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20 janvier 2013

Le petit bal perdu, par Roselyne Crohin

Piste d'écriture: choisir quelques titres de roman, qui deviendront les titres des chapitres de votre récit.

 

 Moon Palace

 

Bourvil ne se souvient plus très bien du nom du bal perdu dans lequel, parmi les gravats, dansaient deux amoureux, les yeux au fond des yeux… Mais, moi, ce petit bal perdu d’après guerre, je l’ai retrouvé. Il se trouve au fond d’une impasse, dans le XIème arrondissement, à Paris.

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Passage du Désir

 

            C’est bien longtemps après la guerre que je l’ai découvert. Bien sûr, je n’ai même pas connu la guerre… Depuis que j’habite le XIème, je n’arrête pas de pousser les portes et d’emprunter les passages dissimulés – et Dieu sait s’ils sont nombreux dans le quartier. Ce jour-là, je revenais du marché d’Aligre, vers midi. Un accordéoniste y avait joué Le Petit bal perdu de Bourvil. Je cheminais en fredonnant sur le Faubourg St Antoine, quand je suis tombée sur cette plaque de rue évocatrice « Passage du Désir ». Quel farceur ou quel poète avait eu l’idée de donner ce nom à un passage aussi sordide ? Quoi qu’il en soit, c’était une invitation au voyage et je n’hésitais pas une seconde à me détourner de mon chemin. Quittant le Faubourg, je passais sous une voûte longue et obscure. Les pavés étaient bombés et glissants, des herbes sauvages poussaient le long des caniveaux et ça sentait vaguement le moisi.

 

Les yeux bandés

 

Il y faisait si sombre après le soleil d’hiver qui inondait le Faubourg qu’au début je ne distinguais absolument rien. J’avais l’impression d’avancer les yeux bandés et de chercher mon chemin à tâtons. Mais lorsque mes yeux furent habitués à l’obscurité, je pus voir au fond du passage une double porte vitrée, avec des montants et des poignées en cuivre. Elle était encadrée par deux lampions chinois et surmontée d’une fresque aux couleurs délavées, une sorte d’estampe japonaise. Des lettres dorées, presque complètement effacées, dansaient au-dessus de l’estampe. On se serait cru à Tonkin ou à Nagasaki, devant l’entrée d’une maison de thé !

A la facture de la porte, de l’estampe et des lettres, on devinait le savoir-faire des ébénistes et des laqueurs chinois qui font encore aujourd’hui, dans ce quartier du Faubourg Saint-Antoine, un travail incomparable. Je déchiffrais une à une les lettres dorées et lus : Moon Palace. Que se cachait-il donc derrière cette entrée exotique ? Sans tergiverser, je poussais la porte qui, à ma grande surprise, céda sans peine.

 

Minuit, Impasse du Cadran

 

Indubitablement, j’avais remonté le temps et je me trouvais au milieu des gravats du petit bal de misère, du petit bal perdu d’après guerre. C’était donc un bal musette, plus modeste que le Balajo qui survivait encore rue de Lappe, à un jet de pierre du Passage du Désir. Le plafond à moulures était crevé de part en part, le parquet aussi. C’est alors que j’ai découvert dans les vestiaires, en remuant de la pointe du pied un tas de débris, un petit papier de soie froissé. C’était visiblement un mot galant. L’obscurité m’empêchait de le déchiffrer.

« Y avait tant d’insouciance dans leurs gestes émus. Ce dont je me souviens c’est qu’ils étaient heureux, les yeux au fond des yeux. Et c’était bien Et c’était bien ». Les paroles de la chanson de Bourvil tournaient dans ma tête, dans le désordre, alors que je me dirigeais vers la lumière, avec mon petit papier de soie froissé. « Rendez-vous à minuit, Impasse du Cadran », voila ce qui était écrit sur ce petit mot doux.

 

Un secret sans importance

 

            A minuit, Impasse du Cadran. Ca, c’est du langage codé ou je ne m’y connais pas. Ou alors… c’est peut-être un message qui date de la Résistance. Mais alors pourquoi un papier de soie ? Ben, pour tromper l’ennemi naturellement. Je n’aurai jamais le fin mot de l’histoire, mais quelle importance ?

Et puis quand l´accordéoniste
S´est arrêté, ils sont partis.
Le soir tombait dessus la piste
Sur les gravats et sur ma vie.
Il était redevenu tout triste
Ce petit bal qui s’appelait
Qui s’appelait...

Qui s’appelait...

Un couplet entier de la chanson me revenait d’un coup, sans effort. Allez, il fallait que je rentre maintenant. On attendait mes courses du marché. Mais c’était sûr, je reviendrai.

En sortant, je levai le nez pour bien repérer l’entrée du passage, pour la prochaine fois. C’est là que je vis au-dessus du porche, une vieille horloge, aux chiffres à moitié effacés et sans aiguille. Le Passage du Désir s’appelait donc autrefois Impasse du Cadran… Mais quelle importance, comme aurait dit Bourvil. « Moon Palace, Passage du Désir », c’est quand même beaucoup mieux pour un roman.

 

 

Le 7 janvier 2013

 

 Moon palace est le titre d'un roman de Paul Auster, Passage du désir est de Dominique Sylvain, Les yeux bandés,  de Siri Hustvedt

Minuit, impasse du cadran de  Claude Izner et Un secret sans importance d'Agnès Desarthe.

 

 

 

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