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18 mars 2016

La caisse, par Chantal Gélabert

Piste: une phrase déclencheuse, la première.

Quelques jours après avoir pris possession de sa somptueuse villa, Alexandre Duval, rentrant chez lui, aperçut de loin, un homme qui sortait, une caisse sur le dos, qu'il chargeait sur un camion.

Il n'avait encore eu guère le temps de faire connaissance avec ses voisins mais quelques visages lui étaient déjà familiers. Celui-ci ne l'était pas. Il l'aurait reconnu, tant son apparence incongrue faisait tache dans ce lotissement de luxe. Très grand, légèrement courbé par le poids de la caisse, vêtu d'un short aux couleurs vives et d'un débardeur vert fluo, le crâne entièrement rasé du côté gauche et garni d'une chevelure abondante, longue et bouclée, de l'autre.

Sans doute un baba cool friqué désireux d'ulcérer les bourgeois du quartier. Cette pensée lui arracha un bref sourire qui disparut presque instantanément. Alexandre était de sombre humeur. Cela faisait deux ans mais il n'arrivait toujours pas à s'y faire. Il observa l'homme encore un moment, s'avança vers son portail, extirpa la télécommande trop grosse pour la poche de sa veste Hugo Boss et roula jusqu'à son garage. Au moment d'ouvrir sa porte d'entrée, il réalisa qu'il n'aurait jamais prêté attention à cet individu s'il n'y avait eu cette caisse. Même forme et même gabarit. Il chassa vigoureusement ce souvenir douloureux et s'installa au bord de la piscine. Il n'avait pas encore déballé tous ses cartons mais s'était empressé d'aménager la terrasse. Il se servit un verre de whisky, se laissa couler dans son transat, attrapa son portable et composa le numéro de sa femme.

  • Bonjour chérie

  • Alexandre ! Tu es déjà rentré ?

  • Déjà...mais il est 19h30 !

  • Justement, il n'est que 19h30. Tu nous as habitués à des heures beaucoup plus tardives.

  • Depuis que je suis dans cette nouvelle agence, je me suis organisé pour avoir plus de temps pour moi, enfin pour nous. Pourquoi ramènes-tu toujours tout au passé ?

  • Et c'est toi qui me dis ça !

  • Oui, je sais

  • C'est bien toi qui as eu besoin de partir à 1000 km pour tenter de l'oublier.

  • Bon, ça va.

  • En tout cas, tu me vois ravie de ta nouvelle organisation.

  • Tu arriveras vendredi ? Tu ne peux vraiment pas te libérer avant ? Nos week-ends passent tellement vite.

  • Mais tu savais que je n'obtiendrais pas ma mutation avant longtemps, ce qui ne t'as pas empêché de tout faire pour obtenir la tienne, me laissant seule après... 

    Alexandre l'interrompit pour ne pas entendre les sanglots dans sa voix

  • Charlotte, promets-moi

  • Te promettre quoi ?

  • Promets-moi qu'on va réussir notre nouvelle vie.

    Il se résigna au silence de son épouse, murmura un je t'aime comme un dernier soupir et raccrocha.

    Juin n'en finissait pas d'étirer ses journées et Alexandre piqua une tête dans la piscine. Il se sentait tellement lourd. La fraîcheur de l'eau lui donna une sensation éphémère de légèreté.

    Mais cette fichue caisse l’obsédait. Il enfila jean, tee-shirt et baskets et partit en petites foulées dans la garrigue. Au retour, il passa devant le camion resté entrouvert, s'en approcha et put observer la caisse de plus près. Il en fut bouleversé. Ce coffre ressemblait tellement au sien. Il se mit à marmonner tout en faisant les cent pas. Mais non, ça n'est pas possible, je l'ai porté chez Emmaüs il y a deux ans, à Lille, et aujourd'hui je vis à côté d'Aix en Provence. Il réalisa qu'il y aurait bien un moyen de le vérifier, il y avait une éraflure sur le dessus. Il s'en souvenait parfaitement. Il lui avait glissé des mains au moment où il l'avait mis dans son Berlingot. Mais à quoi bon savoir ? Ça changerait quoi ? Son fils ne reviendrait plus y ranger ses jouets.

    Il vit l'homme au short hawaïen venir vers lui.

  • Bonjour, je vous vois tourner autour de mon camion depuis un bon moment. Vous voulez l'acheter ?

    Le baba cool avait un l'humour que ne partagea pas Alexandre.

  • Excusez-moi. C'est juste que ce coffre, je me demandais si...mais non c'est idiot. Vous allez sans doute me trouver ridicule mais... pourriez-vous l'ouvrir pour que je respire son odeur ?

  • Salut. Je m'appelle Paul.

  • Oh, je suis vraiment désolé, je ne me suis même pas présenté. Alexandre Duval.

    Ils se serrèrent la main. Alexandre échangea un regard furtif avec son interlocuteur.

  • Je viens juste de m'installer ici. Je comprendrais que ma demande vous semble totalement absurde mais vous me rendriez un grand service en l'acceptant.

    Paul ouvrit le coffre sans faire de commentaire. Alexandre s'en approcha et quand il fut suffisamment près, il ferma les yeux et prit une profonde aspiration comme le font les cocaïnomanes. Quand il ouvrit les yeux, il vit Paul le regarder d'un air dubitatif.

  • Ça vous a fait du bien ?

  • Oui, d'une certaine façon. Vous y avez stocké de la peinture ?

  • Exact. Je n'aurais pas dû ?

  • Non, c'est juste que je m'attendais à autre chose, c'est tout. Vous avez des enfants ?

  • Non.

  • Merci en tout cas. A une prochaine fois sans doute.

    Paul resta perplexe, ne sachant pas si son voisin avait l'intention de venir régulièrement sniffer son coffre. Il le regarda partir et ne sut dire pourquoi, tout à coup, il se sentait triste.

     

    Chantal Gélabert

    29 février 2016

     

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