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4 novembre 2015

Les Néreides, par Jean-Claude Boyrie

Néreidi 7.

Les Neréides.

7 Nireidi


Je traîne mon regard au loin       Mille visages autour de moi
dans des temps oubliés.                Et moi, devant eux, étranger
Je vois un regard étranger           Dans le regard du ciel
dans mes propres yeux                 Lâche, emprisonné.

Oneira, Si la mar, « Hypnovielle » éd. Musicales Hélico, 2010
    


  [Suite du journal de Phil :]
 
    Me voilà brusquement plongé dans un monde inconnu. J'y trouve le lointain reflet d'une Grèce oubliée. Quelques minutes à peine se sont écoulées depuis ma rencontre avec Alkistis, cette femme étonnante, à présent mon hôtesse. Il ne me reste qu'à la suivre jusqu'à ce qui sera mon futur lieu de séjour. Avec son aide, je me hâte de charger mes bagages à l'arrière de son véhicule, un pick-up hors d'âge, issu sans doute des surplus de l'armée américaine.
    Le moteur vrombit au démarrage. À chaque instant je le crois prêt à rendre l'âme, mais il n'en est rien : il doit y avoir un dieu pour ces vieilles mécaniques. Les amortisseurs sont nase, la suspension approximative, mais le pick-up se joue des innombrables nids de poule qui jalonnent la chaussée approximativement revêtue. Heureusement, le trajet à faire en traversant la « vouna » (plaine cultivée) pour atteindre la Coopérative agro-féminine n'est pas long. Nous franchissons par un gué bétonné la rivière Kephisos, le seul cours d'eau de l'île, une profonde ravine actuellement à sec. Mon regard se porte au delà de ce talweg. Passé une zone de cultures,  un paysage aride s'étend sous mes yeux. Je distingue au milieu des friches un ancien hameau déserté de ses habitants. Les bergers, me dit-on, s'y rendent uniquement le temps de la transhumance. Au milieu de la pierraille chauffée à blanc, je découvre une maigre végétation calcinée par le soleil, à base d'herbe sèche et de chardons. Ici, le chêne kermès règne en maître, aux côtés d'érables rabougris, de l'oléastre (olivier sauvage), et d'impressionnantes touffes de  thym. L'île n'a pas volé son nom de « Xanthos » (la jaune) !

 Alkistis s'évertue à slalomer au milieu des troupeaux de chèvres. Elles ont, paraît-il, priorité sur les véhicules. Les conducteurs doivent faire preuve de patience et de virtuosité car, surgissant de partout, ces bestioles traversent la route sans prévenir.
  Au passage, mon hôtesse observe que c'est pour elles la saison des amours. En va-t-il autrement des humains ? « En ces pâturages où Apollon garde les troupeaux, sa flûte jouant à l'aumaille des airs nuptiaux incite les bêtes à s'unir et multiplier »1
  À l'automne, les chevreaux nés de leurs étreintes éphémères, finiront en gigots, leur peau tannée sera vendue aux Italiens, qui en font des chaussures. Heureusement, les chèvres ignorent encore leur triste destinée. Elles batifolent dans la garrigue en toute liberté. N'y trouvant pas grand chose à brouter, elles s'acharnent sur tout ce qui dépasse. À force de coups de dents, ces voraces créatures sont capables de transformer un arbre de haute tige en bonsaï.    
    Ouf.... Encore un petit effort... Voici que se présente une ultime série de virages en épingle à cheveux. Une fois franchie la ligne de crête, la coopérative s'offre à mes yeux, d'un seul coup. L'entrée est signalée par un panneau de bois peint, où figure en caractère grecs la mention « Nereidi ». Ce nom même m'a séduit, tant il fait remonter en moi d'obscures réminiscences. J'ai tendance à dire Né-ré-i-di, en marquant la diphtongue. Alkistis me reprend gentiment : en grec, on prononce Ne-ri-di, trois syllabes toutes simples, mais qui font la différence.
  Je rassemble mes souvenirs de mythologie. La race charmante des Néreides est issue des amours du dieu marin Nérée et de l'Océanide Doris, à la belle chevelure, fille du fleuve sans fin Océan. Les Néreides, au nombre de cinquante, sont des nymphes qui vivent dans la mer profonde, aux tréfonds d'une grotte argentée. Il leur arrive de remonter en surface, au souffle des vents sacrés, chevauchant des dauphins. En compagnie des Tritons, elles forment le cortège de Poséidon. L'artiste local auteur du panneau d'accès les a figurées comme il les imagine, avec une pointe d'érotisme un peu kitsch : mi-femmes, mi-poissons, tenant à la main leur couronne d'or.

  À l'approche du village, le touriste en mal de dépaysement que je suis éprouve un vague sensation de désappointement. Non, les maisons alignées à flanc de coteau, ne répondent pas aux codes habituels des cartes postales : toutes blanches avec des volets bleus. Alkistis s'étonne de mon étonnement. C'est, me dit-elle,  pour préserver le site, que les murs de pierre ont été maintenus tels quels, en pierre sèche. Elle trouvait absurde de les badigeonner chaque année à la chaux, copieusement, comme on beurre une tartine. À force de couches superposées, on ne peut qu'aboutir à une masse informe. Ici, la construction garde son aspect traditionnel. Le progrès s'invite sur les toitures terrasses sous forme d'antennes paraboliques, de cumulus et autres panneaux photo-voltaïques, qui procurent l'énergie nécessaire aux besoins de la Coopérative. Ce que le village perd en pittoresque, il le gagne en autarcie.


   Je remarque aussi que les gîtes montent à l'assaut d'une petite éminence. Un magnifique étagement !
  Alkistis me laisse entendre que je ne suis pas au bout de mes surprises. Elle m'invite à découvrir ce cadre une fois que je serai installé. Si je fais au petit jour l'effort (tout relatif) de gravir les 735 m  du mont Notos je serai récompensé de ma peine. C'est merveille de voir de là-haut le soleil se lever sur la côte orientale.... On a la mer juste à ses pieds, qui scintille en bas de la falaise, battue par les vents étésiens. Notos est l'antique nom du vent de sud, par opposition avec Borée, un redoutable vent de nord qu'on nomme aujourd'hui « le meltem », l'Euros (vent d'est, plus sec ) ainsi que le doux Zéphyr (vent d'ouest). Ici, d'où qu'il vienne, et quoi qu'on fasse, le vent souffle constamment. On finit par s'y faire, ajoute Alkistis. En contrebas, une sente escarpée permet d'accéder en une dizaine de minutes à une crique sablonneuse, pas plus grande que ça. L'on peut s'y baigner à l'abri des regards.... Ce disant, elle excite ma curiosité. Je remarque une lueur coquine qui brille dans ses yeux, plutôt inattendue chez cette femme d'apparence austère.

Illustration : Photographie de l'auteur, prise à Skyros (Sporades)

 

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