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10 octobre 2012

"Furtive" par Jean-Claude Boyrie

« Vivement cet hiver qu'on attende l'été ! »  (4)

 

Furtive.

 

Pétale

 

Dans la poussière,

l'empreinte d'un pied menu :

pétale envolé.

Leurs pas s'étaient croisés ceux voici déjà vingt ans. Qu'est-ce qu'il peut bien rester d'une futile aventure au bout d'un temps aussi long ? Soledad signifie « solitude ». Elle était l'étudiante que Raph' avait prise en stage deux mois durant. Elle aurait pu ne laisser dans sa vie qu'une trace infime.... Mais non. Cette fille, allez savoir pourquoi, l'avait marqué. Leur histoire avait tourné court, d'une manière assez ridicule, autant dire un médiocre vaudeville ; un souvenir humiliant pour son orgueil de mâle, qu'il eût préféré gommer de sa mémoire.

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« Agapanthe, à l'occasion de la parution de votre vingt et unième roman aux Éditions du Riu Negre, vous avez accepté de répondre aux questions de nos auditeurs sur l'antenne de Freqüència Emporda (Fréquence Empurdan).

  - Je le fais pour vous, à titre tout-à-fait exceptionnel.

  - Comment se fait-il d'abord que l'on ne vous connaisse que sous le pseudonyme d'Agapanthe et que le public ignore votre visage et votre véritable identité ?

  - Je vous répondrai que des impératifs de vie privée m'y conduisent. Contrairement à certaines, j'ai refusé de poser nue dans un bain de Champagne (en Catalogne, il s'agirait plutôt de Codorniù). Je déteste la foule et pense que pour un auteur, l'anonymat n'a rien de gênant. Il peut même s'avérer porteur, commercialement parlant.

  - Votre livre s'intitule « Vivement l'hiver qu'on attende l'été ! ». Pourquoi ce titre surprenant ?

  - Vous le saurez quand vous l'aurez lu jusqu'au bout.

  - Pourquoi tous vos romans se passent-ils dans un jardin ?

  - Parce que le jardin, c'est ma vie.

  - Ce qui explique sans doute les pétales de rose épars sur la photo de couverture ?

  - Oui, mais pas seulement. Mon récit se déroule au tout début de l'été. C'est l'époque où la nature est en fête, mais où déjà les roses se fanent, je parle des variétés anciennes que seules je cultive, parce qu'elles ont une odeur. Le parfum des fleurs a vertu de recentrer les émotions et faire surgir les souvenirs. Les pétales envolés peuvent s'entendre comme une allégorie du temps qui passe. Ou peut-être les morceaux d'un puzzle que le lecteur va devoir assembler pour suivre le fil de mon récit.

  - Pouvez-vous lever un coin du voile à l'intention de nos celles et ceux qui nous écoutent ?

  - Franchement non. Ce serait déflorer l'histoire que je vous invite à découvrir.

  - Il se dit qu'un producteur français envisage de racheter les droits de votre oeuvre pour en tirer un film.

  - Exact. Ma meilleure amie, française d'origine, s'est attelée au scénario. Pour savoir ce que ça donnera, patientez un peu !

  - Agapanthe, merci !

  - Merci à vous de m'avoir invitée.

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A tots i a totes, bon dia ! Je m'appelle don Enrique Roig i Nadal et je suis médecin neurologue à Vilanova. En 95, j'avais trente trois ans, j'en ai cinquante aujourd'hui, Raph' était mon meilleur ami. Nous sommes presque du même âge. Sa femme Thérèse est très liée avec la mienne, je veux dire qu'elles étaient amies, avant que la maladie ne frappe Muntsa. Jusqu'à ces jours derniers, j'ignorais ce qu'étaient devenus les Escudié, car nous sommes restés longtemps sans correspondre. Je viens d'apprendre que Raphaël a conservé son cabinet d'architecte à Sant Galdric, mais qu'il a divorcé de Thérèse. Je viens de faire la connaissance de sa compagne actuelle, Alice.

De quoi voulais-je parler ? Ah oui ! L'affaire de Castellvi.... On peut dire que la déviation routière a divisé nos concitoyens et suscité de nombreuses polémiques. Raph' manquait de travail, j'avais cru lui rendre service à en lui confiant l'audit paysager, cela ma valu d'être taxé d'ingérence, on a parlé d'un conflit d'intérêts. N'ayant cherché qu'à dépanner un ami, j'ai perdu ce jour-là une belle occasion de me taire. Quelle idée aussi d'aller chercher un « gavatx », quand il y a tant de talents inemployés de ce côté de la frontière. On me l'a assez reproché ! Cette histoire a débouché sur notre longue brouille, mais n'anticipons pas.

