Confession, par Louis Portejoie

CONFESSION

Samedi, on est samedi et il est 6 HS du soir, comme tous les samedis à 6 h du soir il faut aller à la confesse: le curé fait un signe de croix, met son écharpe, ou le contraire  et attend : "Bénissez moi mon père parce que j'ai péché ", ou un truc comme ça. Ca, c'est facile, c'est après que ça devient plus dur, parce  que je sais jamais quoi dire, alors je récite la même chose à chaque fois,"j'ai menti, j'ai désobéi, j'ai volé des pommes dans le verger de Gaston, etc., etc." 

 Ca fait en tout une bonne dizaine de péchés, ça devrait aller. Il me demande de réciter mon acte de contrition: fastoche! Le problème c'est que lui me voit et que moi je le vois pas bien, il a pas l'air d'écouter ce que je dis, il a plutôt l'air de s'ennuyer .Quand j'ai fini, il me donne ma pénitence : dix " Notre Père" et dix" Je vous salue Marie ".Je comprends plus ou moins que je suis pardonné jusqu'à samedi prochain! Je sors.

 La porte de l'église est grande ouverte, dehors il fait beau, est ce qu'il le dirait à mes parents si je me sauvais ? Oui, sûrement, c'est tous des cafteurs, de toute  façon il l'a assez dit au catéchisme : Dieu voit tout, j'ai toujours l'impression que ce Dieu me regarde de là haut et qu'il marque sur un grand cahier tous mes péchés. II doit écrire à l'encre bleue ou alors violette, il doit avoir un bureau en bois ; le matin il soulève le couvercle et prend le cahier, puis il  trempe sa plume dans l'encrier blanc enfoncé dans  la  table : sur la page de droite les  bonnes actions, sur celle de gauche les péchés ou le contraire! Il doit avoir des secrétaires, je me suis toujours demandé comment il peut voir tout le monde à la fois! Bof, après tout, c'est Dieu, faut pas chercher à comprendre !

Je m'agenouille pas loin du confessionnal, je mets ma tête dans mes mains, dix Notre Père et dix Je vous salue Marie, ça fait un bon quart d'heure, peut être plus, j’écarte mes doigts, L'autre est toujours là, dans sa boite .Est qu'il me surveille ? Bon ça doit bien faire dix minutes maintenant, je fais un signe de croix et je me lève, puis m'agenouille à nouveau: non, c'est pas assez, ça ferait les dix Notre père à la rigueur mais pas les dix Je vous salue Marie, encore cinq minutes et je sors, une fois dehors je me retourne, il a rien vu.

 Je cours dans le jardin public, et reprends ma place à l'arrière, j'en profite pour balancer discrètement un coup de pied à Jean Pierre, qui s'écroule, je lui prends le ballon sous les encouragements des copains, et le place entre les deux pulls posés par terre : but ! J'espère que le bon Dieu ne l'a pas oublié de le noter, celui là !

Dimanche, 9 heures, ma sœur est là, dans la cuisine, j'ai faim. Je sais : on n'a pas le droit de manger avant la communion, si seulement elle pouvait la fermer ! Si elle veut rester à jeun elle a le droit, c'est pas une raison pour emmerder les autres !  Je profite d'un instant d'inattention pour  piquer quelques gâteaux que je vais manger vite fait dans les toilettes : à midi elle va cafter, c'est sur !

 J'ai un costume prince de galles bleu, tout neuf, j'entre majestueusement dans l’église, toutes les filles doivent me regarder, j'ai une cravate bleue aussi, et des boutons de manchette brillants : je m'assoie et ça commence, debout, assis, debout, assis , à genoux, paraît que quand on baisse la tête c'est parce que Dieu  descend  sur l'autel et qu'on doit pas le voir, moi je baisse la tête mais je lève les yeux discrètement, j'ai jamais rien vu! Y a des trucs bizarres dans ce que racontent les grandes personnes ! c'est long, une heure !

Heureusement, Gaëlle est devant moi dans la diagonale, elle doit sentir que je la regarde, je dois avoir une influence magnétique, de temps en temps elle tourne la tête vers moi, juste le temps que sa maman lui enfonce son coude dans les côtes ! Mon père m'a donné quelques pièces pour la quête, j'aime bien ce moment parce que j'en dépose une dans la corbeille et je garde les autres, si ça se trouve j'aurai des chewing-gums gagnants tout à l'heure.  Ça, par contre, je le dirai pas samedi prochain à la confession ! Le curé  va cafter et je vais me prendre une rouste Jj'ai encore le goût fade de l'hostie dans la bouche ! Je préfère les gâteaux de tout à l'heure, ça non plus je le dirai pas, ça m’étonnerait que le bon Dieu m'ait vu dans la cuisine ! Il voit pas a travers les murs quand même, un jour j'ai posé la question au curé, il a dit que si, et que si c'est pas lui qui voit, c'est notre conscience ! Comme un double qui nous suit tout le temps, quelquefois je me retourne vivement pour le surprendre, mais rien, jamais vu ! En tout cas, quand je chante, il doit le voir et l'entendre le bon Dieu ! Paraît que j'ai une belle voix, et j'en profite, je suis sûr que Gaëlle m'entend, c'est pour elle que je chante.

Enfin voilà la plus belle phrase de la messe : " ite missa est " : c'est fini, Gaëlle marche dans l'allée, je la dévore des yeux, elle passe, indifférente, en laissant derrière elle un sillage brumeux. Là  je crois que  je l'ai vu, le bon dieu !

( Illustration: enclos de Ploudiry)