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1 décembre 2013

Bagatelle (1), par Nickye Alause

cerisier2

Ce texte de Nickie est le premier d'un émouvant tryptique... Chaque partie a été écrite en s'inspirant d'une piste d'écriture différente. Voici l'épisode 1.

Piste d'écriture: Faire surgir un personnage par un trait particulier (caractère, physique, situation…) — 30/09/2013

 

BAGATELLE

 Quand il arrivait, c’était toujours le chien qu’on voyait en premier, ce gros chien gris, musculeux, charpenté, qu’il avait appelé Joseph. Alors on criait « JOSEPH » et celui-ci forçait le pas, tirant derrière lui le vieil homme à la démarche hésitante ;  et nous, nous nous bousculions, chacun voulant être le premier à offrir à l‘animal ce que nous avions soustrait au déjeuner pour sa gourmandise ; qui un morceau de viande, qui un croûton de pain, que le chien humait en salivant sans cesser d’avancer vers la table du pique-nique.

— Les enfants, laisser les donc arriver ! disait Grand’mère en riant.

Louis se levait pour accueillir son frère, Lucie lui offrait un siège, un verre de limonade, un peu de repos.

—  Moins de bruit les enfants, on ne s’entend plus.

— Je suis heureux de vous voir enfin de retour à Bagatelle cette année, dit l’homme. Les enfants ont bien grandi et je m’étonne qu’ils ne soient pas déjà perchés dans le cerisier à disputer les derniers fruits aux oiseaux.

— Ils vous attendaient, enfin ils attendaient Joseph, répondait Grand’mère.

Alors il ouvrait les boucles du harnais et disait à son compagnon « Va ! ».

Et Joseph s’ébrouait avant de se précipiter vers nous, happant les délices que nous lui tendions, donnant des coups de langue au hasard sur nos corps réjouis. Cela durait longtemps jusqu’à ce que, humides, nous nous décidions à attaquer le cerisier sous lequel il s’installait alors pour nous observer.

— Joseph ! appelait soudain l’oncle. Aux pieds !

Et Joseph nous abandonnait pour rejoindre son maître à la table des adultes, espérant sûrement quelque reste de rôti froid.

Cet homme que nous appelions mon oncle — je crois que je ne savais pas son nom — s’informait des changements intervenus dans la famille, demandait comment se passait notre nouvelle vie à Paris, si les aînés avaient réussi leur année, si maman, sa nièce préférée, y était heureuse.

C’était seulement quand il avait obtenu toutes les réponses qu’il leur donnait un aperçu de l’année qu’il avait passée ici. Puis venait la chronique du voisinage. Ceux qui étaient déjà  arrivés, ceux qui viendraient bientôt. Les François qui ne pourraient pas être là pour le 14 juillet mais qu’il avait vus cet automne. Marie, la fille du maire, qui était si jolie le jour de son mariage dans sa robe d’organdi jaune.

Bientôt expulsée du cerisier par mes frères sous le prétexte que je risquais de tomber, plutôt pour que je ne les voie pas fumer une cigarette en cachette des grands-parents, je rejoignais la table.

Je m’asseyais avec Joseph aux pieds de « mon Oncle ». L’ombre du chapeau couvrait le haut de son visage, atténuant les stigmates de la « Grande Guerre », et le foulard cachait les cicatrices de son cou. La légère frayeur qu’il m’inspirait était compensée par la douceur du chien dont il caressait amicalement la tête. Quand Joseph s’endormait, la main de l’oncle effleurait mes cheveux et mon front, et mon inquiétude s’évaporait. Il me disait « ma douce, ma colombe » et je l’aimais.

Je finissais par somnoler bercée par les voix. Pourtant, aujourd’hui je me souviens de leurs conversations, la guerre, les batailles, l’avion, les éclats de schrapnell qui l’ont atteint au visage, la chute. Tous ces souvenirs du temps où mon Oncle voyait.

Le soir arrivant, il réveillait le chien et faisait ses adieux.

 

— A vous voir demain, mes amis. A demain… Il faut que je rentre avant la nuit.

 

Georges. Je m’en souviens, il s’appelait Georges et il était aveugle. Joseph, son chien. C’était bien Joseph. Et je les aimais.

 

Nickie Alause

 

 

 

 

 

 

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