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9 janvier 2016

Lendemain de fête, par Jean-Claude Boyrie


Globe_terrestre

Rien de plus lugubre qu'un petit matin blême de premier janvier, quand dehors il fait gris et froid. Luc s'éveille quand tout dort. La folle nuit de la saint-Sylvestre a pris fin, pleine encore des embrassades de minuit, des cris de joie des passants, du bruit des pétards dans la rue et du crépitement d'un feu d'artifice au loin. À présent, les teufeurs sont rentrés chez eux, plus rien ne bouge. Il y a ceux qui, lourds d'avoir trop mangé, trop bu, n'émergeront que bien plus tard, à l'heure du brunch, avec une forte sensation de gueule de bois.
   Le marathon des fêtes est fini, bien fini… Jusqu'à la prochaine. Les guirlandes vont bientôt s'en aller, le globe terrestre de la Comédie sera démonté. Pas de répit pour souffler.
   Car la pause ne durera pas. Bientôt, s'ouvriront les soldes, le harcèlement mercantile reprendra de plus belle. Ensuite, il sera juste temps de penser à la saint-Valentin ! Pourquoi pas aux cloches de Pâques ?
   Ce qui se rapporte à l'année écoulée est définitivement révolu, même que c'est déjà de l'histoire ancienne. Pfff… tout aux oubliettes ! On efface la copie avant d'aborder l'an nouveau.
  Le changement de calendrier s'accompagne des bonnes résolutions d'usage. Oui, mais lesquelles ?  Luc entrevoit la possibilité, partant d'un vœu négatif, genre « fais pas-ci, fais pas ça » de déboucher sur des perspectives plus constructives.
Première résolution (au moins ça c'est clair, d'autant qu'il n'a pas le choix) : ne plus revoir Gaëlle et passer à la suite. Finies les escapades en amoureux. Ce 23 décembre aux Baux-de-Provence aura vu leur dernière rencontre. Luc repense à ce charmant village, témoin de moments heureux, de souvenirs auxquels se mêle une charge émotive intense. Il n'imagine pas y revenir1. Au sortir des Baux, il s'est un instant retourné, pour s'imprégner de la vision de la tour Sarrasine et de la tour des Bannes émergeant d'une gangue de nuages. Puis, leur silhouette a progressivement rapetissé. À l'image de la tour d'ivoire où désormais, il va s'enfermer, l'altière citadelle s'est fondue en un chaos rocheux, avant de disparaître enfin, masquée par un virage de la route.
  Désormais, Luc ne voit plus à cet endroit qu'une coquille vide, une usine à tourisme où tant de monde défile ! Il réalise à quel point les lieux, si prestigieux soient-ils, sont neutres par rapport à ce qui nous arrive autant qu'indifférents à nos sentiments. Il en est de même des objets.
    C'est promis juré. L'amant déçu va se débarrasser illico presto de tout ce qui, de près ou de loin, touche à cette fille. Aujourd'hui, les détritus en tout genre s'amoncellent sur le trottoir. Tous ces petits riens porteurs de sens, qui lui sont chers, s'évanouiront pour ne plus jamais reparaître au milieu des reliefs du réveillon, des bouteilles de champagne et des sapins de Noël déplumés qui pleurent leurs aiguilles, pitoyables cadavres.

