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27 février 2016

Quand les anges s'en mêlent, par Chantal Gélabert

Succesion de points de vue à la 3e personne, inspirée par une toile de Raphaël et une photo de Cartier-Bresson.

Madone Sixtine, détail: Putti accoudés, par Raphaël

« Mon Dieu que les humains sont désespérants ! »
L'ange Gabriel accoudé à son bureau se lamentait en regardant, très haut perché, le café de Flore, et plus particulièrement, le coin gauche de la salle. Y étaient installées une jeune fille et une femme qui aurait pu être sa grand-mère.
Reiyel partageait l'exaspération de son collègue et néanmoins ami, Gabriel. Il cherchait l'inspiration.
« Mais que veux-tu qu'on fasse ? Tu as vu comment la vieille la regarde ou devrais-je dire, la toise ? »

 Deux petites tables rondes séparaient les deux femmes. La plus jeune, les doigts dans la bouche, semblait entièrement absorbée par son journal et l'autre, entièrement absorbée par les jambes dénudées de sa voisine.

 Dans un effort surhumain d'imagination, Gabriel suggéra qu'il s’était peut-être mépris et qu'en cherchant bien, il décelait de la curiosité chez cette femme.
«  Si, je t'assure Reiyel, c'est probablement la première fois qu'elle voit une mini-jupe et elle envisage d'en parler avec sa petite fille sans trop savoir comment. »
« Eh bien, je lui trouve une curiosité bien sévère alors, répliqua Reiyel. Quant à son éventuelle petite fille, je n'aimerais pas être à sa place quand elle lui parlera chiffons. »

cartier-bresson brasserie lippAucune des deux femmes n'avait bougé pendant cette conversation angélique. Comme si le temps s'était incrusté dans l'éternité des anges, statufiant chacune d'elles dans sa posture.
Un homme d'une trentaine d'années pénétra dans la salle et prit place entre elles deux. Il commanda une bière, déplia son journal. Il régla sa boisson dès que le serveur la lui amena. Au moment de reprendre sa monnaie, son regard balaya la salle et il remarqua que sa voisine de droite l'examinait avec intensité. Il lui fit un bref salut auquel elle ne répondit pas.

 « Tu vois, dit Gabriel, j'ai beau souffler un élément nouveau, la situation reste bloquée. »
« Laisse-moi faire » dit Reiyel. « J'ai une idée. »

 Un brusque courant d'air emporta les journaux à l'autre bout de la salle. Tous trois se levèrent en même temps pour aller récupérer leur bien et s’aperçurent, non sans étonnement, qu'ils lisaient le même quotidien.
Contre toute attente, la vieille dame entama la conversation
« Je n'aurais jamais imaginé qu'une fille de votre âge et de votre apparence puisse s’intéresser à ce genre de presse. C'est tout à votre honneur ». Elle marqua un temps d'arrêt puis reprit. « Mais dites-moi, vous n'avez pas froid aux jambes ? »
« Vous me faites penser à ma grand-mère qui s'inquiète toujours pour moi » répondit la jeune femme en lui souriant.
« Et moi, j'ai beau être en pantalon, elle croit toujours que je ne suis pas assez couvert », ajouta l'homme.
Ils retournèrent à leur table tout en continuant à deviser sur leurs grands-mères respectives.

Reiyel fit un clin d’œil à Gabriel tout en repliant délicatement ses ailes.
« Eh bien tu vois, les humains ne sont pas aussi désespérants que ça. Tu feras mieux la prochaine fois, Gabriel. »

Texte: Chantal GELABERT, 15/02/2016
Madone Sixtine, détail: Putti accoudés. RAPHAEL
Brasserie Lipp, Paris 1969 Henri CARTIER-BRESSON

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