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2 novembre 2014

Le petit cheval indocile, par Jean-Claude Boyrie

L'Hippocampe 6

Le petit cheval indocile.

 

6 Cheval

« Les enfants, quand ils sont petits, on voudrait qu'ils soient déjà grands

et lorsqu'ils ont grandi, on les voit encore petits. »

Marcello Mastroianni dans « Ils vont tous bien », comédie dramatique de Giuseppe Tomatore, 1990.

 Torroella, 30 juin, juste avant midi. La sonnerie du portable retentit. Un prénom s'affiche à l'écran : Olivier. Milou bondit sur l'appareil  : « Oui, mon chaton... »

  - Évite de m'appeler toujours « chaton », ou « cigalon », ou « mon bouchon d'amour », M'man, j'ai dix neuf ans tout de même !

  - Bien sûr que je ne l'oublie pas, ma puce ! À présent, dis-moi plutôt comment ça va pour toi.

  - Moi ? Comme d'hab'. On fait aller.

   - Et tes exams, mon lapin blanc ? T'as les résultats.

   - Reçu.

   - Super, ça doit t'encourager à poursuivre. Est-ce que tu as des nouvelles de ta demande de stage au Parc naturel marin ?

   - Ben oui, je viens d'avoir un appel du secrétariat. Le comité scientifique a retenu mon C.V.

   - Tu comptes te rendre à Blanda prochainement ?

   - Dès que j'aurai ma convoc'.

   - C'est-à-dire ?

   - Est-ce que je sais ? Je l'attends d'un jour à l'autre.

   - Bon, ne te fâche pas ! L'essentiel, c'est qu'ils te prennent. Tiens-moi tout-de-même au courant de ta venue. Une fois que tu seras installé là-bas, on pourra se voir de temps en temps ! 

  - On en reparlera, M'man, n'y compte pas trop pour l'instant. Il faut d'abord que je prenne mes marques. C'est que j'aurai beaucoup de travail à faire là-bas ! »

Milou voudrait s'attarder au téléphone, impossible de prolonger la conversation, son fils a déjà raccroché. Déjà très beau qu'il l'ait appelée. La plupart du temps, leurs conversations sont encore plus brèves. À ses questions pressantes, il oppose des réponses fermées. C'est là qu'elle prend la mesure du malaise qui existe entre eux. En fait Olivier manque de confiance, il redoute par dessus tout que sa mère vienne s'immiscer dans son existence. Il n'a peut-être pas tout-à-fait tort.

Blanda se trouve à une trentaine de kilomètres de Toroella ; l'affaire d'une demi-heure à trois quarts d'heure en moto, moyen de locomotion habituel d'Olivier. Un trajet limité, pas autant que la motivation du susdit pour l'accomplir. C'est bien sur les instances de sa mère qu'il a postulé pour faire son stage au Parc marin. Elle se réjouit qu'il l'ait obtenu. Pourtant, Milou ne se berce pas d'illusions. L'objectif poursuivi n'est qu'accessoirement familial. Blanda, petit port catalan de carte postale est source d'inspiration de nombreux peintres, mais aussi lieu de résidence idéal pour l'été. Quant au travail au Parc... Ce passionné de biologie marine, accro de plongée, ne pourra que s'éclater là-bas.

Tout de même, il y a un hic : la sombre personnalité du directeur. Olivier la découvrira bien assez tôt, pour l'instant, il n'est au courant de rien. Milou est convaincue que ce Laurent Dutilleul a pu jouer un rôle important dans la disparition de sa soeur, mais n'en a pas la preuve. Elle n'a jamais parlé d'Élodie à Olivier, ni des évènements qui ont précédé sa naissance. Il est né quelques mois après sa diparition, ensuite, sa mère et lui sont partis en Inde, elle a toujours estimé que cette histoire, un souvenir traumatisant pour elle, ne concerne pas son fils.

Reste le fait qu'au parc marin de Blanda, le « Cigalon » sera placé sous les ordres de Dutilleul, devenu là-bas quelqu'un d'incontournable, omnipotent. Sur le plan privé, peu de chances que ce douteux personnage ait beaucoup changé. Marie-Louise évite de le rencontrer, mais nourrit l'espoir inconscient de glaner par Olivier quelque information qui pourrait l'aider à comprendre. En même temps, elle est prise d'un remords tardif, prend la mesure de sa propre duplicité, tremble pour son fils. Comment elle, sa mère, peut-elle l'avoir entraîné dans un pareil guêpier ? Il sera l'instrument inconscient d'une enquête, dont il ignore les tenants et aboutissants, va jouer pour son compte le rôle d'agent secret. Trop machiavélique et même révoltant ! Le scénario d'un mauvais polar !

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Le même jour, un peu plus tard, Cité des Violettes à Tolosa.