Sapins

  Demain, 2 janvier, les éboueurs passeront, et tout sera dit.
Rien n'est plus facile en apparence. Même trop, car, lorsqu'il repense, Luc trouve ce scénario simpliste et surtout précipité. Rien ne presse après tout. Faire table rase d'un passé encore chaud, bien sûr s'il le veut, il le fera. Mais doucement, par étapes, « plan-plan » comme disent les Provençaux. Les choses viendront d'elles-mêmes, à leur heure.
   Encore faudrait-il qu'il en ait réellement envie. Luc voit bien que les résolutions de ce genre ne sont  pas faites pour être tenues.
   Alors, il songe à quelque subterfuge, un moyen détourné de chasser les pensées insidieuses qui ne vont pas manquer de l'envahir.
   D'où la décision n°2, cataloguée « positive », celle-là : s'inscrire à un cours de yoga.
Justement, il y a un club dans son quartier. Les séances ont lieu le mardi de dix à douze. Débutants acceptés. Tarif promotionnel pour les nouveaux adhérents. Dans l'entourage de Luc, on ne cesse de s'extasier sur les bienfaits du yoga. Qui pratique cette discipline apprend à dominer ses pulsions, maîtriser ses affects en même temps que sa respiration. Quant aux postures, certaines il est vrai sont difficiles, on n'y parvient qu'au prix d'un long apprentissage, il faut faire preuve de patience. Au terme de chaque séance, intervient l'incontournable phase de relaxation, celle où l'on s'allonge immobile en faisant le vide dans son cerveau, pour le purger des idées parasites. Sauf que cela n'est pas donné à tout le monde et que Luc n'est pas sûr d'y arriver. Et puis le yoga, en admettant qu'on soit assidu, cela ne représente jamais que deux heures par semaine, hors vacances scolaires bien entendu.  Alors, que faire le reste du temps ?
   Il passe au projet de résolution n°3 :  se réfugier dans l'écriture, une activité qui vous accapare, au moins jamais ne laisse l'esprit en repos. Un sacré bon plan, quand on y pense ! Pourquoi ne pas s'y mettre, là, tout de suite ? Il va se lancer dans un nouveau roman, qui vaudra ce qu'il vaudra, le résultat final ne fait rien à l'affaire. Luc a déjà l'expérience de la chose, et même a déjà le canevas en tête, une histoire sans rapport bien sûr avec sa propre vie. Quoique....
  Il commence à échafauder un scénario, crée des héros fictifs (non dépourvus malgré tout, de ressemblance avec certaines personnes réelles). Ces personnages l'accompagneront toute l'année, il sait par avance qu'il va progressivement s'attacher à eux. Quand reviendra la période des fêtes, et qu'il faudra inscrire le mot « fin » en bas de la dernière page, il aura le plus grand mal à s'en séparer.

   Luc redémarre son ordinateur, qu'il avait exceptionnellement éteint durant cette nuit de la Saint-Sylvestre. Cela ne se fait pas de réveillonner devant un écran allumé.  Avant de passer sur Writer et de créer un nouveau texte format word 2013 XML(.docx), , Luc ouvre tout de même sa messagerie internet, comme ça, par acquit de conscience. En ce jour férié, le plus inactif de l'année, il ne s'attend pas à trouver quoi que ce soit d'intéressant. Pas de messages non désirés, même les lanceurs de spams marquent une pause. Rien que des messages de vœux qui défilent en cascade, au contenu le plus souvent convenu, parfois original et sincère. Aucun ne le touche vraiment. Ces voeux émanent de personnes qu'il connaît bien, d'autres qu'il a plus ou moins perdues de vue, voire carrément oubliées. Luc va devoir répondre à tous, courtoisie oblige, une corvée qui, pour parler franc, l'enquiquine. Il prendra son temps : tout le monde sait qu'on a six mois avant et six mois après le 1er janvier pour se souhaiter la bonne année. Et puis, il éprouve un vague sentiment de frustration, n'ayant pas reçu les vœux qu'en son for intérieur, il espérait. Ne serait-ce que pour les mettre ensuite à la corbeille. Alors, avant de fermer son appli « courriel », Luc prend son courage à deux mains, clique sur « nouveau message » et tape une adresse, la première en fait qui lui vient à l'esprit : « gaelle34@indigo.fr »
  La phrase unique qu'il compose n'a que sept mots, ce n'est vraiment pas assez pour en faire un roman, mais déjà trop pour respecter ses bonnes résolutions de tout-à-l'heure : « Bonne année tout de même, mon amour ! »

Illustrations : photos de l'auteur.
Piste d'écriture : les bonnes (ou mauvaises) résolutions.

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Commentaires
C
un texte plein d'humour (et d'amour)! pour ce début d'année. On a déjà rencontré ces deux-là dans Méconte de Noël: <br /> <br /> http://www.atelierdecrits.com/archives/2015/12/25/33115860.html
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