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2 octobre 2015

La petite-fille, la piscine et la pigiste, par Roselyne Crohin

montre eterna

Je ne lis jamais les petites annonces chez mon boulanger. Quand on me tend un papier dans la rue pour des pizzas ou une séance de voyance gratuite, je garde mes mains dans les poches et je fais « non » de la tête. Mais l’autre jour, je ne sais pas pourquoi, en sortant de la piscine, les cheveux encore tout mouillés, je suis tombée en arrêt devant une annonce grossièrement scotchée autour d’un poteau. Il faut dire que j’avais attaché mon vélo juste à côté et que je pouvais difficilement la manquer… Enfin, je l’avais bien manquée une première fois, en posant mon vélo, mais la manquer une deuxième fois, cela aurait été vraiment peu probable !

Sur une feuille A3 blanche, avec de gros caractères (de corps 30 à 36, à vue d’œil), quelqu’un avait rédigé un bref message que j’ai lu machinalement, tout en détachant mon antivol. « J’ai perdu la montre [en gras dans le texte] de mon grand-père (marque ETERNA) [entre parenthèses et en majuscules dans le texte], dans cette rue. Elle a une [en gras, de nouveau dans le texte] très grande valeur sentimentale. Si vous la trouv ». Le reste était illisible, car le bas de la feuille avait été arraché.

Quel petit-fils ou petite-fille se sert encore d’une montre aujourd’hui ? Tout le monde, moi la première, regarde l’heure sur son smartphone. Mais tout en me faisant cette réflexion, je me suis dit que ma remarque était un peu idiote. En effet, même à  80 ans, on reste toujours le petit-fils ou la petite-fille de quelqu’un. Et à 80 ans on se sert d’une montre, enfin je crois. Moi, mon grand-père ne m’a jamais donné de montre. Et s’il l’avait fait, je ne l’aurais sûrement pas apportée à la piscine. Une montre de grande valeur, était-il écrit. L’étourdi, qui pensait avoir perdu sa montre dans la rue, l’avait sans doute égarée au vestiaire de la piscine. Je ne suis pas particulièrement distraite, mais ça m’est arrivé d’y perdre quelque chose. Comme je vais tous les mardis à la piscine, ça multiplie les risques ! Un jour, ce sont mes lunettes de soleil que j’ai laissées dans le casier. Des Cartier, en plus. Mais non, pas des Cartier, des Cardin, mais c’était de la contrefaçon, bien sûr !

Cartier, c’était justement le nom de la rue dont je venais de dépasser la plaque en me dirigeant vers l’Allée du Nouveau Monde. Les rues, ça marche toujours par association d’idées : Jacques Cartier et le Nouveau-Monde, ça me rappelle les leçons d’histoire en CM2. N’empêche que c’est pratique quand on cherche une adresse dans un secteur qu’on ne connaît pas. On peut se dire : ça doit être par ici… ça chauffe.

Je me souviens, ce mardi-là, je devais, après mes dix longueurs de bassin, remonter en vélo jusqu’aux Arceaux pour un rendez-vous avec un jeune créateur d’entreprise. Je n’ai pas encore décroché de CDI, mais je fais de temps en temps des piges pour des titres de la presse régionale (très mal payées, soit dit en passant).

Ce trajet me laissait le temps de cogiter sur cette histoire de montre. Une montre Cartier… mais tout en prononçant ce nom mentalement, je savais que ce n’était pas cela. Pourtant une montre de grande valeur, ça correspondait bien avec Cartier. En même temps, je me disais que celui ou celle qui avait écrit cette annonce était bien naïf (ou naïve). En effet, qui de nos jours va rendre une montre de grande valeur, si le hasard l’a mise sur son chemin ?

J’en étais là de mes réflexions tout en longeant l’horlogerie du Triangle. Dans un coin de la vitrine, le coin des montre Vintage, j’ai vu, en gros caractères Bold, une marque se détacher parmi les autres : ETERNA (en majuscules, comme sur l’annonce). Evidemment que ce nom m’était familier car il y avait moins de cinq minutes que je l’avais lu. J’ai alors tout de suite fait le rapprochement avec la montre perdue près de la piscine (ou à la piscine, j’en restais à ma première idée).

Dommage que j’avais un rendez-vous, sinon, je serais bien entrée dans le magasin, histoire de me renseigner un peu plus sur ces montres-là. En traversant la Place de la Comédie, je repensais à la tentative désespérée de celui ou de celle qui avait perdu sa montre. Cette annonce, c’était comme jeter une bouteille à la mer ! J’aurais aimé interviewer ce petit-fils ou cette petite-fille, mais il n’y avait plus le numéro de téléphone. J’imaginais déjà le portrait ou la « belle histoire » que j’aurais pu en tirer. L’Echo du Clapas me l’aurait prise, à coup sûr !

En remontant la rue de La Loge et donc en slalomant autour des piétons, je réfléchissais à l’angle de ce portrait. Et au fond, qu’est-ce qui m’empêchait vraiment de l’écrire cette histoire ? Elle n’avait pas besoin d’être vraie pour qu’on y croie. Dans ce récit, je voulais donc m’intéresser surtout aux liens affectifs qui liaient ce grand-père à sa petite-fille. Car pour moi, c’était sûrement une petite-fille. C’est plus intéressant d’ailleurs, car c’est moins attendu qu’un grand-père donne sa montre à sa petite-fille, plutôt qu’à son petit-fils. Et pour la chute, je prévoyais que la petite-fille aurait 80 ans bien sonnés.

Mon histoire avait déjà pris forme quand j’arrivai au Peyrou. Plus qu’une centaine de secondes pour descendre la rue Pitot et je serais à mon rendez-vous, au 5 Bd des Arceaux. Mais… j’avais complètement oublié qui j’allais y voir et pourquoi !

 (A suivre)

 

 

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