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26 septembre 2013

Venise, par Nickye Alause

Piste d'écriture: un texte qui serait comme une peinture au noir, sonore et odorante — 16/09/2013

VENISE

Le brouhaha du quai. On se bouscule et on s’évite.

Les femmes parfumées, maquillées sous leurs cheveux, leurs foulards, leurs chapeaux, nous croisent ou nous rattrapent, nous confondent.

La lumière, cette lumière si particulière de Venise, qui va du blanc aux ocres les plus sombres, déposent sous nos pas des ombres éblouissantes. Les porches que nous croisons soufflent sur nos corps une haleine attirante, plus une aspiration qu’un souffle.

Odile et moi avançons sans but précis, d’élans en évitements, sans presque nous parler. Une ruelle. Un porche, un creux dans la façade usée qui nous laisse voir ses briques verdies par l’ombre humide de la lagune, pas vraiment une odeur maritime mais plutôt une exhalaison douceâtre.

L’entrée est tendue de portières de velours noir, entrebâillées. Un regard nous captive, « KATYA » sur l’affiche de l’expo.

La jeune femme assise là nous invite dans un anglais très doux aux accents de la reine à tenter l’expérience :

-          LAISSER NOS AFFAIRES

-          QUITTER NOS CHAUSSURES

-          NOUS DEFAIRE DU SUPERFLU

Le hall est étroit. Nous laissons les odeurs du dehors pour des fragrances où se mélangent des odeurs de poussière, les relents corporels des chaussures abandonnées sous le banc.

Passé le corridor, le rideau de velours, lourd, se referme hermétique à la lumière qui venait de la rue. Le noir et total. Le silence semble absolu, le contact visuel avec Odile est rompu. Je suis seule.

nickiebart_dorsaSous mes pieds échauffés par la marche, le crissement du tapis noir, probablement noir, remonte le long de mes mollets jusqu’à mes reins qui frissonnent. Mes yeux s’accommodent peu à peu, mais pas jusqu’à me permettre de définir l’espace. Ma main se tend naturellement jusqu’à toucher l’étoffe. Une verticale semble apparaître par la gauche. Je suis aux aguets. Quelque chose va se produire. Huit portraits, huit visages sur plaques photographiques rétro éclairées. Ma vision retrouvée n’a pas gommé les perceptions corporelles acquises dans le corridor. Je regarde. Je m’assieds et j’essuie mes paumes encore moites sur la moquette que je griffe un peu de mes ongles, je regarde, je respire, je caresse, je retiens mon souffle, je respire. Le plafond noir, les murs noirs, le tapis noir. Je respire, je me complais de l’odeur de poussière, je respire. Et mes yeux retournent aux visages, semblables et différents de Katya.

Je suis là et j’ai perdu la notion du temps, ce n’est plus le jour que j’ai laissé dehors et ce n’est pas la nuit. Seulement le noir et la lumière, l’espace et le vide, la tristesse et le bonheur.

nickiebart_dorsa
Je repars. Je glisse sur mes pieds vers la salle suivante. Là des fragments de corps, mon dos sur la moquette, mes mains, mes jambes, ma nuque. Je respire. La lumière des plaques ne heurte pas ma rétine mais se glisse jusqu’à mon âme par mes poumons, par mes oreilles, par mes bras, par mes mains… Seulement le noir et la lumière, la souffrance et le bonheur.

Je passe, je marche, j’avance avec assurance et précaution. Ici, une colonne, noire, un visage, que je caresse, qui électrise mon index, mon pouce, ma paume. Je ne peux même plus dire d’où vient la lumière, si il y en a.

Je reste, j’hésite, je reviens. Je m’en vais, merci pour l’expérience.

Dehors, Odile dit : Alors ?

Et moi : UN EBLOUISSEMENT

 

Nickie Alause, le 16/09/2013. Texte inspiré des oeuvres de Bart Dorsa.

Quelques précisions sur l'artiste BART DORSA : C'est un photographe et sculpteur (d'abord cinéaste) américain qui vit à Moscou. Son travail photo est fait avec des chambres noires et des plaques de verre dont il réalise lui même les émulsions. La beauté est aussi dans le modèle, une jeune femme ayant eu un parcours de vie très spécial… 
Nyckie Groubert-Alause

 

 

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