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20 juin 2014

Dialogue décisif entre A et B, par Jacqueline Chauvet-Poggi

DIALOGUE DÉCISIF ENTRE A ET B

Jouez avec les guillemets, les tirets les espaces…… 

 Paris. Place de l’Odéon. Il tombe une pluie fine, froide et persistante.

« Pour la promenade, c’est fichu, dit Adèle, il ne nous reste plus qu’à aller au cinéma.

-Eh oui ! On a de la chance, tout de même, plusieurs cinémas chacun avec plusieurs salles, on a l’embarras du choix,» répond Benoît. 

En effet beaucoup de films proposés mais beaucoup de spectateurs aussi, pour le moment entassés en files de longueur variable, serrés les uns contre les autres pour se tenir chaud.

« J’aimerais bien voir ‘’Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?’’, lance Adèle.

- T’es pas folle ? C’est là qu’il y a le plus de monde. Il y en a beaucoup moins pour  ‘’La chambre bleue’’.

- Non, je suis pas folle, tous ceux qui l’ont vu se sont marrés. Ça nous ferait du bien de rigoler un peu.

- Mais, tu te rends compte ! Ce film franchouillard ! Les gens rient parce que ça les chatouille là où Ils aiment »

J’ai encore du boulot pour la sortir de ses racines qu’elle dit ’populaires’, pense Benoît. Est-ce que ça va être un obstacle pour l’avenir dans notre couple ? Bah ! Avec un peu de patience….J’y tiens tout de même à cette fille, j’avais décidé de me lancer aujourd’hui, de lui proposer la grande aventure à deux. Tout en parlant il a entrainé Adèle vers la file pour ‘La chambre bleue’.

« Et toi, continue Adèle, tu m’as dit que tu te régalais avec les films d’Audiard qui sont aux bons dialogues ce que la piquette est au vin rouge.

-D’abord, c’était dans ses premiers films, il y a longtemps. Et puis tu pourras toujours regarder ton film à la télé, pour La chambre bleue ce sera plus difficile.

-C’est ça, la passion physique, l’adultère, le sexe….Le même thème toujours rabâché.

-Ne fais pas ta pudibonde blasée, pour moi, ce qui compte n’est pas seulement le thème, mais la façon de le traiter. »

Adèle n’a pas envie de riposter. Elle ouvre son sac, y farfouille à la recherche d’un chewing-gum à la menthe qui remplacera la cigarette qu’elle ne peut fumer là. Elle rumine ses pensées à haute voix sans s’en rendre compte.

« C’est ça, tu es un expert, comme tous les hommes, tous les hommes sont des experts, tous les hommes sont des vantards.

-Mais, Mademoiselle, qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

-Oh ! Pardon, je croyais que……….. »

La file a commencé à avancer, lentement, en piétinant. Benoît, qui se dit débrouillard a gagné quelques rangs, et Adèle est face à un inconnu, souriant, qui s’amuse à lui répondre.

« Vos affirmations, Mademoiselle, sont bien péremptoires. Je ne sais pas à qui vous les adressiez mais, comme elles sont tombées sur moi, j’aimerais connaître vos arguments.

-Oh, vous savez, j’ai dit ça comme ça, je sais que c’est idiot de lancer des généralités stupidement. Je crois tout de même qu’il y a un peu de vrai.

-Alors permettez-moi de vous proposer la découverte d’au moins un homme qui est expert sans être vantard. »

Adèle se sent rougir malgré elle. Se moque-t-il d’elle ou lui fait-il des avances ? Elle se détourne légèrement et se hausse sur la pointe des pieds pour apercevoir Benoît qui lui fait signe. Pardon, pardon, elle se faufile pour le rejoindre. Il la happe par l’épaule et l’attire jusqu’à lui.

« Finalement, on est bien tous les deux, on pourrait envisager…. »

La fin de sa phrase se perd dans le pimpon d’une ambulance qui remonte le boulevard.

Adèle qui a entendu ‘on pourrait envisager de manger ensemble ici’ et qui préfère d’habitude des quartiers plus calmes, dit :

« D’accord, exceptionnellement pour ce soir.

-Qu’est ce que tu me racontes ? J’ai parlé d’emménager ensemble.» 

Mais une autre ambulance ou voiture de police couvre ses derniers mots. Il est stupéfait, elle ne répond pas et mâchouille connement son chewing-gum à la menthe. C’est la première fois qu’il la voit comme ça. Qu’est-ce que je fais avec cette fille ? Et moi qui étais plein d’indulgence, prêt à jouer les Pygmalion. Ce n’était pas une bonne idée de me ‘déclarer’, comme on dit, dans une foule pareille. Je trouvais ça original, un peu cinéma, ça masquait ma timidité d’habitude si bien cachée. J’ai découvert une Adèle déconcertante, une petite tête frivole. Mon bonhomme, prends tes distances, dommage mais tant pis, sauve qui peut.

« Allons, viens, on change de file, on va voir ton film et après on ira manger ensemble. »
Et ça sera fini, ajoute-t-il pour lui-même.

 

 

 

 

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