« Rien qu'un peu collante, celle-là, j'ai pas fini de l'avoir sur le dos.... marmonne Olivier.

Samantha, sa colocataire, émerge de sa turne, en nuisette. Une petite mine, juge-t-il. Elle est très « nature » avec lui. Pas de gêne entre eux, du moins sur le plan vestimentaire. Bien que passablement ensommeillée, cette petite futée n'a pas perdu une miette de ses propos.

   - C'est de ta mère que tu causes ?

   -  Bof, la ventouse, encore et toujours, qui d'autre ?

   - Tu devrais pas en parler comme ça.

    - Ça va. Tiens, j'ai laissé des croissants sur la table pour toi. Le café, l'a eu le temps de refroidir, faudrait le passer au micro-ondes.

    - Tu sais bien que je bois du thé le matin...

   - Le matin ? Tu veux rire, il est déjà midi passé. »

Sam' a beau s'en défendre mordicus, elle a une tête à s'être emballée une demi-douzaine de clients dans la nuit, ça crève les yeux. Une chose est sûre, elle est revenue de boîte à point d'heure. Comme il est gentil de nature et prévenant, qu'il s'intéresse à elle juste ce qu'il faut, partage avec elle ses repas, quand l'occasion s'en présente, et la dépanne autant que faire se peut. Ce ne sont là que petites attentions d'usage entre jeunes vivant sous le même toit. Quant au reste, inutile d'y penser, entre eux, ça n'a jamais vraiment accroché.

 Olivier est en train de boucler ses bagages. Finalement, il n'a que peu d'effets personnels à emporter, tout ce qu'il peut récupérer tiendra dans deux valises. Un impératif pour lui : voyager léger ! Le mobilier en kit se revendra facilement par internet, pour plus de sûreté, il a apposé une annonce au panneau d'affichage, en bas de l'immeuble, une autre à la Fac. Les bricoles invendables partiront au tri sélectif !  À l'ère du tout-jetable, autant bazarder un max que payer inutilement loyer et charges.

[ Olivier a résolu depuis longtemps de ne pas garder pendant les mois d'été ce T3 bien situé, pas trop cher, en résidence universitaire. Il en prendra un autre à la rentrée. ]

  Bien sûr, il regrettera cet appart' dont il partage les frais avec Samantha. Un peu moins son étrange occupante. Sam', en rupture avec sa famille. Étudiante en sociologie le jour, elle met la nuit une perruque blonde, enfile des dessous coquins. Passé vingt trois heures, elle devient Vicki, hôtesse/ effeuilleuse au Salon du Cheval rétif, une boîte de nuit branchée. Elle n'en rougit pas, au point qu'elle-même a suggéré qu'Olivier, doué d'une carrure athlétique, se fasse recruter au « Salon » comme videur. Il a refusé énergiquement, mais tout de même est venu lui rendre visite sur les lieux, comme ça, par curiosité. Il a trouvé l'ambiance glauque et n'a pas récidivé. C'est vrai qu'en comparaison de Samantha, Olivier fait partie des « étudiants favorisés ». Il lui arrive à lui aussi de faire de petits boulots, mais de temps à autre, à sa convenance, et juste pour avoir un peu d'argent de poche. Pour l'essentiel, il se débrouille avec ce que sa mère lui alloue chaque mois. Celle que tout le monde surnomme « Milou » ne roule pas sur l'or. Elle gère au mieux la succession de Grand-papa, prélève sur le modeste pécule qu'il a laissé ce qu'il faut pour aider son rejeton. Olivier se souvient avec émotion de cet aïeul qu'il a à peine connu. Pourquoi sa mère a-telle fui sa famille ? Pourquoi l'a-t-elle élevé quinze ans durant dans un ashram ? Pourquoi lui-même s'est-il compliqué la vie en s'embarquant dans l'océanographie, une discipline peu courante, qu'il doit poursuivre loin de chez lui dans un Institut spécialisé ? Sa passion pour tout ce qui touche à la mer, mais aussi besoin d'affirmer son indépendance... Milou ne s'est pas posé de questions, elle a accepté les choix de son fils sans broncher, à poids égal les contraintes qu'ils impliquent. Olivier s'est bien gardé de préciser à Sam' que son lieu de stage est proche du site où travaille actuellement Milou. Sa coloc' ne manquerait pas de se fiche de lui, pas méchamment d'ailleurs, elle penserait qu'il est toujours fourré dans les jupons de sa mère, ferait une sortie du genre : « T'a pas encore coupé le cordon ombilical, grand dadais ? »

N'empêche. Il n'aimerait pas cette réflexion. Pour éviter tout commentaire narquois, il se contente de réflexions générales : la roue tourne... il s'en va vivre sa vie. La réaction de Sam' est inattendue :

« Et moi, je deviens quoi dans tout ça ? »

Si c'est un reproche, elle l'a formulé d'un ton plutôt affectueux.

