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5 septembre 2015

Assis, au bord du matin qui passe, par Frédérique

 Piste d'écriture: un début, "Assis au bord du matin qui passe". Ce texte a été écrit en juin, lors d'une des dernières séances de l'atelier de l'an dernier, mais je le trouve inspirant pour débuter cette nouvelle saison. Merci à Frédérique! Carole.70021379 (2)

Assis au bord du matin qui passe, Octave s’interroge. Il a le choix. Longer l’allée de platanes ou bien prendre tout droit, le sentier des marronniers. Autre possibilité : tourner à gauche, couper à travers champs. Il opte pour la vieille route de ses habitudes. Ce champ de colza, c’est un bonheur ancien, tout jaune, qu’il a aimé faucher, sillonner. Et, à son âge, on ne bouscule plus ses repères, on les respecte. La sécurité du chemin mille fois emprunté permet l’écoute, aiguise les sens. C’est ainsi qu’il traverse l’existence. Il prend des risques à sa façon : il mise tout sur l’attention. Réconcilié avec la discipline, l’ascèse et la régularité, il mène une vie saine, emplie d’une solitude-oxygène. Qui l’anime en creux, l’inspire, entaille depuis toujours et pour toujours son âme vagabonde. Une âme réceptive, courbe et féminine.

Octave est un homme libre. Malgré ses quatre-vingts printemps, il reste fidèle à son enfance. Ne se contente pas de recevoir ce qui se donne : le visible, l’explicite et l’apparence. Mais il invite à lui le non-formulé, ce qui s’égare et se dérobe. On ne vit pas fiancé à sa solitude sans en récolter les fruits. Sans fréquenter assidûment le manque, sans s’en faire un ami. L’absence est un langage, Octave le traduit. Il vit le négatif. Ne fuit rien de latent, d’inconscient ; c’est une facilité, un talent.

Sa différence, sa dyslexie, c’est déchiffrer ce qui s’écrit en miroir, en minuscule. Faux pas chez lui, actes substitués ou manqués chez d’autres, il s’intéresse à tout ce qui voyage et se déplace. A ce qui du dehors dévoile le dedans. Ce qui du dedans habille le dehors. Son regard emmailloté d’azur et d’évasure, empapilloté de bosselures ouvre sur le songe, le large. Perçoit ce qui se note à la marge.

Et pour ce décryptage-là, il faut le silence. Des matins qui passent, juste éveillés aux sauts de la conscience. Il faut s’asseoir en bordure de lumière. A sa lisière, sa frontière. Une douce clarté comme passerelle, opale matricielle. Il faut toujours un peu de nuit, il faut l’aurore. Condition nécessaire à l’esprit, pour s’éclaircir, se peindre d’or. 

Depuis son plus jeune âge, Octave vibre entre deux mondes. Le clair et l’obscur, il les rassemble, il les bouture. On vient de loin, des coins les plus reculés, pour se laisser deviner, enluminer. Pour laisser se défaire les nœuds, et déboucler, re-ligaturer le cœur. Octave est guérisseur, harmonise et magnétise.

 Il faut préciser qu’il n’y a jamais eu, ici, à la périphérie de l’ombre, de l’aube, la place pour une femme. Pour Octave, l’amour, c’est trop de jour, ça éblouit, c’est du zénith. Ça fait s’échapper trop vite. Ça chahute et ça fragmente. Octave ne veut pas vieillir précipitamment. La fin s’approche pourtant. Inéluctable et redoutable, la mort, est là qui plane. Elle tombera le temps venu, une fois la tâche achevée. Il espère qu’elle l’enlèvera, assis sur ce bord de matin qui passe. Qu’elle le guidera à son tour, au-delà des impasses.

 Qu’elle sculptera pour lui un horizon profond, une verticale tenace.

 

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Commentaires
E
Texte magnifique ! Ce texte a beaucoup de profondeur et décrit un sage que l'on voudrait connaître... ça fait du bien dans ce monde où tut est décidément trop superfciel... Bravo !!!
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