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2 juin 2012

La Taiseuse, par Michelle Jolly

Piste d'écriture : juxtaposer les points de vue, en alternant les narrations à la première personne.

 

La « Taiseuse »

 

« - Quand tu as appelé hier soir, je n’y croyais pas ! ça fait si longtemps ! six ? huit ans ? tu as de la chance de m’avoir trouvée,  je reste à La Taiseuse  encore quelques jours, je n’aime pas m’éterniser ici, c’est tellement calme, enfin, tu connais, bien sûr ! »


« Bien sûr ! Je la regardais, surpris, car les années n’avaient pas de prise sur elle,  plus que jolie, elle m’avait toujours ébloui par cette constance à afficher dans toute situation un visage dont la beauté ne s’altérait d’aucune marque. Alice, mon rêve d’ado, presque une statue, un roc où je m’étais heurté plus tard, jeune diplômé plein d’assurance et de projets. Alice qui cadrait si bien,  je croyais, avec « La Taiseuse », sa vieille maison où nous avions passé autrefois de nombreuses vacances suivant nos parents, amis de longue date qui se retrouvaient là chaque année.

La Taiseuse  : vieilles pierres, toit d’ardoise grise, la Vendée sauvage, près de la Venise verte ; petites pièces, plafond bas, un escalier de bois aux marches sonores puis, derrière, donnant sur les étangs proches, la grande terrasse bordée d’un muret de carreaux bleus. Un puits, qu’un rosier rouge tentait de recouvrir, la prairie où régnait un cerisier aux branches basses, et tout au fond, un petit poulailler abri de trois ou cinq poules, que l’on gardait le temps des vacances, pour les œufs, et qui squattaient ensuite le jardin voisin. Cette maison était mon eldorado, enfant, j’y avais mes cachettes, les courses folles dans les herbes, parfois la boue, et, de retour à la maison, la cheminée de la salle, où , dos aux bûches, quand la chaleur séchait ma chemise, mon regard se perdait sur le mur d’en face, là où je rêvais devant « Le bois de Gauguin », un petit tableau que l’on appelait ainsi parce que les nageuses ressemblaient aux vahinés, et qu’elles se reposaient au milieu d’arbres exubérants. J’aimais rêver devant cette œuvre, sans valeur sans doute, mais avec elle je partais loin, très loin… »


« - Eh ! Sam, tu t’endors ? Rentrons dans la maison, il fait trop chaud dehors… Je suis heureuse de te voir, il y a si longtemps !                         

Il a l’air un peu perdu, pense-t-elle, son regard si vite ailleurs, comme avant, un poisson, je crois, insaisissable ; Sam le distrait, il m’intriguait autrefois,  souvent dans mes jambes. J’ai compris qu’il s’intéressait à moi, mais je ne l’imaginais pas partager ma vie, trop incertain, et ce besoin sans cesse de partir, cette curiosité d’ailleurs qui ne m’a jamais tentée. Il vieillit bien, une force, une assurance, dans son regard, ses gestes, j’aimerais bien, maintenant..

- Tu ne reconnaitras pas la maison, j’ai tout changé, les vieux décors m’ennuyaient, et les couleurs de ma mère me donnaient mal au cœur, tu te souviens ?

- Oui, la grande cuisine jaune, j’aimais bien, c’était le soleil qui se prolongeait à l’intérieur…

- Tout est blanc, maintenant, en bas et à l’étage, de la sobriété, pas de souvenirs accrochés, ça m’agace, quelques meubles, le nécessaire, modernes, pratiques.

- Tu as gardé la cheminée, quand même ? 

- J’ai hésité, la corvée de bois c’est pas mon truc,  mais je lui ai fait grâce.. ; de toute façon je ne viens pas souvent, ma vie c’est à Paris, mon travail, mes amis, et depuis mon divorce,  je sors souvent, alors, La Taiseuse ne me voit beaucoup. »


« Tout en parlant, elle marche à droite, à gauche, se baisse pour ramasser un livre sur le tapis, je ne me lasse pas de la regarder bouger, son beau corps à l’aise dans tous ses mouvements ; si sûre d’elle, de ses gouts, du chemin  suivi… Je ne reconnais plus la maison, un instant je  lui en veux de tous ces changements ; je voudrais tellement après tant d’années d’imprévus, d’erreurs, d’incertitudes, retrouver un peu de racines.  Je lui prends la main, sa maison était un écrin, et  je m’y perds : « Ta maison est belle, et elle te va bien », c’est faux, je ne le pense pas mais je ne veux pas la blesser. Ces quelques jours auprès d’elle sont un présage.

- Alice, ma belle, je suis venu pour toi ! 

Elle ne répond pas, nous sommes dans la salle, mon regard fait le tour de la pièce, un désert, rien aux murs, c’est sobre dit-elle, la mode ! , je m’en veux de murmurer, tout bas, « Où est Le bois de Gauguin ? », elle ne m’entend pas, va chercher dans la cuisine un grand bol de framboises fraichement cueillies,                                        

- C’est Manon la petite, tu te souviens, on l’appelait microbe, elle n’a pas beaucoup grandi ! Elle m’apporte parfois des fruits de son jardin…

On partage en riant, la complicité s’installe un moment, elle me parle de sa vie,  je l’écoute un peu, la regarde,  je voudrais que cette semaine soit belle. On se rapproche, longs monologues et longs silences… Le temps passe… »

- Demain on rentre à Paris, annonce Alice qui a tout programmé.

« Elle veut construire quelque chose ? » pense Sam en s’éloignant…

 

Puis, le lendemain ; sur le chemin qui monte, derrière l’église,

« Il est arrivé avec son sac à l’épaule, a passé sa tête par la fenêtre ouverte et m’a dit :

-  C’est toi Manon ? merci pour les framboises ! 

J’étais encore dans l’atelier, je tournais un vase. Je le reconnus tout de suite,  Sam et sa tignasse ébouriffée, son air désarmant, j’ai ri à sa question, il restait là à me regarder un sourire aux lèvres,  

-  C’est beau ce que tu fais ! 

Il a posé son sac, je lui ai servi un verre. Rentré à l’intérieur il regardait étonné autour de lui, je répétais pour me justifier,

- ça elle l’avait jeté, alors je l’ai pris, ça, elle me l’a échangé contre du miel, ça c’est sa mère qui me l’a donné.

Il souriait en reconnaissant  La Taiseuse, la petite commode en merisier,  l’horloge à balancier qui ne marchait plus et au mur du salon, le petit tableau !  Il s’est assis devant, longtemps, et m’a demandé s’il pouvait rester un moment, et c’est là que mon petit Luc est entré. Il l’a pris sur ses genoux, raconté l’histoire de « la Taiseuse », du Bois de Gauguin, puis tous ses voyages, il n’arrêtait pas et n’arrivait pas à nous quitter.

Dans ma maison où il n’y a plus d’homme depuis longtemps, c’est la fête, on rit beaucoup, il n’a pas encore de projets, nos soirées sont douces, parfois tendres,  et je n’ai pas envie de le voir partir ; on verra ça demain. »               

 

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