La désespérance, par Michelle Jolly

Piste d'écriture: Se projeter dans un paysage.

La désespérance   

S'il fallait une couleur à la rage, on l'aurait trouvée là dans ce tableau, et le mouvement tournant bleu et vert, accroché en griffes à des arbres tordus comme des corps  brisés.  S'il fallait des racines à ces arbres  on les aurait à peine enfoncées  dans un sol rouge feu, flammes en sillons creusées, racines comme une jupe, jupes tourbillonnantes d'arbres qui danseraient. Une danse du diable, dans un univers fou où l'on perdait son âme.

Car on perdait son âme, la toile le savait, et les arbres; et la terre, et ce ciel éclatant ou plutôt éclaté comme un soleil en miettes. Rien n'avait plus sa place, avec la rage au ventre rien n'était plus pareil.                                     

Je les voyais ainsi  ces amies accablées, je cherchais un asile, un coin neutre pour parler posément, une maison isolée, un banc, une tonnelle, la fraicheur, une musique douce, mais elles n'entendaient pas. J'aurai voulu trouver dans leur univers, la main  ou le cœur, prêts à partager, elles n'écoutaient personne.  Vivant comme ermite, s'isolant, s'enfermant, elles cultivaient la rage comme  une panacée, une arme contre l'indifférence. J'aurais voulu aider, mais elles rêvaient d'ailleurs, et tout se refermait.

S'il fallait une couleur à ma rage, je choisirais l'image de ces troncs tordus, englués dans ce magma de feu et ployant sous l'assaut de cette  pluie étrange en narguant le soleil.

Un jour, elles sont parties, ces femmes écorchées, et jamais revenues, vivre était trop dur.  La rage du tableau m'a secouée un moment; j'ai pensé à Vincent, abandonnant aussi, un  jour la route,  dans l'or d'un champ de blé, sous des corbeaux planants.

Vincent Van Gogh, Champ d'oliviers, 1889