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30 septembre 2012

Le phénix des hôtes de ces bois, par Evelyne Grenet

Pistes d'écriture: La vie quotidienne comme aventure. Et : énumérer les objets contenus dans, par exemple, un sac, pour obtenir un portrait en creux d'un personnage.

 

Le phénix des hôtes de ces bois

 

 chataigneraieToute à ses pensées, Myriam remonte péniblement le chemin accidenté qui grimpe dans la châtaigneraie. Son mari est loin devant elle et file à son rythme. Il pratique la marche forcée. Elle, au contraire, voudrait flâner, s'approcher doucement du papillon qui butine délicatement une des dernières fleurs de l'été, se déchausser, sentir la fraîcheur de la mousse sous ses pieds, humer à plein poumons la fraîcheur du sous-bois, se délecter des merveilles que lui apportent ses sens en éveil, des petites choses, tout simplement...

 

Ce matin, Myriam n'était pas en grande forme. Au petit déjeuner, et sans attendre son consentement.

― Si on partait faire une randonnée en Ardèche ? lui avait demandé René son mari.  Bien prépare-toi ! ajouta-t-il aussitôt après. Dans le frigo, on a bien de quoi faire un pique-nique, non ? Des tomates, du jambon... des pommes, ça ira bien pour le petit creux supplémentaire ! Il ne manque que le pain.

Assise devant son café les paupières encore lourdes de sommeil, Myriam reçut en pleine figure ce monologue ''questions, réponses''. Elle n'arrivait pas à sortir de sa léthargie. Tous les jours, une grande lassitude l'envahissait comme un gros morceau d'ouate qui l'étouffait et qui, malgré la légèreté de sa consistance, pesait sur elle. Elle ébaucha un geste pour exprimer sa lassitude et dire à quel point elle n'était pas en forme. Ce faisant, elle renversa sa tasse et le café brûlant se répandit sur son pyjama. Aussitôt une averse de mots fusèrent sur elle la sortant de sa torpeur.

― Quelle maladroite, une vraie miss catastrophe... Mais secoue-toi un peu !

Elle s'interrogea sur son mal-être : « C'est vrai songea t-elle, qu'est-ce-qu'il m'arrive ? » Elle trouva des réponses toutes faites comme: « Ton métabolisme change, la ménopause alourdit ta silhouette et plombe ta vie... Un peu plus de sport te ferait sûrement du bien... » Puis parodiant mentalement son mari elle se motiva : « Tu dois rebondir, ne te laisse pas aller ma fille. »

― OK va chercher le pain, lança t-elle soudain du ton le plus ferme possible, moi je me prépare.

Contente malgré elle d'avoir pu à son tour balancer un ordre, elle épongea le café répandu sur la table...

 

Et la voilà deux heures plus tard dans la châtaigneraie, marchant péniblement.

« Il faut que je me dépêche, René est loin maintenant. » Elle accélère le pas, tête en levée pour admirer, une fois encore, la douceur de la lumière tamisée. Le soleil infiltre les branches des châtaigniers, colore de jaune les feuilles rouillées prêtes à tomber. Mais la perfidie d'une racine lui crochète le pas, et elle trébuche de tout son poids, la voilà à terre. Accrochant une branche, son sac se déchire, sa bouteille d'eau roule devant elle. Elle quitte difficilement ses chaussures et masse sa cheville endolorie.Une douleur aiguë la harcèle, elle comprend que la randonnée est finie pour elle. Ironie du sort, elle a atterri sur un moelleux coussin de mousse. Elle frotte doucement ses pieds sur ce velours verdoyant et se laisse pénétrer d'un bien-être surprenant. Elle est là toute seule dans ce bois assise par terre, plus rien n'a de l'importance maintenant. Elle regarde autour d'elle et entrevoit le piolet miniature qui s'est détaché de son sac lors de sa chute. Attendrie, elle se souvient quand Cécile lui a donné la breloque après un mois de fouilles acharnées sur le site archéologique de l’oppidum. Cécile était le maître de stage d'un groupe de 11 filles et garçons. Un mois de tendres complicités avant la rentrée à l'université. Les gestes répétés jour après jour, la terre déblayée, jusqu'à la découverte de quelques ossements nettoyés par la caresse d'un pinceau. La joie de tous dans cette découverte, aboutissement de leur travaux. Sur le quai de la gare, le jour du départ, mouchoir à la main, les larmes dans les yeux Cécile avait distribué à chacun un piolet miniature pendu à un porte-clés. « Je n'ai pas trouvé de pioches, ni pelles, ni brouettes avait-elle dit avec un rire nerveux... C'est donc lui qui symbolisera notre groupe ». Elle tendit à tous l'objet souvenir. « Gardez-le en mémoire de nos travaux » avait-elle ajouté.

