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3 avril 2016

La malle (1), par Nyckie Alause

Histoire en 3 épisodes. Piste d'écriture: Une malle, deux objets, une photo…

 

Cette malle, j’en ai entendu parler par quelqu’un que je rencontrais ce jour-là pour la première fois. La manière dont cette personne me présentait la chose laissait penser que la découverte de cette malle était déjà en soi une aventure.

— La maison n’avait pas été ouverte depuis fort longtemps, dit-il. En pénétrant dans les pièces obscures qui faisaient suite aux pièces principales où je sentais encore les fantômes de présences anciennes, je me suis senti pénétré d’une impérieuse curiosité.

Il ménage une interruption durant laquelle je n’ose pas lui poser de question de peur qu’au lieu de relancer le récit il passe à autre chose. Je ne le regarde que du coin de l’œil, dans le contre-jour du jardin. Et si tu as remarqué que je cligne des yeux, c’est certainement le soleil qui en est la cause.

L’homme, le narrateur, se tortille sur sa chaise, lui tirant comme exprès des grincements musicaux et métalliques, avant de reprendre son récit :

— Derrière la salle à manger se trouvait un réduit meublé d’un vieux meuble à crédence. Des traces de poussière essuyées à grands coups de torchons faisaient comme des marbrures ondoyantes qui, je dois le préciser, étaient comme les signatures d’un monde disparu.

Il a vraiment le chic pour mettre du suspense et du mystère dans une histoire qui pour l’instant reste anodine. Il reprend son souffle pendant que je retiens le mien.

— Il y avait aussi des traces de pas sur le parquet grinçant et usé. Des traces de pas … qui vont dans un sens mais ne reviennent pas. Des empreintes de galoches cloutées (pas des semelles de cuir souples) légèrement écartées, laissées par une femme d’un certain embonpoint. Elles s’arrêtent devant le mur, comme si la personne qui avait traversé la pièce s’était volatilisée.

— Impossible, lui dis-je. Soit il existe une porte dérobée, soit la femme est ressortie à reculons…

J’essaye de trouver une explication raisonnable à ce qu’il me laisse entendre.

Il me dévisage, amusé de ma répartie et de l’intérêt dont je fais preuve. Il prend le temps de se resservir à boire, repose la bouteille sur le guéridon, sort son paquet de tabac et avant de reprendre le récit interrompu, il roule cette vilaine cigarette dont la fumée bleutée envahit notre coin de terrasse.

— C’est exact, il y a une porte. Le papier peint qui tapisse le mur recouvre aussi la porte sans poignée. Seule une clef sombre et rouillée dont l’anneau dépasse à peine m’indique sa présence. Et imaginez-vous que, même si vous criez « Impossible !», cette porte est fermée, à double tour. La serrure ne grince pas, le pêne glisse sans un bruit, juste un petit « clic » pour dire que sa course est finie. Je dois avouer que, au vu des empreintes de pas, j’hésitai à ouvrir, m’imaginant déjà trouver le cadavre d’une servante, ou pire. Quoique je ne vois pas bien ce qui pourrait être pire…

Et une nouvelle pause de sa part me laisse effectivement envisager le pire. Il a bien commencé son histoire en m’appâtant avec la découverte de cette malle. Mais il n’a pas dit ce qu’elle contenait et c’est à mon tour de l’imaginer, le pire. Je vois déjà la robe et un bout du jupon qui dépassent du couvercle mal refermé. Peut-être même la chevelure défaite et poussiéreuse comme une méduse séchée…

— Ce qui est assez étrange c’est que l’ouverture de cette porte se fait en la poussant et que le déplacement d’air occasionné par ce mouvement envoie dans l’atmosphère confinée une odeur de fleurs sèches, vous savez ces immortelles que l’on ramasse en fin d’été, et un léger parfum de gardénia d’un autre siècle.

Il accompagne ses dernières paroles d’un geste large de la main comme pour chasser la poussière et les odeurs du cagibi.

— C’est un cagibi, tout petit, très étroit. La lumière qui arrive à l’intérieur passe obligatoirement autour de mon corps et projette mon ombre immense au centre du lieu. C’est pour cela que la malle, je ne la remarque pas immédiatement et que, quand mon pied butte dessus je sursaute. Je crois même que j’ai poussé un cri, c’est dire.

