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25 mai 2013

Le Théorème de Thalès (1), par Jacqueline Chauvet-Poggi

Piste d'écriture: créer une ou plusieurs narrations parallèles. Jacqueline a brillamment relevé le défi... Son texte sera publié en deux fois, aujourd'hui et demain. Carole

LE THÉOREME DE THALÈS

Deux vies parallèles se rencontreront-elles ?

 

courrierNous sommes quatre. Amis depuis le lycée. C’est dire que nous avons pas mal de choses en commun, les confidences, les projets, les blagues de potache, les conneries d’ados. Aujourd’hui nous avons trente ans, nos chemins sont sensiblement différents. Nous nous retrouvons ensemble plus rarement mais nous restons en contact, nous nous écrivons, de vraies lettres avec enveloppes et timbres, des mails longs de tout l’écran ou des coups de téléphone pour se tenir au courant.

Il y a Armand, le bel Armand, vraie icône de magazine, grand et mince, soucieux de sa forme et de ses vêtements qui ont l’air si neufs ! Il est comme il a toujours été, organisé, prévoyant, solide, celui qui conduit quand les autres ont trop bu, vous voyez le genre. Il plait beaucoup aux filles, séduites par son assurance, ses bonnes manières mais intimidées par ces mêmes qualités.

Il y a Benoît, ébouriffé, rigolard, inventif, client des rayons sportswear, affichant un débraillé savamment entretenu dans les limites du bon goût. Les filles l’adorent, il est si gai, si cajoleur, si dynamique quand il s’agit de faire la fête.

Et puis Suzie, jolie, menue, aguichante, rieuse, en un mot irrésistible. Elle collectionne les flirts, les liaisons brèves sans pathos ni mélo, sans, jusqu’ici, s’attacher vraiment. Ces temps ci on dirait qu’elle pédale moins vite. Une espèce d’envie de cesser de faire des vagues comme un hors bord pétaradant qui s’approcherait du rivage cherchant une anse calme pour, peut-être y jeter l’ancre.

Enfin, moi, Bettina, la sœur universelle, le substitut de la mère, l’âge en moins, le réceptacle des secrets, surtout ceux qui touchent l’émotion, le doute, les sentiments qu’on veut tenir cachés.

C’est ainsi que je me suis trouvée spectateur privilégié d’une sorte de chorégraphie, un ballet à trois personnages dont j’ai pu suivre les variations. A force d’être entourée de ses deux ‘meilleurs amis’, comme elle dit, Suzie a glissé vers quelque chose qui était plus que de l’amitié. Elle oscille entre les deux garçons, elle ne se décide pas et rêve d’un immense shaker où se réaliserait un mélange des deux. Ils ont finalement convenu de prendre du recul, ce qu’on prêche dans ces cas là. Suzie est  représentante d’une grande marque de parfums et elle est partie pour trois semaines de tournée commerciale. Ils feront un bilan à son retour.

Voici les échos que j’ai reçus des aventures intérieures de ces messieurs.

 

Premier jour

Armand à Bettina

A qui d’autre que toi pourrais-je le dire? Tu as dû remarquer que mon attitude en présence de Suzie a changé, la sienne aussi d’ailleurs. Je ne m’y attendais pas, me voilà débarqué dans un monde sucré, flottant sur un délicieux nuage rose, éprouvant une sensation de douces turbulences, sans doute ce

qu’on appelle l’amour. Oui, ton vieil ami Armand est amoureux. Je commence aujourd’hui une période de trois semaines que nous nous sommes données pour ‘réfléchir’. Eh bien, je vais m’y mettre, je vais peser le pour et le contre, ce que je vais garder et ce qui va changer. Elle ne m’a pas caché qu’elle avait des sentiments pour Benoît auquel elle tient beaucoup. Je la comprends mais c’est compliqué. Souhaite-moi bon courage, j’en ai besoin.

Ton Armand de toujours.