Depuis, Myriam a toujours conservé le porte-clés, l'accrochant tour à tour à un sac puis à un autre au fur et mesure de ses changements de tenues. René s'est toujours moqué de ce qu'il appelle des mièvreries. Pour Myriam, cela n'a rien à voir. L'objet lui apporte du baume au cœur à chaque fois qu'elle le regarde ou qu'elle le touche. Il lui rappelle tous les membres du groupe travaillant ensemble avec les mêmes élans pour la même passion. Bonheur d'une communion partagée, tel les musiciens jouant à l'unisson la même partition au sein de l'orchestre.

― Mais qu'est-ce-que tu fais là assise par terre à rêvasser, alors que je t'attends cent mètres plus haut ?

René est furieux et bondit vers elle comme un félin sur sa proie.

― Je suis tombée... J'ai mal à ma cheville... Myriam a l'air d'une somnambule réveillée brusquement et sort péniblement de la bulle de ses souvenirs.

― Quelle empotée ! Remets tes chaussures !

― Je ne peux pas... J'ai trop mal... Il me faudrait un bandage pour gainer ma cheville...

― Bon je vais téléphoner... Le pharmacien en bas au village est un pote, il va nous dépanner... Donne-moi ton téléphone car je ne capte pas avec le mien...

― Regarde dans mon sac... Il doit y être...

― Je ne le trouve pas ! Quel foutoir !

Exaspéré, René renverse le contenu du sac dans la poussière du chemin.

― Mais quel foutoir, répète t-il. Que des bêtises dans ce sac ! La batterie de ton portable est à plat ! C'est la cerise sur le gâteau !...

Effarée, Myriam regarde le bric-à-brac par terre, et en fait un inventaire à la Prévert : la lettre de son frère dans son enveloppe, chiffonnée à force d'être lue, un ticket de métro périmé, un album photos de poche, une boite d'aquarelle, un carnet de croquis, un mouchoir brodé, un éventail japonais, un sachet de bonbons, L'élégance du hérisson de Muriel Barbery, un scarabée doré qui escalade sa pince à cheveux, une écharpe en soie, des fourmis courant en tous sens perturbées par l'avalanche d'objets sur leur demeure mais pas de raton laveur. Ses rêves meurtris car trop bousculés. A la vue de ses trésors maltraités, Myriam se met à pleurer.

― Bon tu as trop mal dit René se méprenant sur les larmes de sa femme. Reste ici je vais chercher du secours au village... Je vais bien trouver une solution !

Il tourne le dos et redescend aussitôt le chemin parcouru une heure plus tôt.

Myriam retrouve le calme du lieu, troublé seulement par des croassement de corbeaux au loin. Elle rassemble dans son sac les objets épars et tente d'attraper sa bouteille d'eau pour boire un peu.

― Bonjour ! Vous avez un problème ? Vous êtes seule ?

― Non, euh... c'est à dire... euh... je me suis fait mal en tombant...

Elle bredouille, surprise par la robustesse de l'homme qui se dresse devant elle. Sa randonnée achevée, transpirant, il redescend vers le village. Il lui propose aussitôt son aide.

― Vous allez vous cramponner bien fort à mon cou, je vais vous porter.

Il ramasse déjà le sac de Myriam, met la bouteille d'eau et les chaussures dans sa propre sacoche.

― Oh merci mais...

Myriam se remet à pleurer devant tant de gentillesses.

― Ne pleurez pas ma petite dame, je vous dis que ça va aller !... Vous savez le village n'est pas si loin !...

Voilà comment une quinquagénaire se retrouve dans les bras d'un colosse qui la porte avec beaucoup de facilité. « Je pensais avoir des kilos en trop, songe Myriam qui s'amuse, à présent, du grotesque de la situation. C'est mon prince charmant, il m'enlève pour un avenir meilleur. René dit toujours qu'il renaît après une situation difficile, mais aujourd'hui c'est moi le phénix des hôtes de ces bois. Il faut que ma vie change je vais m'en occuper dès maintenant... »

 

***

 

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