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6 juin 2014

Les colombes du pape François, par Jean-Claude Boyrie

Colombe 

Premier épisode.

La scène se passe dans les jardins privés du pape François au Vatican, où un colombier vient d'être aménagé. Les colombes se pressent autour du saint Père, ébouriffent leurs plumes, claquent du bec et picorent sa soutane blanche (1). Puis, tout ce petit monde prend son envol en soyeux et joyeux frou-frous d'ailes. Chaque jour que Dieu fait, François prononce une homélie nouvelle à l'intention des innocents volatiles, qui religieusement l'écoutent. Mais aujourd'hui, l'heure est à l'affolement. Le personnel est mis en état d'alerte ; le plan vigilance orange est décrété. Mais où donc est passé le pape ? Il reçoit présentement les délégués de tribus arabes rivales, on est prié de ne pas le déranger. N'importe. On remet au Souverain pontife en pleine audience un message urgent. C'est de la part du Colombophile apostillonique en charge de la Volière pontificale. À l'annonce que celui-ci lui fait, sa Sainteté paraît fort contrariée et convoque aussitôt l'idoine.

« Mais enfin, que se passe-t-il ?

  - Saint-Père, vos colombes sont en grand péril !

  -  Comment cela ?

  - J'ai cru voir passer une ombre...

  - Rien d'autre ? Ce n'était qu'un nuage, sans doute...

   -  Il s'agit, hélas, d'une nuée de rapaces.  Par les cornes de Belzébuth, ces démons sont revenus ! »

    Inutile d'en dire plus. Le pape François sait mieux que personne de quoi il retourne. Les démons en question ne sont autres que les pies et corbeaux, le mal incarné qui tombe du ciel pour fondre sur les malheureuses colombes, c'est la chute des anges déchus, dans sa version moderne : une charge d'hélicoptères digne d' « Apocalypse now ». Le pape François, confiant dans la perfection de la Nature en général, en tant que création divine, et dans la bonté naturelle des oiseaux en particulier, ne veut pas croire à cette odieuse agression, suivie d'actes de cannibalisme entre congénères.

Corbeau

   « Il est impossible que ces prédateurs veuillent du mal à mes chères colombes, symboles de paix et de pureté!

  - Les faits, hélas, sont là qui prouvent le contraire ! Par tous les diables de l'enfer, ces salopards (sauf le respect que je dois à votre Sainteté) en ont zigouillé une.

  - Zigouillé, zigouillé, d'où est-ce que tu sors ça ?

  - De la volière, où j'ai trouvé ce cadavre à l'instant même... »

  François considère avec suspicion le corps inanimé d'une petite colombe.

«  Es-tu bien sûr qu'elle soit morte, au moins ?

  - Tout ce qu'il y a de plus morte. La chair en est dévorée et pourrie. Pies et corbeaux lui ont crevé les yeux. C'est pas moi qui dis ça, c'est un certain François (2). L'autre.

  - Surtout pas un mot là-dessus ! [ le pape réfléchit un instant ]. Tout bien pesé, rien ne vaut la voie diplomatique. Je n'aurai de cesse que j'aie réuni les belligérants, pour leur faire oraison ; plutôt : leur faire entendre raison. Je sais que nous parviendrons ensemble, et si Dieu le veut, à une solution négociée.

logocolombe

Second épisode.

    Loin, très loin du Vatican, au fin-fond de l'Arabie Heureuse, se dispute un tout autre enjeu : la récolte de l'encens. Six ans, six mois et six jours déjà qu'une lutte fratricide oppose les Vazys et les Vatans : les corbeaux et les colombes, les noirs et les blancs, les méchants et les bons. Qui sont les agresseurs ? Quelles sont les victimes ? À quand remonte ce conflit, qui s'éternise ? Le pape François en ignore la cause, il n'en voit que trop les effets : la route de l'encens est coupée. Une véritable catastrophe pour l'Église catholique, dont les cérémonies, comme chacun sait, sont gourmandes en résine aromatique. Si par malheur celle-ci venait à manquer, avec quoi les officiants garniraient-ils l'encensoir ? Ils agiteraient vainement leur ustensile vide. Cette perspective donne des sueurs froides au Souverain pontife. C'est pour ce motif qu'il a proposé sa médiation aux frères ennemis.

   Avant toute chose, il invite les cheikhs des deux tribus rivales à prier avec lui pour la Paix. C'est une vision insolite au Vatican que celle de ces cheikhs en noir burnous ou blanche djellaba qui s'inclinent devant le Souverain pontife.

« Le salut soit avec toi, mon frère !

  - Avec toi le salut ! »

 L'échange de salamalecs est traditionnel au Moyen-Orient. Ce n'est qu'un préalable, il va falloir ensuite des heures pour que les interlocuteurs entrent dans le vif du sujet. Le pape François veut croire qu'il sortira de ces interminables pourparlers l'embellie que le monde attend. Lui-même espère qu'avec les prières des saints, la fumée des parfums s'élèvera de nouveau vers la Divinité. Pourtant, il ne faut pas trop se bercer d'illusions. Tout au plus obtiendra-t-il une trêve. À l'exemple des colombes et des corbeaux, ces rudes guerriers, revenus dans leur pays, reprendront leurs querelles.

Pourtant, tels les rois mages, les hommes du désert ont apporté des présents. L'un d'eux offre au pape un faucon dressé qu'il tient sur son poing, la tête encapuchonnée.

«  Où veux-tu que je le mette ? demande François, interloqué.

  - Mais à proximité de ta volière, ô souverain Pontife ! Il protéger tes colombes des rezzou des oiseaux de proie.

  - Est-ce à dire que ce faucon va rendre le mal pour le mal et prévenir l'attaque en tuant à son tour ?

  - Quand les Croyants n'auront plus de haine les uns pour les autres dans leur coeur, alors le règne de la Vérité viendra, mais pas avant. En attendant, il faut suivre le conseil du Sage, qui a dit : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ! »

Épilogue.

Assise

     Bien que la guerre préventive soit contraire à ses idées, le pape a retenu la leçon. Les résultats sont là. Depuis que le faucon fait office de D.C.A., les raids des redoutables prédateurs se sont raréfiés, puis ont définitivement pris fin. Le calme est enfin rétabli dans les jardins pontificaux, où l'on retrouve l'ambiance édifiante de la célèbre fresque de Giotto : « Le sermon aux oiseaux ».

  Au fait, où ai-je appris cette histoire ? Mais dans l'Osservatore romano, bien sûr ! Vous n'avez pas lu ce journal ? Tout ceci figure dans le numéro du 1er avril 2014. Même au Vatican, il arrive qu'on y trouve des canulars un jour comme celui-là. Se non è vero, è bene trovato.

 Pistes d'écriture : Le dialogue, sous différentes formes.

Illustrations : Picasso, « La colombe blanche », 1949 / « Oiseau sur la branche », 1928/

Giotto : fresque de la basilique d'Assise (270 x 200), ca. 1297-99..

Citations :

(1) Saint Bonaventure, « Legenda major » : « Sur le chemin de Bevagna, le bienheureux François prêcha à de nombreux oiseaux, à la grande joie de ceux-ci : ils levaient la tête, battaient de l'aile, ouvraient le bec et effleuraient la tunique du saint, tandis que ses compagnons l'attendaient. »

(2) François Villon : « La ballade des pendus ». « Quant de la chair, que trop avons nourrie, elle est pieça dévorée et pourrie... Pies, corbeaulx, nous ont les yeux cavez. »

 

 

 

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