Pour comprendre la situation d'alors, il faut prendre les choses à leur début. J'agissais en qualité d'adjoint aux affaires culturelles du batlle de Vilanova.

Entre parenthèses : notre municipi compte sur son territoire maints fleurons du patrimoine catalan , dont le le port de pêche de Blanda, son site archéologique et bien sûr le jardin botanique Mar i Murtra. J'ai fait relever les ruines del'ancien couvent des Franciscains, un asile de calme et de sérénité devenu clinique de Capellans. C'est dans ce centre réputé de neurologie que mon épouse Montserrat est soignée pour troubles mentaux. Elle est affligée d'aphasie anosognosique, une maladie rare qu'aucun spécialiste n'avait décrite avant moi.

Parlons à présent de la citadelle de Castellvi, haut-lieu du tourisme, une destination incontournable pour les curieux du passé. Juché sur un promontoire, ce fort est prisé des visiteurs, les rues de la vieille ville ne désemplissent pas en été. Tous les guides vantent les beautés du « casc antic », ceint de courtines, une vraie vision de carte postale ! Même les estivants venus se prélasser sur nos plages délaissent leurs parasols au premier coup de vent pour visiter la cité. Voilà la cause de tous nos soucis ! Les difficultés de circulation automobile et de stationnement, liées à la surfréquentation du site, sont devenues insurmontables. C'est pourquoi le Municipi résolut cette année-là de prendre des mesures énergiques. À l'issue d'une séance houleuse, il fut décidé de mettre à l'étude une déviation routière. Oui, mais où la caser ? Les usagers de l'actuelle rocade croient qu'elle a toujours existé, sans se douter de la difficile genèse du projet. Et pourtant....

 

CASTELNOU

La route de Vilanova à Cap Verdanell offre le seul accès possible à Castellvi. Suivant le tracé d'une ancienne voie romaine, elle représente un verrou stratégique entre le trait de côte et les contreforts de la Serra de Montnegre. Comment contourner la citadelle et en désengorger l'accès ? Ce problème a été tourné et retourné maintes fois par les Services techniques de la Province. Toutes les solutions possibles ont été passées en revue. La plus brutale consistait à passer en force à travers les vieux quartiers. Il n'y avait qu'à exproprier les riverains, raser des habitations, court-circuiter les circulades tortueuses pour aboutir à un bel alignement..... C'était juste énorme ! Il se créa sur le champ des comités de défense à Castellevi, clamant avec raison qu'on n'était plus au temps du baron Haussmann !

Les écologistes aussi poussèrent les hauts cris. Au nom de la préservation du paysage, ils préconisaient de dévier l'itinéraire en faisant « le grand tour » de la Serra. C'était la solution « lourde » par excellence, bien trop chère pour les Finances publiques ! Je ne cite que pour mémoire la position radicale du groupe « Ofensiva ». Les militants anticapitalistes/ altermondialistes proposaient de réhabiliter les anciens chemins de transhumance et autres sentiers muletiers. La suppression de toute circulation automobile eût abouti, selon eux, à réduire l'effet de serre et pallier tout préjudice à l'environnement. À l'époque, on le prenait pour de mauvais prohètes. La suite des événements leur a peut-être donné raison.....

