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16 juin 2012

Visite impromptue, par Evelyne Grenet

Piste d'écriture: alterner les points de vue des personnages, dans un récit à la 3e personne.
Le texte qui suit est un extrait du roman qu'est en train d'écrire Evelyne. Elle nous donne le contexte de la scène en italique. Bonne lecture!

Visite impromptue

                        Chloé revenue en Ardèche pour vendre la maison familiale fait une visite surprise à un vieux voisin qu'elle a bien connue dans son enfance. Content de cette visite inattendue, son hôte improvise un petit repas de bienvenue.

 

panier-de-cerise

Assise à la table de la cuisine qui fait aussi office de salle à manger, Chloé observe Marcel en train de battre les œufs dans un grand saladier. Les souvenirs remontent à la surface de sa mémoire par flashes rapides : les paniers chargés de cerises qu'il ramenait triomphant, ceux tout aussi combles de champignons à l'automne, les courses effrénées dans les champs lorsqu'il la juchait sur ses épaules. Elle riait aux éclats... Fixant toujours le dos de Marcel, elle esquisse un léger sourire de tendresse à cette évocation

Son regard se promène ensuite dans la vaste salle. Très encombrée, elle est la seule pièce à vivre de la maison. Éclairée par une fenêtre trop petite, elle est très sombre. A côté de cette ouverture se dresse l'horloge Comtoise qui scande toutes les heures de la journée. A sa suite, le vieux buffet en noyer plie sous une charge importante de vaisselle. Les yeux de Chloé se portent de l'autre côté de la pièce, où en avant du mur, se trouve le fourneau à bois. Autrefois Marie, la mère, le faisait fonctionner pour cuisiner et se chauffer, été comme hiver. Récemment sans doute, une gazinière a été installée juste à côté pour assurer le relais à la belle saison.

            ― Tu vois je me suis modernisé, je me sers du gaz !

            ― C'est mieux mais je pense que ta mère, jadis, n'aurait jamais accepté ça...

            ― C'est sûr, convient Marcel en riant.

En lui-même il se dit que cette mère qui pourtant l'adorait ne lui laissait jamais aucune initiative dans l'organisation de la maison. Elle dirigeait tout du haut de ses un mètre soixante. Quelle maîtresse femme tout de même !

            ― Veux-tu que je t'aide ? Je pourrais mettre les assiettes ?

            ― Prends-les dans le buffet, en bas à droite.

La table est embarrassée de feuilles, de classeurs, de livres et Chloé doit repousser quelques bouquins pour pouvoir mettre le couvert. La jeune femme est intriguée par tout ce matériel. Ce pauvre Marcel n'a pas du tout le profil de l'étudiant. Que peut-il bien faire de tout cela ?

            ― Que fais-tu avec tout ça, Marcel ?

            ― Oh !... rien de spécial... Si, je lis... J'ai plus de temps maintenant que je suis à la retraite !... Et toi, s'empresse t-il de demander, tu continues la peinture ?

            ― Oui bien sûr mais j'expose principalement les autres artistes, peintres et sculpteurs. C'est ce qui me fait vivre. Je me suis associée avec une amie et j'ai ouvert une galerie de peinture à Aix-en-Provence.

            ― Et ton mari ?...Il y a eu une rumeur... C'est vrai qu'il... que vous...

            ― Oui ! Nous avons divorcé. Ça a été dur pour moi, mais j'ai tourné la page...

Il a la pudeur de sa génération et n'ose pas dire directement les choses, songe Chloé.... Certains sujets sont encore tabou pour lui. Pourtant je vois bien qu'il sait... J'ai envie de lui dire : oui c'est bien ça mon ex était homosexuel... Mais, pourquoi jouer la provocation ? Pourquoi le mettre mal à l'aise ?

            ― Tu es heureuse maintenant ?

            ― Oui ça va ! Je vais bientôt partir avec Titouan, et des amis au bord de la mer pour quelques jours de vacances... A propos, Titouan te passe le bonjour !

            ― Ah ! vous êtes adorables tous les deux... Quand toute votre famille était en congé, le nombre de fois que ton frère m'a aidé dans l'été ! J'en suis reconnaissant ! Un vrai fils pour moi ! C'est loin tout ça ! Tu te souviens quand nous faisions les moissons ?... Comme le temps passe vite...

            Marcel évoque pour lui-même le bonheur qu'il éprouvait à voir Isabelle, à cette époque là. A cause de ce maudit accident il ne la reverra plus jamais... Chloé a atteint son âge maintenant. Comme elle ressemble à sa mère ! « J'ai l'impression d'avoir Isabelle en face de moi. Toute mon émotion remonte à la surface. » Il se sent rougir. Pour cacher son trouble, il se retourne et verse dans la poêle les œufs battus.

            ― C'est sûr que le temps passe vite. Je n'en reviens pas que tu sois déjà à la retraite...

            ― Mais si ! Je suis né en 1940 ! En pleine guerre ! Mon père avait eu une permission, et après une longue séparation, les retrouvailles ont été chaleureuses...Neuf mois après j'étais là !

            ― Tu es un vrai bébé bonheur, un enfant de l'amour !

            ― Toi aussi tu es un enfant de l'amour !...

« Quel bête je suis songe encore Marcel elle ne sait rien de sa naissance... J'en ai presque trop dit. Je n'ai pas le droit de trahir pareil secret. »

            ― Oh ! Moi ! Je ne sais pas si c'est pareil... murmure la jeune femme.

Elle revoit en pensée ses parents très respectueux l'un de l'autre. Une relation enfermée dans le paraître légitimement correct. Jamais d’effusion de joie, jamais de dispute... Le calme total sans tempête... La seule dispute qui eut lieu, suivie de l'accident, leur fut fatale... Les voilà liés par la mort à présent...

Marcel et Chloé se sentent gênés. Seuls le cliquetis des fourchettes dans les assiettes et le bourdonnement d'une mouche prisonnière contre la vitre de la fenêtre, cassent le silence.

Conscient qu'il doit briser le mutisme dans lequel ils se sont réfugiés, le sexagénaire se lève et se dirige vers le réfrigérateur.

            ― J'ai des yaourts et de la compote de pommes pour le dessert... Mais je ne sais pas si tu as assez mangé ?

            ― C'est parfait ! Ton omelette et les tomates à la provençale étaient délicieuses ! Tu es un vrai chef cuistot !

            ― Oh Chloé ! N'exagère pas tout de même ! C'était tout simple...

            ― Il va falloir que je parte maintenant car j'ai beaucoup de route à parcourir pour regagner Aix. Mais avant de partir je prendrais bien un petit café s'il te plait. Je suis très heureuse du moment que nous avons passé ensemble et je te remercie d'avoir improvisé ce déjeuner...

Tiens je te donne ma carte, tu y trouveras mon numéro de portable au cas où tu voudrais m'appeler. Maintenant que tu as toi-même le téléphone, c'est pratique !...

            ― D'accord, on ne sait jamais, je pourrais avoir un contact pour ta maison...Tu reviens quand tu veux ! Tu seras toujours la bienvenue...

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