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14 décembre 2012

Vénus noire, par Françoise Martin-Faure

 

VENUS NOIRE

 

La femme qui allait chanter se dirigea vers le piano. Elle ondula entre les chaises dorées du salon, enjamba les robes soyeuses des jeunes beautés enrubannées de soie rose pâle. Elle se  glissait parmi la foule aristocratique drapée d'élégantes parures dans ce salon parisien, vêtue d'une robe mordorée bruissante à chacun  de ses pas menus et fermes. Elle pointait le menton en avant et son chignon tressé  sur le haut gracieux de sa tête, formait une couronne d'un noir brillant sous les lustres de cristal scintillant de Madame de Millemont.

Elle monta sur l'estrade, se campa impudique face à l'assistance, faisant jaillir  ses seins en pommes au-dessus de son corset sanglé de liens rouges, mit la main sur son cœur et entonna une chanson parisienne.

Nous la dévisagions avec surprise car l'élégance de sa tenue contrastait avec la légèreté provocante de son chant.

Le pianiste et la harpiste derrière elle s'appliquaient à moduler ou à couvrir soigneusement les paroles un peu crues qui sortaient des lèvres soyeuses de la chanteuse.

Assise sur un fauteuil tout près d'elle, je regardais cette bouche fardée de rouge vif s'arrondir gracieusement pour évoquer l'histoire de la Vénus Hottentote venue d'Afrique du sud pour conquérir  Paris.

Cette Vénus pour laquelle Madame Campanile avait réuni tous les notables et amis dans le salon chic de son chateau de Millemont, était un objet de curiosité insatiable dans tout Paris.

Nous l'attendions, corsetées dans nos robes empires, chignons bouclés et  emplumés, colliers luisants sous les lustres cliquetants, verreries et miroirs reflétant nos masques poudrés de blanc, le blanc si pur de nos aristocraties  méprisantes...

Les hommes étaient sanglés dans leurs uniformes bariolés de décorations fièrement abordées ou empaquetés dans leurs costumes rigides et prenaient des airs supérieurs en levant le menton au-dessus de leurs faux cols amidonnés dont les pointes piquaient leur menton...

Nous devisions, mordues de curiosité, le champagne aiguisant nos rires aigus et nos conversations tournées vers l'évènement de la soirée : la venue de la Vénus Hottentote.

Notre imagination s'étayait des articles de la presse racontant que cette femmeétait particulièrement pulpeuse, pire même, stéatopyge.

Dans un petit salon à côté, un groupe de jeunes danseurs et leurs cavalières glissait en quadrille bercés par le chant de la femme brune.

Soudain, un tambourin cliqueta au-dessus des conversations et de la musique, une voix vulgaire et criarde hurla : "regardez mesdames et messieurs, voici celle que vous attendez, voici la Vénus Hottentote...!"

Nous nous sommes écartés pour laisser passer un étrange cortège, un homme brun habillé d'un gilet de cuir et d'un pantalon de drap brut, sale, et une femme petite et brune elle aussi, tenant dans la main un tambourin.

Derrière eux, la Vénus.

 

Elle était opulente, noire et vêtue d'oripeaux rouges et d'une sorte de collant rouge sang délavé. Elle s'avançait tenue aux pieds par des chaines qui entravaient son pas. Elle nous regardait les uns après les autres en poussant un cri animal à chaque regard. Elle s'avança vers moi et je reculai puis cachai ma tête dans mon éventail, mais j'avais rencontré son regard noir et c'était lui qui était effrayé, pas moi.

Abdel Kechiche cria : "Stop, c'est bien, on la refait" Et nous allions refaire cette scène 40 fois, une partie de la nuit et pendant les cinq jours qui suivirent....

Un an après le film sortait...trois heures éprouvantes comme l'histoire de cette femme-esclave, prisonnière de son corps aux formes généreuses,  si vénéré en Afrique du Sud mais méprisé en France où elle serait vendue vivante et disséquée morte.

Il n'y a pas si longtemps, ses restes ont été rendus à sa terre d'origine.

 

Je n'oublierais jamais le regard noir, inquiet et soumis de la Venus, actrice dans la peau d'une esclave.

 venus_noire__dvd__1

Françoise Martin-Faure

Eté 2008

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