Au final, comme il arrive en pareil cas, la municipalité choisit la « troisième voie », un tracé de compromis empruntant la moyenne corniche. Plus facile à dire qu'à faire. Il fallait écorner un faubourg de la ville, ensuite grimper à flanc de coteau, se faufiler dans le vignoble en terrasses sans l'esquinter et dissimuler la route au maximum en jouant avec les replis du terrain. Je dois reconnaître que Raph' a pris très à coeur sa délicate mission. Pour les besoins de la consultation publique, il a confectionné avec amour une maquette au cinq millième, un véritable petit bijou fait de liège aggloméré, matériau local s'il en est. Sur les couches successives figurant les courbes de niveau, il a fait ressortir, comme en surimpression, l'impact des variantes possibles du projet. Bref, du grand art ! Tout paraissait bien se passer jusqu'à l'ouverture officielle de l'enquête. Au jour fatidique, le Commissaire enquêteur arrivant dans la cour de l'Hôtel de ville eut la mauvaise surprise de voir le local d'exposition (la « bulle », comme on disait) forcé et la précieuse maquette saccagée. Qui était responsable de ce désastre ? Je portai plainte au nom du Senyor Batlle, et Raph' se porta partie civile. L'enquête fut rondement menée. Très vite les soupçons se portèrent vers les membres du Groupe Ofensiva. Coutumiers des déprédations de ce genre, ils reconnurent être les auteurs de l'attentat. Quelques militants déjà connus des services de police furent interpellés, puis jugés en comparution immédiate. Les meneurs écopèrent de peines de prison fermes, les autres bénéficièrent d'un sursis. Aucun d'eux n'était solvable, cela ne faisait évidemment pas l'affaire de Raph', dont le travail venait d'être anéanti. Qu'à cela ne tienne ! Le Conseil alloua des crédits de vacations, pas un pactole, juste ce qu'il fallait pour réparer les dégâts. Pour ce faire, mon ami eut l'heureuse initiative de recruter une stagiaire. Elle s'appelait Soledad, c'est comme ça que tout a commencé.

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Salud ! Je sus Soledad Gomez y Aragon, en abrégé « Sol ». On me surnomme aussi « l'Espagnolette », « la brune explosive » ou « la Pasionaria ». Je suis petite-fille et fille de réfugiés politiques espagnols. C'est d'eux que je tiens ma culture anarchiste et ma propension à m'échauffer. En 39, ma famille, originaire de Huesca, a passé la frontière, fuyant la dictature franquiste. Les miens ont pas mal bourlingué dans le midi de la France avant de se fixer à Toulouse. C'est dans la « ville rose » que j'ai fait mes études de médecine. Il paraît même que j'y ai pris l'accent local, de ce fait on ne me regarde plus comme une étrangère...

Comme beaucoup d'autres personnes dans mon cas, j'ai attendu que la démocratie fût rétablie en Espagne avant d'y remettre les pieds.

En 95, je me trouvais à Vilanova de la Marenda. Je militais au sein du Groupe « Ofensiva ». J'étais venue là dans le but de défendre le paysage et l'environnement, mais aussi parce que des copains au look déjanté m'avaient entraînée dans cette aventure. Je ne suis pas une activiste pour autant, loin de là ! Non-violente par nature, j'étais opposée aux voies de fait d'Ofensiva. J'ai réprouvé l'absurde attentat commis à l'Hôtel de Ville.... Une fois mise devant le fait accompli, j'ai pourtant fait montre de solidarité vis-à-vis de mes camarades. Les keufs m'ont arrêtée avec les autres membre du Groupe. Bien qu'on n'eût rien à me reprocher, la Police m'avait déjà fichée. Je n'ai pas été brutalisée, mais j'ai subi un interrogatoire « musclé ». Ce qui me saoulait, c'est que le Commissaire principal n'arrêtait pas de reluquer mes seins. Finalement, on m'a relâchée faute de preuves. Je me suis retrouvée à la rue, seule et sans argent.

Comment j'ai rencontré Raphaël Escudié ? C'est un peu compliqué. De mon propre chef, je suis allée à sa rencontre. Je voulais me disculper, obtenir de lui qu'il retire sa plainte. Je lui proposai de réparer les dégâts, étant assez habile de mes mains. Rafistoler une maquette n'était pas pour moi la mer à boire.... Raphaël était très en colère. Il ne cessait de vitupérer ceux qui, ne partageant pas les idées d'autrui, se croient en droit de casser la baraque. J'ai tenté de le calmer, me disant globalement d'accord avec lui, notamment sur le fait que tout travail devait être respecté. L'architecte était un un chic type, pas un pété de thunes non plus. Il m'a bien reçue, a écouté mes explications, puis il m'a proposé de me prendre trois mois en stage rémunéré. Je n'en revenais pas. Raph' insistait pour que je l'appelle ainsi malgré notre différence d'âge ; après tout ce n'était pas un vioque, je l'ai trouvé même trouvé plutôt mignon. Il m'a invitée à déjeuner dans sur le port. Je me souviens du nom de ce restau : le « Copacabana » et du plat du jour : « Lapin au Banyuls ». Je n'avais rien mangé depuis trois jours et ce nom seul m'a mis l'eau à la bouche, mais j'ai été déçue. Boudiou, que ce lapin était dur ! Sur le moment, j'ai cru qu'il avait miaulé quand on l'a mis à la casserole. Je n'ai pu en mastiquer une bouchée.

