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26 mai 2013

Le Théorème de Thalès (suite et fin), par Jacqueline Chauvet-Poggi

Suite de ces aventures épistolaires, dont le premier épisode a été publié hier.

Fin de la deuxième semaine

courrierArmand à Bettina

Je te l’avais dit que ce serait douloureux. Annuler les rendez-vous des anciens de ceci ou de cela, rendre ma carte du club de golf, et celle du bridge, toutes choses qui n’intéressent que les solitaires ou les égoïstes.  Le plus dur a été de faire comprendre à mes fidèles compagnons de célibat qu’ils ne devaient plus m’inviter impromptu à des repas entre mecs, à des escapades en week-end dans des auberges gastronomiques et accueillantes. Plus dur encore de demander à mon ami Philippe, celui qui est toujours en déprime et que je suis le seul à savoir requinquer, de ne plus considérer mon canapé comme un prolongement de celui de son psy pour des séances nocturnes. Je compte le revoir de temps en temps et peut-être que la vue de mon bonheur lui fera du bien. Si bonheur il y a.

De toute façon je continuerai mes relations avec mes bons amis en espérant qu’ils plairont à Suzie et que Suzie leur plaira. Mais pas trop, tout de même !

Les quelques regrets que tu devines ne doivent pas troubler l’image du nouvel Armand que je cherche à construire. Comme j’aurais besoin de ton approbation !

Mais ça ira, comme disaient les coupeurs de têtes de mes ancêtres ! Fais-moi confiance.

Respectueuses embrassades

Armand

 

Benoît à Bettina

J’avais bien commencé, j’avais respecté mes résolutions (moi ! tu te rends compte!) et je m’étais attelé au tri de mes nombreux potes, de mes relations si tu veux. Tu imagines ma tournée des adieux ! Ça a débuté, quand je leur en ai parlé, par le débarquement d’une troupe de gars de toutes sortes, tous mes amis, disaient-ils, qui ont envahi ma turne, se sont mis en devoir d’organiser une fête,  puisque c’est peut-être la dernière !! Ça a duré trois jours, après quoi je n’étais pas bien en forme pour penser à des choses sérieuses. Par exemple contacter les quelque personnages qui connaissent de moi autre chose que le pitre que je me force à être trop souvent.

Ceux là je veux les faire connaître à Suzie, elle est assez fine et cultivée pour apprécier leur compagnie. Mais attention ce ne sont pas des pisse-froid pour autant, ils ont simplement des limites qu’ils ne transgressent pas comme moi. Même si l’amour peut faire des miracles, je vois mal Suzie participer à nos bacchanales de soi-disant bohèmes.

Je vais rattraper mon retard, il suffit que je me représente Suzie là, avec moi, pour moi, et je me sens capable de changer le monde.

Vaste programme ! Faut que j’y aille !

Distinguées salutations, baisemain, chapeau bas

L’éternel Benoît.

 

Fin de la troisième semaine

 

Armand à Bettina

C’est la fin du temps qui nous était imparti. L’ai-je bien utilisé ?

Cette semaine j’ai réfléchi à moi-même, à l’mage que je donnais aux autres et à celle que je croyais authentique. Ce n’est pas une mince affaire, comme dit Auguste Comte je crois, d’être à sa fenêtre et se regarder passer dans la rue.

J’ai vu dans le miroir un homme hyper classique, compassé, le cou raide du haut duquel il a l’air de toiser les gens. Dans ma penderie aucune fantaisie, même les tenues de sport semblent venir de ce qu’on appelle un bon faiseur. Pourquoi n’ai-je jamais réfléchi avant de commander un costume nouveau mais qui ressemble comme un clone aux précédents ? Je n’en ai gardé que deux ou trois, j’ai mis les autres dans des housses (tu me reconnais là !) et, hop, dans les combles. Je me suis équipé  dans des boutiques plus branchées, je me sens plus en accord avec mon moi intérieur que seules ma timidité refoulée et mon éducation hors âge étouffaient. Je crois ne pas t’en avoir parlé mais j’ai loué les services d’un coach (ça sonne chic, hein ?) pour des séances d’assouplissement, décontraction, yoga. J’ai toujours tellement envié la façon dont Benoît se laisse posséder par la musique quand il danse. Je n’ai pas encore un corps de ballet mais je compte bien savoir faire autre chose que l’élégant valseur qui ouvre le bal des débutantes comme un soldat de plomb.

Voilà. J’ai bouclé mon programme. J’ai changé pas mal de choses et je me sens bien dans ce nouveau rôle. Est-ce vraiment ce que Suzie espérait ? Fallait-il vraiment changer ?