— Et alors, vous l’avez ouverte ? demandai-je avec une impatience non feinte.

— Pas encore. Pas de suite. La pièce était très sombre, j’ai ressenti une inquiétude. Et la poussière qui tournoyait m’avait provoqué une quinte de toux exténuante. J’ai préféré rejoindre la cuisine pour me munir de la grosse lampe électrique que j’y avais vue un peu plus tôt. Dans la poche de ma veste j’ai mis aussi une bougie presque neuve et une boîte d’allumettes, on n’est jamais trop prudent. Et quand j’ai retraversé la maison pour rejoindre le fameux cagibi, les choses m’ont semblé différentes. Les odeurs avaient dû se dissoudre, les traces de poussière avait disparu sous l’effet d’un courant d’air pourtant à peine perceptible.

— Oui. Mais la malle, qu’y avait-il dans cette foutue malle ?

— Heureusement la lampe éclairait bien et fort. Une lumière jaune assez rassurante, je dirais gaie si le moment n’était pas si dramatique, si ma main ne s’était pas mise à trembler. La malle n’était pas fermée. C’était une jolie malle de voyage, de ces malles que l’on peut laisser à terre ou redresser comme une petite armoire. Une de ces malles que les gens qui pratiquaient au siècle derniers les voyages transatlantiques ne pouvaient manquer de posséder. Les coins métalliques gardaient des traces de peinture rouge et des étiquettes de grandes compagnies se chevauchaient sur son cuir usé.

— Dans la malle, qu’avez-vous donc trouvé ?

— Dans un petit tiroir se trouvait une croix toute simple assortie d’une chaîne en or assez longue. Rien n’était gravé sur le bijou.

— C’est tout ? dis-je, déçu. Tout ça pour un petit bijou de rien du tout…

— Non. Il y avait aussi… Il hésite, fait mine de réfléchir, Il y avait aussi, roulé dans des feuilles de journal, un vase.

Comme il voit que je trépigne, il reprend de suite.

250px-Journaux_Italien— Des journaux datés de novembre 1908. D’Italie. Un vase de verre, coloré, taillé de biseaux qui piègent la lumière et la font scintiller. Un vase étonnant. J’ai l’impression que le propriétaire l’a rapporté d’un voyage à Venise et ne l’a jamais déballé. La personne à laquelle il était destiné devait être morte, partie, disparue, fâchée… Enfin, il avait dû se passer quelque chose qui rendait le cadeau impossible. C’est un détail que je ne manquerai pas d’éclaircir plus tard...

— Vous aviez parlé de trois découvertes. Mais ça n’en fait que deux, à moins que vous ne comptiez la malle…

— Non. Il y avait encore autre chose.

Il fait à nouveau mine de réfléchir, de faire des efforts de mémoire, comme s’il avait pu oublier ce qui en fait ne s’est produit pas plus tard que la semaine passée.

— Un carnet. La couverture de moleskine brune. L’étiquette en partie arrachée n’affiche plus d’autre information que SO… mais ça ne veut rien dire.

 

De la poche de sa grosse veste de velours, il sort le carnet et le pose sur la table. Avant de le prendre et de l’ouvrir, je le regarde, dans les yeux, pour être sûr d’en avoir l’autorisation.

 

Les pages intérieures sont brunes, d’un cartonnage épais. D’une écriture élégante, sont notés des noms de lieux et des dates, ainsi que des énumérations de prénoms séparés de virgules énergiques. Mais des photos qui devaient y correspondre ne restent que des coins de cellophane jaunie et de légères traces d’humidité.

Presque à la fin de l’album, coincée dans le creux de la reliure, un petit cliché montre une femme assez belle qui pose ses mains sur les épaules d’un jeune garçon, huit ou neuf ans, en culottes courtes et marinière à col carré. L’enfant semble vouloir s’échapper, il regarde déjà ailleurs. Aussi, je me demande si la femme, peut-être sa mère, n’essaie pas simplement de le retenir. Au dos de la photo, il n’y a rien de noté.

— J’ai essayé, mais elle ne rentre dans aucune des cases vides du carnet, rajoute mon interlocuteur. J’ai tout essayé.

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