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12 avril 2016

Bout d'pomme, par Jean-Claude Boyrie

     Bonjour. On m'appelle Bout d'pomme, à cause d'un spectacle pour enfants où il est question de pommes.… Je suis un grand, j'ai trois ans et deux mois, je sais compter jusqu'à trois, on me dit que je suis haut comme trois pommes. Alors, tout ça fait combien de pommes ?

   Mon vrai nom, c'est Olivier. Sur mon livre d'images, l'olivier, c'est un arbre au feuillage argenté sage comme une image. Maîtresse dit que c'est un arbre de paix, mais que je suis un agité. Donc, Olivier, ça ne va pas. La preuve : quand on se promène à la campagne, avec Papa-poule et Maman chérie d'amour, on voit des oliviers pour de vrai. Leurs feuilles n'arrêtent pas de bouger à cause du vent.

  Une autre chose que j'ai du mal à comprendre, c'est pourquoi mon âge, il change tout le temps. On m'a promis qu'un jour je serai grand comme les grands, à condition de manger ma soupe. Moi, je n'aime pas la soupe et d'ailleurs, je n'ai pas besoin de grandir.

  Quand j'ai voulu voir comment marche la machine à café, Papy m'a fait monter sur un tabouret. D'un seul coup, je suis devenu aussi grand que Papy. Je lui ai demandé comment ça marche. Au moment de tasser la poudre dans le godet, je me suis écrié : « c'est moi qui fais ! ». Papy m'a laissé tourner la molette, à condition de ne pas m'approcher, parce que je pourrais me brûler. J'ai vu le café couler de la machine. Le café, c'est noir et ça sent mauvais, c'est caca-boudin. Les petits enfants n'ont pas le droit d'en boire, et moi, ça m'est égal, je n'en ai pas envie.

  En descendant du tabouret, j'ai accroché la tasse. Elle s'est renversée et le café s'est répandu sur le carrelage. J'ai pris mon air le plus canaille et poussé cette exclamation : « Oh, putainnngue ! ». C'est ce que dit Papa-poule à la maison quand quelque chose ne va pas. J'étais fier comme tout d'avoir produit mon petit effet. Papy a fait la grosse voix : « Qu'est-ce que j'entends ? »

Ça me fait bien rire. Il ne me punit pas, mais me fait promettre de ne pas recommencer.

«  Et pourquoi ?

En fait, je connais déjà sa réponse :

- Parce que les petits enfants ne doivent pas dire de gros mots. »

Ensuite, Papy m'a fait la bise. Il a le menton qui pique et je n'aime pas ça.

Donc, je suis à l'âge des « Pourquoi ? ».

Quand je demande à Papy pourquoi ses cheveux sont blancs, il me dit que c'est comme ça quand on est vieux.

« Et pourquoi les cheveux de Mamie ne sont pas blancs ?

- Ce serait trop long à t'expliquer. »

Cette réponse, qui n'en est pas une, ne me satisfait pas du tout.

J'entends derrière moi la voix de Papa-poule.

« Rose, il faut qu'on se dépêche… »

   Rose, c'est Maman chérie d'amour. Moi, je ne l'appelle jamais Rose. Elle n'est pas rose, elle est brune et rougit quand elle se fâche ou quand elle est restée un certain temps au soleil. Des fois, quand il lui parle, Papa-poule l'appelle aussi : « Mon chou ». Maman chérie d'amour est frisée comme un chou. J'ai remarqué que son ventre gonfle, elle m'annonce que je vais avoir une petite sœur. Alors, rose ou chou ? Des fois, on me dit que les bébés naissent dans les roses, d'autres fois que c'est dans les choux. Je suis un peu perdu.

   Je ne suis pas vraiment pressé d'avoir un petit frère ou une petite sœur.

   À l'école, je connais des copains en qui ont déjà. Je sais comment c'est, un nouveau-né. C'est tout petit et gluant comme une grenouille. Ça passe son temps à dormir, et à crier pour avoir la tétée.

