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8 juin 2012

Lettre à Agathe, par Jacqueline Chauvet-Poggi

Piste d'écriture: l'univers pictural de René Magritte...

 

LETTRE À AGATHE

(Inspiré par une toile de René Magritte, "En hommage à Mack Sennet")

   

Magritte penderie

Je ne l’avais jamais vue mais je l’ai reconnue, je t’ai reconnue. Cette longue tunique, vide, molle, flasque, accrochée à un cintre dans ce placard oublié. Tu m’avais parlé de quelque chose comme ça mais je croyais qu’elle n’existait pas.


 Tu m’avais raconté ton enfance, ton adolescence, comment tu avais lentement construit ton passage à l’âge adulte. Tu disais : « Je n’étais pas introvertie, ni rebelle ni marginale, seulement secrète et résistante. Je sentais qu’il fallait me mettre à l’abri des influences bien intentionnées de mon entourage. Alors je me suis fabriqué une armure invisible, une frontière protectrice, une sorte de filtre. Je pense que tout le monde ressent cela. Pour moi c’était presque concret, j’imaginais mon moi profond dissimulé sous une ample robe blanche comme les vierges de l’antiquité. Elle m’a accompagnée, enveloppée, si longtemps, jusqu’à ce que…..»


Tu as été ce qu’on appelle une petite fille adorable, puis une agréable adolescente, gaie, studieuse, sociable. Tu ne repoussais pas tout ce dont tes proches t’entouraient affectueusement, tu triais, expérimentais, acceptais ou rejetais, emportant dans ton secret ce qui te semblait utile.

Je me rappelle tes paroles : «….l’envie de mes jambes d’aller ailleurs que sur leurs pas, mes émois sentimentaux sensibles à d’autres critères que ceux de leur code de bonne conduite, l’aspiration à m’échapper du chemin censé conduire mon âme à son salut. Celui-ci me semblait être un labyrinthe étroit aux parois hérissées de pointes qui représentaient les péchés de toute sorte qui nous guettaient ».

 

Tu me fais penser à un sculpteur que j’ai connu. Il travaillait sur un bloc de terre glaise et recouvrait tous les soirs d’un linge humide son travail de la journée. A lui aussi on proposait des modèles, des conseils. Il ne répondait pas, nettoyait lentement ses mains en vous regardant sans vous voir, uniquement concentré sur son projet, jusqu’à ce qu’il dévoile enfin son œuvre achevée.

Et toi, quand as-tu compris qu’il était temps de mettre fin à cette existence d’éternelle axolotl pour libérer l’imago adulte que tu étais devenue ?

 

En ouvrant ce placard je crois que j’ai compris. Ces deux seins insolites qui me fixent de leurs yeux globuleux, c’est la clé, le stade suprême du dépouillement. Tu avais chez toi une reproduction du tableau représentant le martyre de Sainte Agathe, portant sur un plateau ses seins coupés, comme deux gâteaux surmontés d’une cerise. « L’icône de ma Sainte Patronne, disais-tu, un peu hard, mais c’est la seule que j’ai trouvée ».

Tu m’as souvent parlé de tes rapports à tes seins, tu les trouvais jolis, parfaites demi-pommes, indifférents aux lois de la gravitation. Pas assez gros, te disait-on, tiens toi droite pour les mettre en valeur. Pour qui, pour quoi ? «  Il me suffisait qu’ils soient des capteurs d’émotions. Le frôlement d’un fin tissu, un courant d’air sur mon buste et je devenais sensible, réceptive, vivante comme une statue animée par un souffle créateur. »

 Tu n’as pas su te défendre contre l’agression du mal venu sournoisement s’installer au cœur de cette chair tendre. Contrecoup d’autres gifles du sort ? Coup de semonce pour provoquer le moment de l’éclosion ? « Je les ai sacrifiés contre la promesse de la santé, j’ai décidé leur mort, coupés, arrachés, jetés aux ordures dans un sac spécial déchets humains médicaux…. »

 Tu en es sortie victorieuse, diminuée mais accomplie, plus rien à changer, rien à jeter, rien à ajouter. Toi,  seulement toi, telle que je t’ai rencontrée, Agathe pour moi à jamais.


 

 

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