Olivier, désarçonné, répond par un geste évasif. Sous-entendu : elle trouvera bien quelqu'un d'autre pour co-louer l'appart' avec elle, ce n'est pas un souci. Ou bien alors, elle déménagera. Les coloc', ça va, ça vient ! Sam' n'est pas convaincue, elle hoche tristement la tête et lui demande tout de même s'il a prévenu son bailleur, donné son congé en bonne et due forme, en respectant le délai de préavis. Mine de rien, cette fille a les pieds par terre. C'est vrai qu'elle-même se sent concernée, ne serait-ce que pour l'état des lieux, le maintien de la caution, patin coufin. Mais ce ne sont pas uniquement des histoires de pognon qui la turlupinent.

 Pour l'instant, Samantha se tait. Le regarde. Longuement. Il découvre une muette imploration dans ses yeux noisette. Est-ce qu'un fille comme ça peut vraiment kiffer ? Est-elle seulement capable d'éprouver des sentiments ? Olivier se pose des tas de questions sans réponse et la trouve juste émouvante. Une évidence : il est plus facile pour elle de montrer son cul que de révéler sa fragilité. Samantha chuchote :

« J'ai quelque chose à te demander, mon coeur... [ Imprévisible, cette fille ! La voilà qui se met à lui parler comme sa mère. On aura tout vu ! ] 

 - Dis toujours...

  - Eh bien... euh... [ Olivier sent qu'à la façon dont ça démarre, ça va être du lourd ]. Enfin bon, je me lance... est-ce que je peux… plutôt, est-ce que tu veux bien que je t'accompagne à Blanda [ Celle-là, il ne s'y attendait pas !] ?

  - Mazette, qu'est-ce qui t'a donné l'idée d'aller là-bas ?

  - Ben, j'ai déniché quelques photos de la station comme ça, en surfant sur internet. Épitucé le panorama sur l'archipel des Sept-îles, ça m'a tout de suite branchée, c'est super, ça me plairait bien, ouais, d'y passer les vacances avec toi. Voilà, c'est dit.

[ Zut et zut,Olivier ne va tout de même pas se coltiner Samantha ! Il n'y a pas qu'elle au monde, il trouverasûrement des nanasplus intéressantes à draguer à Blanda ! ]

  - C'est juste que ne pars pas franchement en vacances, tu vois, le Parc me fait venir juste pour bosser.

  - Au fait, je peux trouver un taf, moi aussi. J'ai déjà fait le tour (virtuel, ch'te rassure), des boîtes de nuit du coin. Dans les pages jaunes, j'ai repéré « l'Hippocampe » (un endroit que tu connais peut-être ?). Alors, je me suis renseignée : on y recrute du personnel saisonnier...

  - En tant qu'hôtesse ?

  - Oui. Ça te dérange ?

  - Plutôt. J'aurais même un meilleur plan à te proposer.[ Quelle mouche le pique, Olivier ? ]Avec ton diplôme de Sociologie, il doit y avoir moyen de te caser dans l'équipe d'animation du Parc[ Ça lui est venu comme ça ].

  - Fameuse, ton idée ! Et si je ne fais pas l'affaire ?

  - Ça marchera, parce que, tu vois, je ferai tout pour qu'on te prenne. [ Il commence à disjoncter grave, çui-là... Plus romantique que cette déclaration, tu meurs !] Si ce n'est le cas, je préfère être clair avec toi, Samantha.

  - Je t'écoute.... À mon avis, ça craint ! [Olivier change brusquement de ton ].

  - Sache que je t'aime bien [ Tiens donc, on en découvre tous les jours... ] J'ai pas encore dit oui, mais une supposition que tu me rejoignes à Blanda, c'est pas pour faire la pute, O.K. ? »[ Qu'est-ce qui lui prend ? Il se met à lui faire la morale ? ]

Le petit cheval indocile se cabre sous l'injure.

« Une pouf' ? Je vais te montrer si je suis une pouf', méchant garçon !

- Arrête, Sam', qu'est-ce que tu es en train de faire ? « 

Olivier n'a pas le temps de prévenir son geste, elle l'a pris de court. L'arachnéenne nuisette, obstacle dérisoire à son désir rentré, vole déjà sur la tête de Samantha. Leurs lèvres se cherchent, très vite se rejoignent, se collent [ Carrément un baiser de cinoche ]. La langue de Sam', ses mains, savent explorer son corps. Le nigaud se demande encore par quel miracle une émotivité tout adolescente arrive à se conjuguer avec des gestes de professionnelle. Pas longtemps. La houle de ses reins bientôt le submerge.

 (À suivre....)

 Piste d'écriture : dialogues, didascalies.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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