COLLIOURE

  « Coupez le lapin en morceaux.....

Je me rappelle tous les détails de cette belle matinée lumineuse et venteuse, où tu es venue à moi. C'était fin juin 95.

« Faites le revenir dans une poêle en fonte avec de l'huile d'olive au basilic....

Ta franchise m'a plu... J'ai accepté tes excuses pour des faits que tu n'avais pas commis. Tu m'avais l'air si désemparée ! Ton visage lisse, d'un ovale parfait, la douceur de ton expression, contrastaient avec la brutalité de l'agression que je venais de subir et démentaient l'extrémisme des convictions que tu affichais.

« Retournez-le souvent pour qu'il n'attache pas....

Douze coups ont sonné au clocher de Blanda, ce phallus de pierre rousse tant prisé des peintres,. Nous sommes descendus sur le port pour marquer la pause de midi.

«  Épluchez et coupez des carottes en rondelles ainsi qu'un oignon.

Nous avons déambulé sur le quai sans but précis, savourant un bref moment de détente. Déjà d'intimité. En chemin, nous sommes passés devant un bistrot d'allure sympathique, le Copacabana. Je t'ai proposé de nous y arrêter, c'est là que nous avons partagé notre premier repas. J'y suis revenu depuis, maintes fois. Il existe toujours sous ce nom, et pourtant le temps a passé. J'observe à la même place des inconnus attablés, il n'y a plus toi, il n'y a plus nous.

«  Une fois les morceaux de lapin dorés, ajoutez un peu de bouillon de volaille, les carottes et l'oignon....

Ce jour-là, soufflait sur le port une tramontane à décorner les boeufs. Impossible de tenir sur la terrasse, les parasols aussi s'envolaient. Nous sommes rentrés presto dans la salle et avons commandé la spécialité de la maison : du lapin au Banyuls.

«  Saupoudrez généreusement de thym et de serpolet....

Était-ce l'effet de l'émotion ? J'ai remarqué que tu ne mangeais pas de bon appétit. Entre deux bouchées, tu levais la tête: mon regard subissait le feu de tes yeux, d'un noir intense, ils reflétaient un passé lourd à porter. J'y ai lu la fierté de ta race, ton caractère ombrageux. Tu m'as aussi parlé de tes projets. Tu voulais devenir médecin pour t'en aller soigner les enfants du Tiers-Monde.

« Versez un verre de Banyuls et portez à ébullition quelques minutes....

À ton tour, tu as cherché à mieux me connaître. Tu m'as questionné sur mes idées, mon parcours, mon environnement de travail, que sais-je ? Je t'ai livré mon quotidien, donné une image de moi qui dut te paraître bien fade en comparaison de ta propre histoire et de tes aspirations élevées.

«  Servez très chaud.

En même temps que la saveur oubliée du lapin au Banyuls me revenait en bouche, je retrouve aujourd'hui le sentiment que j'éprouvai alors pour toi. Je te l'avoue sans fard, j'ai craqué. C'était pour moi quelque chose de neuf, d'une force inouïe... depuis, ces dix sept ans ont passé comme en rêve.

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Bonjour. Je m'appelle Thérèse. Quatre vingt quinze a été pour moi « l'année horrible », en quelque sorte « le commencement de la fin ». Raph' et moi étions encore jeunes mariés, on peut dire les choses comme ça. Notre fils avait entre deux et trois ans, ce petit monstre au gentil babil emplissait mon existence. À l'époque, la notoriété de mon époux n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, nous ne roulions pas sur l'or. Pour joindre les deux bouts, il fallait que j'assure en même temps que les tâches ménagères, le secrétariat du Cabinet d'architecte ; tant bien que mal et plutôt mal que bien, je prenais les rendez-vous des clients, je faisais la permanence à la réception. Au début de l'été, Raph' a obtenu une grosse commande à Vilanova. Le Docteur Roig, un édile local, l'a pressenti pour faire l'expertise d'un projet de contournement routier. Une aubaine pour mon mari ! C'était tout-à-fait dans ses cordes, il a accepté cette mission avec joie. Au départ, tout s'est bien passé, les choses se sont gâtées ensuite ; il s'est produit, à ce que j'ai compris, des manifestations contre la rocade, accompagnées d'actes de violence.... Le pauvre, on a démoli ses installations ! Il a dû recruter quelqu'un sur place pour réparer les dégâts. Je n'ai pas eu beaucoup de détails à ce sujet, il m'a dit juste qu'il s'agissait d'une personne « à la comprenote ouverte » qu'il comptait « former lui-même ». Ladite personne avait très vite assimilé les règles de l'art ainsi que les données du projet, elle s'entendait à l'analyse paysagère, mais il avait encore besoin de l'encadrer. Tout cela était vrai, mais je sentis qu'il y avait des choses que Raph' me cachait. Naïve, je l'ai pourtant cru.

