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10 juin 2015

#Vivraunid, par Jean-Claude Boyrie

#Vivraunid

JUSQU'OÙ IRA LA TÉLÉRÉALITÉ ?

 

Téléscan, n° 3410 du 23 au 29 mai 2015, « le rendez-vous critique ».

Cette semaine nous sommes...

 Ulysse...Écoeurés par la complaisance et voyeurisme

de la nouvelle série de Canal Fun.

 Avec sa nouvelle série de téléréalité « Vivre au nid », diffusée à une heure de grande écoute, Canal Fun, dans le souci de « faire de l'audimat » a sombré dans les pires excès de la complaisance et du voyeurisme. Si le projet affiché du réalisateur (illustrer la vie quotidienne dans notre pays au sein des milieux les plus divers) semblait des plus louable, force est de constater, au fil des épisodes, qu'il ne suffit pas de bonnes intentions pour faire de bonnes émissions.

Bien que la rédaction fasse toutes réserves sur ce projet racoleur, Téléscan a, dans un souci d'objectivité, interviewé la présentatrice. Voici les réponses qu'elle a faites à notre journaliste.

« Jeanne Lafol, vous animez aux côtés du réalisateur Rodrigue Outrans, la série « Vivre au nid », de Canal Fun. Vous n'ignorez pas qu'elle a suscité les réactions assez vives de la part de certaines catégories de public.

- Je le sais. Tout ceci est humain, trop humain. Ne laissons pas les milieux les plus conservateurs, voire intégristes, de notre Société, dicter les choix des émissions. Il y a belle lurette, pour ne citer que cet exemple, que la nudité sur scène est passée dans les moeurs. Pour revenir à cette série, nous l'avons voulue aussi proche que possible de la nature !

-  Certes, mais « Vivre au nid » passe en prime time et l'on ne peut pas tout montrer, surtout de manière aussi explicite. Entre deux écrans publicitaires, votre émission bénéficie au demeurant d'une forte audience....

-  Mais c'est justement le but reccherché !

-  Bon, je vais être directe. Est-il moralement acceptable d'installer, comme vous le faites, une caméra dans un foyer, le big brother en quelque sorte, qui capte en permanence les faits et gestes des occupants, traque leur comportement, leur attitude, y compris dans les situations les plus triviales ?... À leur toilette, à leur repas, et même quand ils font l'amour !

-  Celles et ceux dont nous retraçons la vie quotidienne sont totalement consentants, tout ce qui fait partie de la vie est naturel et ne peut être à ce titre considéré comme honteux ou trivial. Filmer en direct l'union d'un couple en train de procréer n'a rien de malsain, on peut même avancer que, d'une certaine manière, ces images exaltent les valeurs familiales.

-  Ne peut-on voir là tout de même une forme de « mercantilisation » de la vie privée ?

-  Sur le plan de l'éthique et des bonnes moeurs, il appartient au seul C.S.A. d'en juger. Pour ce qui est du mode de commercialisation des images, nous agissons en toute transparence. Il suffit de taper #Vivraunid sur son smartphone pour télécharger, moyennant 1 € seulement, chaque épisode de la série. Où est le « mercantilisme » dont vous parlez ? Je laisse la responsabilité de ce terme à votre journal.

-  Revenons à l'épisode diffusé cette semaine, tourné sur une aire pour gens du voyage. En filmant, comme vous le faites, le quotidien d'une famille de migrants, vous touchez à un sujet actuel et sensible. Comment avez-vous recruté ces pauvres gens ? N'avez-vous pas l'impression quelque part d'exploiter la précarité ? J'imagine, que pour leur concours à l'émission, vous leur accordez une compensation financière....

-  Ils sont trop fiers pour cela ! Je ne réagirai pas sur la formulation tendancieuse de vos questions, et ne répondrai qu'à la première. Oui, notre équipe s'est rendue au Méjean (l'aire d'accueil dont vous parlez) c'est là que nous avons rencontré Josip et Meriem. Ce jeune couple a fui les conditions de vie atroces du Bachibouzoukistan pour s'installer chez nous, sous des cieux plus cléments. Il doivent s'y trouver bien, puisqu'ils non pas cherché à se rendre plus loin. Bien qu'ils ne parlent pas un mot de français et ne s'expriment que par signes, on peut dire qu'avec ces apatrides, le courant est immédiatement passé. Ils se sont laissés filmer sans problème et sans exiger de cachet. À l'occasion du tournage, l'empathie a joué. Les voyant courageusement aux prises avec leurs difficultés quotidiennes, je ne suis pas sûre qu'ils aient réellement eu conscience de la portée et de l'ambition de notre projet.

