun devient malgré lui le témoin de récits qui ne lui sont pas destinés.

Ainsi, dans un magasin de chaussures. Une femme entre, portable vissé à l’oreille, en criant : « Mais qu’il dégage. Allez ouste… »

Ces deux phrases, répétées plusieurs fois, entrecoupées de silences, indispensables pour entendre la réponse de son interlocuteur ou interlocutrice, occupent un bon moment l’espace sonore du magasin. Autour, les clients et les vendeuses, tout absorbés par le choix de chaussures, lui jettent de temps à autre des regards furtifs. Peut-être reconstituent-ils des scènes, dans leur imaginaire. Sans doute n’osent-ils pas demander des précisions à la dame au portable. Mais ils peuvent se poser des questions. C’est son gendre qui quitte sa fille ? Ou son beau-frère qui quitte sa sœur ? Ou son voisin qui envisage de quitter les lieux ? Mais pourquoi ? Peut-être qu’elle crie trop  fort alors il ne la supporte plus ? On n’en saura pas davantage.

Bien sûr, on s’en fiche, ça ne nous regarde pas, et on est venu pour des chaussures. Mais quand même, cette manie de faire partager sa vie personnelle, de nous prendre à témoins, alors qu’on ne le demande pas, nous laisse malgré tout sur notre faim. On aimerait  en  apprendre davantage… Or ça ne se fait pas, ce serait indiscret, mal venu… Enfin, pour l’instant, ça reste indiscret. Mais imaginons qu’un jour, des  gens comme vous et moi,  frustrés de ne jamais pouvoir connaitre l’histoire réelle dont on leur lance des bribes, conscients qu’on a créé chez eux un besoin de savoir, alors qu’ils s’en passaient fort bien jusque-là… Imaginons donc que ces gens, lassés de cette situation, fondent un jour une association qui revendiquerait le droit d’en savoir plus, d’interroger le possesseur du portable, d’exiger qu’il réponde… Ce serait la condition sine qua non pour qu’il soit autorisé à hurler sa vie privée aux oreilles de tous, dans l’espace public.

Tout changement de société s’accompagne de nouvelles règles. Pourquoi pas celle-là ?

 

Il y a aussi  de réelles avancées, grâce au téléphone portable. Par exemple, dans le domaine de l’égalité entre hommes et femmes.

Observez autour de vous ces messieurs, novices dans l’art de faire les courses, qui il y a peu, refusaient d’aller au supermarché, et que l’on rencontre maintenant, plantés devant un rayon, portable bien sûr vissé à l’oreille, et qui crient, eux aussi, à l’adresse de leur femme restée à la maison pour profiter d’un moment de repos mérité. « Alors ça y est, je suis devant les fromages… Oui… A côté des camemberts ? Oui, d’accord. Attends, je me déplace. A droite ou à gauche ? Ah non, je ne vois pas. Comment est l’emballage ?... Et tu l’aimes toi ce fromage ? … Non parce qu’on pourrait changer. Enfin c’est comme tu veux. Si tu préfères… Mais on pourrait prendre quelque chose de plus crémeux, pour changer.  Enfin c‘est toi qui vois… Ah ! Tu préfères que je choisisse ?  Mais tu sais ça m’est égal, je suis pas difficile. C’est plutôt pour toi. Bon d’accord, je prends ce que je veux. »

Un quart d’heure pour un fromage ! Est-ce vraiment rentable ?

 

Et que dire de ce jeune homme ?

Il rentre à la boulangerie, portable vissé sur l’oreille. Il explique à son interlocuteur un problème technique. Devant, deux personnes dans la file attendent d’être servies.

Lui, continue sa conversation, parlant  très fort, toujours absorbé par son problème technique.

Quand arrive son tour il fait un signe à la vendeuse : il montre une baguette, pose quatre vingt centimes et s’en va, portable toujours vissé à l’oreille, parlant toujours très fort.

Bonjour, merci, au revoir… Connait pas !

 

Nouvel objet, nouveaux comportements, nouvelle politesse.

 

Christiane Koberich

 

 

 

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