Courant juillet, je m'étonnai du temps incroyable que mon mari passait à Castellvi pour suivre l'audit. Il y restait des journées entières, partant tôt le matin pour ne revenir que tard le soir, quand il revenait, ce qui n'était pas toujours le cas. Tout le monde sait que la sortie autoroutière de Vilanova se trouve à moins d'une heure de la frontière. Ajoutez une demi-heure, à tout casser, pour gagner Castellvi par la petite route. Même en intégrant les embouteillages, inévitables en haute saison, j'ai fini par me demander ce que Raph' faisait pendant tout ce temps. D'accord, c'est un bosseur, j'avais bien capté qu'il prenait cette affaire à coeur. Pendant ce temps-là, d'autres dossiers autrement ambitieux demeuraient en souffrance à son étude.

Août approchait : c'est une période où le cabinet tourne habituellement au ralenti, c'est pourquoi nous avions prévu de nous accorder quinze jours de vacances. Deux petites semaines : pour la plupart des gens, c'est un temps de repos qui n'a rien d'excessif. Nous avions de longue date réservé notre séjour en résidence hôtelière à la baie d'Alcudia, la formule idéale avec un gosse.... Mais là, je sentis vite à l'air ennuyé de Raph' qu'il n'avait aucune envie de partir. Son travail, ses soucis, patin-coufin, on connaît la rengaine.

Pour en avoir le coeur net, je décidai à téléphoner à Montserrat, la femme d'Henric. Elle et moi sommes suffisamment intimes pour que je lui confie mes soucis, il m'arrive même de lui poser certaines questions gênantes. Elle me comprit à demi-mot

« Olà ! Teresa, com vas ?

  - Coucou, Muntsa (c'est ainsi que je la surnomme), moi ça va bien, Raph' un peu moins, à son sujet il y a quelque chose que je voudrais te demander...

  - Tout ce que tu veux, Té', si je puis te répondre !

  - Raph' et moi, nous devions partir à Majorque au mois d'août....

  - Veinards ! Eh bien, allez-y si le coeur vous en dit ! Qu'est-ce qui vous en empêche ?

  - Mon mari me dit qu'il ne peut pas s'absenter, qu'Henric ne peut se passer de lui pour mener l'enquête publique à Castellvi.

  - Non, mais là tu rêves, c'est quoi ce délire ? C'est vrai qu'il y a eu du grabuge au début du mois, mais à présent, tout est revenu dans l'ordre. À ce qu'on dit, Raph' a trouvé une stagiaire compétente, tout-à fait en mesure de suivre seule le dossier pendant quelques jours.

  - Une stagiaire ?

  - Quoi, tu n'es pas au courant ? Un vrai canon, ma chère ! On ne parle que d'elle, tous les mecs lui courent après, Ric' ne tarit pas d'éloges à son sujet. Il a même lâché quelque part qu'il aimerait l'avoir un jour pour assistante, quand elle aura ses diplômes. Quel toupet ! Je parie qu'il n'attend qu'une chose, ce cavaleur (tu le connais!), c'est que Raph' lui lâche enfin les baskets.

  - Ne m'en dis pas plus, Muntsa, j'ai tout compris.

  - Adiou, Té'.

Je venais de vivre un séisme. Quand je raccrochai le combiné, le monde avait changé pour moi. Vous raconter la suite ? Je n'en ai pas le courage. Nous sommes quand même partis avec notre enfant, mais ces vacances ont été les plus tristes de ma vie. Au sujet de Sol, Raph' a fini par tout m'avouer. Il éprouvait moins du remords que du dépit de la laisser aux mains d'Henric…. Il crevait de jalousie, mon homme, une punition bien méritée ! C'était sa première bêtise, je savais que j'allais lui pardonner.... Pour cette fois.

Il était loin le temps où, tels deux pigeons, nous nous aimions d'amour tendre.

(à suivre)

 

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