On va bien voir. Je ne regrette rien et j’aimerais avoir ton avis. Bientôt ?

Bons baisers des deux Armand, l’ancien et le nouveau.

Armand

 

Benoît à Bettina

La ligne d’arrivée est là. Cette semaine a été le sprint final. Côté décor, ça va. Côté copains, c’est OK, ils ont compris. Il me restait à me préparer moi. J’aurais aimé arriver à être un peu moins rondelet, mais c’est trop tard, je  jure de faire de la gym et surtout des abdos dès que possible. On me dit ébouriffé, un coiffeur a mis de l’ordre dans ma tignasse et j’ai pu apprécier les progrès de la profession depuis si longtemps que je n’y allais plus.

Les habits n’ont pas posé de problème. Il y avait tellement de marge entre ceux qui avaient l’air de sortir d’un surplus américain et ceux qu’on dit corrects! Je suis un peu plus classique, mais attention, pas jusqu’à la cravate, ni aussi classe que Armand, même si Suzie semble aimer ça.

Suzie, je vais la revoir. Ai-je suffisamment pensé à elle ces temps ci ? Voulait-elle vraiment que je change ? En tout cas ces trois semaines m’ont fait un bien fou, qui va durer, je pense. Et toi, qu’en penseras-tu ? Tu me le diras bientôt.

Je te serre dans mes bras, sans froisser ma nouvelle chemise, mais bien tendrement

Benoît

 

Suzie à Bettina

Ma belle et chère Bettina

Depuis trois semaines je gamberge et je tourne en rond. Je ne sais ce qu’ont fait et pensé nos deux zigotos mais moi je viens de réaliser où est ma voie.

Je ne vais choisir ni l’un ni l’autre. Je ne saurais me passer d’aucun d’eux. Notre amitié à quatre est une perfection qu’il serait sacrilège de détruire. Alors on va reprendre comme avant, comme toujours. Et nous serons heureux. Je ne sais comment leur donner ma réponse, alors je reste encore une semaine en voyage. Bien sûr que c’est à toi que je demande d’annoncer ma décision, tu sauras le faire sans les peiner. Tu es la reine pour dénouer les situations embrouillées.

Merci d’être toi, merci pour nous quatre, hauts les cœurs et en avant !

Je t’embrasse, embrasse les pour moi.

Suzie

Bettina à tous, quelques années plus tard

Je ne sais pas si vous pourrez imaginer où je suis et celle que je suis, c'est-à-dire une fraîche accouchée à côté du berceau de son deuxième enfant. Le premier est un garçon, il s’appelle Armand. Le second est une fille, ce sera Suzie. Je lévite béatement dans une bulle de bonheur, je me raconte un futur radieux et je regarde le passé avec émotion. En particulier je pense à cette période qui a suivi l’épisode ‘Suzie et ses deux amours’, qui a coïncidé avec un éclatement de notre quatuor. Nous venions de franchir la frontière entre une adolescence prolongée et l’état d’adulte forcément moins léger. Ce sont d’ailleurs nos nouvelles responsabilités qui nous ont dispersés et même un peu éloignés.

Chacun des garçons avait bien senti qu’il changeait et semblait en être satisfait. D’ailleurs, si je relis leurs messages, ces circonstances créées artificiellement les ont incités à penser à eux, à leur propre vie, Suzie apparaissant  comme un prétexte plutôt qu’une muse. Armand s’est décoincé sans perdre son élégance, Suzie aussi a évolué, elle a mûri, un peu de sérieux a transformé en beauté sa joliesse frivole.

 Benoît  a cessé d’être un chien fou tout en restant cet être chaleureux avec un cœur gros comme ça. Il fait toujours aussi bon d’être à ses côtés, de partager sa joie de vivre, de n’être pas trop sérieux mais un peu tout de même.

Comment je sais tout ça ? Je le vis tous les jours, je m’en délecte, je ne m’en lasse pas, Benoît est devenu l’homme de ma vie, mon mari, le père des mes enfants ! J’ai dû m’avouer que mon rôle de sœur cachait des sentiments plus égoïstes et que j’avais envie depuis longtemps de partager seule avec Benoît mon trop plein de tendresse.

Si vous voulez voir le tableau idyllique d’un bonheur familial, essayez de trouver une date où notre ancien carré d’as pourrait se retrouver, pièces rapportées comprises et nous évoquerions le bon vieux temps et le merveilleux nouveau temps.

Je vous embrasse tous à la fois.

Bettina

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