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2 février 2013

Dialogue silencieux, par Héloïse

Piste d'écriture: écrire un dialogue.

Dialogue silencieux

Brasserie de la Gare Saint Sauveur à Lille.  Dimanche 14 janvier 2013.

Dans la salle de ce grand bistrot familial, des familles partout. Tout le monde est venu se réchauffer après les tours de manège, les queues pour le train fantôme ou le parcours labyrinthique dans le hangar non chauffé.

Grands éclats de rires, excitation des enfants, concertation entre femmes pour s’offrir par roulement une pause cigarette dehors, malgré le froid, pour le plaisir de se retrouver avec les copines en laissant un instant les enfants occupés à des jeux de société, jeunes pères se défaisant laborieusement des vêtements sous lesquels ils portent en écharpe un bébé à peine réveillé par le brouhaha général …

Et puis, dans une bulle au milieu de la foule, autour de cette petite table ronde en métal, ces deux-là dont je n’arrivais pas à me détacher :  un père et sa fille utilisant la langue des signes pour communiquer.

J’avais demandé à l’enfant si la chaise était libre. Elle n’avait pas répondu. J’avais compris qu’il ne fallait pas insister. La chaise de l’autre côté de la table était encombrée de vêtements. J’en avais trouvé une autre juste derrière la petite fille.

Il était revenu s’asseoir un peu plus tard avec deux gobelets de chocolat chaud et ils s’étaient vite mis à jouer ensemble à un jeu d’adresse que je ne connaissais pas. Des jetons à placer dans un espèce de cadre bleu en plastique.

Je regardais ce couple étonnant.

L’homme était pâle, des piercings aux lèvres et aux oreilles. Un air exténué.

Je n’entendais pas une conversation. Je la regardais.

Les yeux bienveillants du père, le plaisir manifeste de la petite fille toute à son jeu.

J’imaginais un contexte. Il a sa fille pour la journée, situation typique des pères seuls.

Le jeu s’achève, la petite fille voudrait rester. Mais le père explique clairement qu’il est l’heure de rentrer, qu’il y a des devoirs peut-être ? ou qu’il faudra tout préparer pour rentrer chez sa mère ?

Je ne connais rien de la langue des signes, sauf son extraordinaire pouvoir d’imager les situations. Il me semble tout comprendre.

L’émotion me saisit. Sans doute du contraste entre ce que je perçois de cet homme, ou de ce que je projette sur lui, ce contraste entre un dénuement radical et une volonté absolue de s’accrocher à ce qui lui reste encore pour tenir debout, son rôle de père. 

Il se rhabille pour partir, enfile sa tenue de pauvre dans le froid : on empile des couches de vêtements, veste de survêtement gris à capuche, pull à côté, polaire sans manche et enfin parka beige délavé. On ajoute bonnet de laine jacquard et longue écharpe enroulée au moins trois fois. 

Pas de gros anorak, pas de moumoute, aucun de ces vêtements qui vous protègent vraiment et s’enfilent rapidement sur un gros pull chaud. Opération laborieuse.

Plus facile pour la petite fille, en tous cas pas plus compliqué que pour les autres gamins, anorak, bonnet à fourrure, écharpe. Uniforme de gamins sans problèmes particuliers. J’imagine une mère qui construit jour après jour le quotidien le plus ordinaire possible pour sa fille. Elle a renoncé à la vie commune avec cet homme en dérive mais elle lui a gardé cet espace de confiance, le dimanche tous les quinze jours. Qui est sourd ? L’enfant ? ou le père ? ou les deux ? Qui apprend la langue de l’autre ?

Je ne me suis posée aucune de ces questions ce jour-là.

Je mesurais la force d’un lien en même temps que sa fragilité absolue. Si on perd son chemin sur terre, si un enfant vous donne encore la force de faire semblant pour lui, cela peut-il renverser la donne ?

Dans le bistrot c’était l’heure du karaoké, des gens s’essayaient à chanter les paroles des autres, sans grand succès il faut dire.

Peu m’importait.

Ils étaient partis.

J’entendais encore leur dialogue silencieux. Je restais songeuse...

Sur la terre, des milliers de langues.

Tourbillon de Babel.

Inventaire impossible.

Ne pas oublier la langue qu’on s’invente pour s’aimer.

 langage_des_signes

 

                                                                       atelier 21 janvier (consigne inventer un dialogue)

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