Le bonheur est dans le quotidien, par Jacqueline Chauvet-Poggi

Piste d'écriture: à la manière de Françoise Héritier , énumérer ce qui, pour vous ou votre personnage, fait "Le sel de la vie".

 LE BONHEUR EST DANS LE QUOTIDIEN

 Pas de journée sans sel. Une seule journée contient une succession de sensations familières qu’on retrouve comme de vieux amis. Elles sont la trame permanente sur laquelle se broderont les arabesques variées de la vie.

…..ouvrir l’œil le matin et recevoir d’emblée la lumière du soleil du jour, passer la main sur le velours gris du chat pelotonné dans la couette, humer le parfum prometteur du café, la première gorgée qui caresse l’œsophage, la saveur unique de la première bouffée de la première cigarette, la visite au jardin qui s’éveille, l’inventaire des fleurs naissantes, la course bondissante des écureuils facétieux, l’horrible crécelle des pies, le défi des tâches ménagères, la satisfaction puérile de les avoir accomplies, le fond sonore de la radio qui ronronne sans arrêt, profiter de la maison déserte pour gueuler à pleine voix du grégorien ou des rondeaux du moyen âge, réconforter par des soins intensifs les fleurs en péril dans les vases, s’adonner sans raison à redonner du lustre à un vieux cuivre, essayer une vieille robe qui va encore bien, retrouver la photo du jour où on l’a portée à Djerba par exemple, plonger les doigts dans le bocal des coquillages roses ramassés là-bas, se rappeler la lumière sur les murs blancs et  le goût des oranges, entendre au téléphone une voix attendue depuis longtemps, parler longuement sans voir à qui on parle, trouver enfin les mots justes, avaler en hors d’œuvre un verre de chardonnay bien frais, réussir des œufs au plat sans casser les jaunes, admirer la couleur du mesclun dans le saladier en verre, peler lentement une mandarine et se gonfler de son parfum, abandonner brusquement une tâche utile pour une escapade dans quelques chapitres d’un bon livre, aller d’une pièce à l’autre en sentant partout la présence de l’autre, le croiser, lui sourire, l’aimer d’un regard, sentir tous ses muscles endoloris, s’étirer, retrouver la  forme, épousseter les scories de la journée et ne garder que le sel qu’elle a dispensé, confier à un matelas bien ferme le soin de préparer la suivante…….