 

Benoît à Bettina

Ca y est ! La vamp Suzie a encore frappé ! Et cette fois c’est moi qui suis harponné ! Pas à mon corps défendant, rassure-toi, mais je suis mordu comme jamais depuis cette prof de lettres qui me faisait fantasmer. J’espère que ça finira mieux, à mon âge ce serait normal. Comme tu as pu t’en apercevoir elle aime beaucoup Armand, elle me l’a dit et, en quelque sorte, elle hésite entre nous deux. Quel challenge, quelle compétition, c’est olympique! A son retour, dans trois semaines, si j’ai bien compris elle examinera nos candidatures et quel que soit son choix final j’espère que notre quatuor y survivra.

Allez, rentre en toi-même, Benoit, pense, analyse, réfléchis et que le meilleur gagne.

Prie très fort pour que ce soit moi.

A toi, Benoît, comme dab.

 

Fin de la première semaine

Armand à Bettina

Heureusement que tu n’es pas à mes côtés. Tu te moquerais de moi et ce ne serait pas bon pour l’équilibre que je recherche. J’ai l’impression d’avoir progressé.  J’ai commencé par me rendre compte que tout mon environnement, mon décor, je les ai organisés uniquement en fonction de moi. Comment y vivraient deux personnalités différentes ?

J’ai viré quelques meubles dits ’anciens’, hérités de la famille, que j’ai soudain trouvés ringards. Ils surnagent du passé comme ces épaves que les inondations entrainent dans leur courant.

Non, je ne les ai pas jetés, je dispose pour eux de place dans les combles. Je t’entends d’ici, tu te dis que je garde une marge pour un éventuel retour en arrière. Pour échapper plus encore à ce foutu XIX° siècle, j’ai engagé une équipe  qui a remplacé les papiers peints style ‘classique’ par des tons clairs. Je m’y sens tout nouveau, moderne, enfin délivré du fil à la patte de la tradition. Cette transition me rapproche de Benoît mais je n’aurai jamais sa  désinvolture.

Je vais consacrer cette deuxième semaine à mettre de l’ordre dans mon emploi du temps, mes relations, mes occupations. Ce sera sans doute plus difficile.

Ma mère m’a appelé, s’étonnant de ce qu’elle nomme ‘ma retraite’ soudaine. Là aussi il faudra couper, ouille !

Plains moi donc, pense à moi, je ne te souhaite pas de connaître les affres d’une telle mue. Quoique…. Elle a de bons côtés.

Amitiés inébranlables

Armand

 

Benoît à Bettina

Quelle semaine ! J’ai regardé d’un œil nouveau l’habituel bordel de mon appartement et je me suis demandé comment j’avais pu le laisser s’installer. Comme si je ne le savais pas ! J’ai prié ma charmante petite squatter d’aller se faire héberger ailleurs, elle a compris qu’il se passait quelque chose de sérieux et la voilà partie. J’ai planqué dans le hangar d’un copain mon attirail de peintre, toiles et chevalets divers, inutiles puisque j’ai renoncé à une carrière arts plastiques. Je te dois d’en avoir pris conscience même si je pense que tu y es allée un peu fort et cruellement. C’est vrai que je me sens mieux en scénariste, c’est moins salissant!  Je plaisante!

Toutefois, je suis encore dans la peinture car j’ai entrepris de rafraîchir la cuisine (pour qu’elle ait l’air d’une cuisine) et la salle de bains où le joli corps de Suzie pourra se sentir comme dans un écrin. Je m’essaie à un peu plus de rigueur dans mon organisation (si, si ! je sais ce que ce mot veut dire !) en m’inspirant d’Armand puisque la demoiselle semble apprécier cette qualité.

Imagine-moi dans mon nouveau personnage nubile, soutiens-moi par des messages télépathiques, entre nous ça a toujours marché.

Je t’embrasse chastement, mais partout.

Benoît

 suite: demain !

l'illustration a été empruntée au blog: http://boudoirscarlett.blogspot.fr/2010/11/tristes-nouvelles-today.html

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