-  Certes, mais vous évoquez dans vos commentaires la solidarité du voisinage...

-  Nous l'avons même jugée exemplaire. À leur arrivée au Méjean, Josip et Maria n'avaient pas un sou en poche, les gens d'ici ont permis sinon favorisé leur installation dans un squat sans exiger un permis de séjour, ce qui n'est pas courant, convenez-en, ni même leur demander qui ils étaient ni d'où ils venaient. Les nouveaux venus se sont immédiatement intégrés, ils ont trouvé sur place le gîte et le couvert. De leur abri de fortune, à force de travail, ces deux-là ont fait un véritable foyer. Ce fut un vrai moment d'émotion pour l'équipe de Canal Fun, il y a deux mois, à la récepion de leur faire-part de naissance. À présent, Josip et Meriem s'occupent de leur progéniture. Que du bonheur ! Le nouveau-né bénéficie automatiquement de la nationalité française, en vertu du droit du sol. Oui, c'est une bien belle et touchante histoire.

-  Merci, Jeanne Lafol, d'avoir bien voulu répondre aux questions de Téléscan.

-  Merci à vous, ce fut un plaisir. »

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Aujourd'hui, c'est dimanche, tout est calme au Méjean. Par fidélité à leurs racines, peut-être aussi pour affirmer leur différence, Josip et Meriem arborent fièrement leur costume national, blanc avec une mantille noire et des bas rouges. De leur vigie, ils regardent passivement les êtres non volants et non identifiés défiler. Ces E.N.V.I. n'ont pas un comportement de prédateurs, ils ne manifestent à leur égard aucune réaction hostile. À leur installation, les deux migrants n'en ont pas moins été passés au crible, examinés sous toutes les coutures. Bizarrement, on leur a enfilé une bague au doigt, comme s'il était besoin d'une marque extérieure pour sceller leur couple ! Pour ceux de leur race, la fidélité va de soi. Enfin, on ne leur a pas fait mal, c'est l'essentiel. Dans une certaine mesure, ces bipèdes leur ressemblent, ils pratiquent comme eux la station debout, mais leur démarche pataude ne rappelle en rien leur majestueux pas suspendu. Ils ne savent même pas tenir sur une patte. Au lieu de renfler la gorge et de se frotter l'encolure à l'occasion de la parade nuptiale, ils s'étreignent, puis unissent leurs bouches, avec de gros baisers qui font schmack, c'est une pratique choquante. Le plus étrange, ce sont les sons articulés qu'ils émettent, alors qu'il est tellement plus simple de communiquer par des claquements de bec bien rythmés ! Ces mystérieux vocables de Josip et Meriem semblent les désigner, on a d'ailleurs proposé de baptiser leur nouveau-né Jésus. Eux-mêmes n'en savent pas plus, qu'ont-ils donc de si curieux ? Les E.N.V.I. s'arrêtent un longs moment devant leur demeure et les observent avec leurs étranges outils. C'est que leur famille est devenu célèbre, depuis l'émission de Canal Fun qu'ici tout le monde a vue ou presque : il faut bien s'y faire, le public est au courant des moindres détails de leur intimité. Grands et petits s'occupent beaucoup trop d'eux. Josip et Meriem se résignent pourtant à focaliser l'attention générale, car la place est bonne. Tant pis pour cet exaltant sentiment de liberté, qu'ils ont perdu en se sédentarisant. Pour rien au monde, ils ne poursuivraient leur migration jusqu'à Gibraltatar, voire au-delà, comme le faisaient jadis leurs congénères. On ne sait jamais. Avec le Jihadisme et autres, trop de dangers les menacent dans ces pays lointains. Bien sûr il y a les lignes électriques et les pesticides, mais la menace est moindre. Alors, ils ont définitivement posé leur valise au Méjean, où eux-mêmes et leur progéniture vivent en sécurité. Ici, petits reptiles, mollusques, escargots, batraciens, jusqu'aux simple vers de terre qui font leur ordinaire, abondent. Bientôt leurs poussins, éclos au mois de mars, voleront de leurs propres ailes, il ne sera plus besoin de leur donner la becquée en régurgitant la nourriture, comme ils l'ont fait jusqu'à présent. Quant aux humains, on les tolère juste en les tenant à l'oeil. Ils n'ont qu'à bien se conduire s'ils veulent que la cigogne blanche (Ciconia ciconia) continue à leur porter chance.

Cigogne

 Illustration : Photographie de Christian Philip , in « Oiseaux de Camargue », éd. Favre S.A . 2011

Piste d'écriture : Inversion de point de vue (quand le sujet observé devient l'observateur).

 

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