   Ceux de ma classe m'ont prévenu qu'ensuite, il faudra tout partager, qu'on ne m'aimera plus comme avant. Mes parents ne s'occuperont plus que du bébé.

   Moi, ça ne me va pas du tout, je veux rester toujours au centre du monde.

  Mes parents ont fini leur café. Maintenant, ils sont partis travailler. Je ne leur demande plus comme autrefois de rester tout le temps avec moi, je sais que ce n'est pas possible et je ne pleure plus quand ils s'en vont. J'ai fini par admettre qu'ils ont une vie en dehors de leur bout d'pomme.

  Papa-poule est informaticien-poète et Maman chérie d'amour est maîtresse. Pas maîtresse en Maternelle, elle enseigne aux grands.

  Un jour, je leur ai demandé :

« Papy et Mamy, ils ne vont pas travailler comme vous ?

- Non, mon chéri.

- Et pourquoi ?

- Parce qu'ils sont à la retraite.

- Ça veut dire quoi, à la retraite ?

- Ça veut dire qu'ils ont arrêté de travailler ».

Décidément, je n'en saurai pas plus. Avec eux, on tourne en rond.

  Là, je vais rester seul avec Papy et Mamy, c'est eux qui vont me garder. C'est chouette. Au moins, ils me laissent faire tout ce que je veux. Enfin, presque.

   Ils voudraient que je fasse la sieste, mais là, je n'ai aucune envie de dormir. Papy me montre un lit d'enfant, me dit que c'est celui de Pierre « quand il était petit ». Papy n'appelle pas papa : « Papa », mais « Pierre ». Au fait, une pierre, c'est dur, et je sais bien, moi, que Papa-poule n'est pas dur.

   «Puisque tu n'as pas sommeil, à quoi veux-tu jouer ? 

- Aux quilles », je réponds.

   C'est mon jeu favori. Je sais où elles sont : tout au fond, dans le coffre à joujoux. Papy les sort du coffre et les met debout, c'est moi qui lance la boule.

   Comme je suis devenu très adroit, en trois coups, je les renverse toutes. On recommence deux ou trois fois, mais c'est toujours la même chose et j'en ai vite assez.

  Puis je débute un puzzle, et n'ai pas envie de le finir. J'éparpille les morceaux sur le carrelage, en guettant du coin de l'oeil les réactions Papy et Mamie. Avec un peu de chance, ils vont s'énerver. Même pas ! Ils ne me disent rien, mais se contentent de tout ramasser.

  Alors, je fais rouler mon camion de pompier, je le lance au milieu de la pièce en criant « Pim-pon, pim-pon ». C'est comme ça que les pompiers font dans la rue, j'entends souvent les pompiers passer.

  Comme si je n'avais pas fait suffisamment de bruit, je tape d'une main sur mon tambour et de l'autre sur le xylophone. Mais c'est la musique de la machine à laver que j'aime par dessus tout. Elle est magique. Il suffit d'appuyer sur un bouton pour qu'elle se mette à chanter.

  Voici venue l'heure du goûter. Ouh, les grosses fraises ! J'adore les fraises. Ma bouche est bien trop petite pour que je puisse les avaler tout rond d'une bouchée. Alors Papy et Mamy les coupent en morceaux. Je barbouille mon pull et ma salopette avec du jus de fraises mêlé de chocolat. Bien visé ! Il y en a partout. Vite, on passe à la salle d'eau pour réparer les dégâts. Comme je me trémousse un peu, je suis prié de passer sur le pot, mais je dis non ! C'est bien plus amusant de mouiller la culotte. Après, on vous met des affaires sèches toutes propres, on se sent tellement mieux !

  Tout finit par la lecture. Un instant que j'attends entre tous. Je m'installe entre Papy et Mamie, ils me disent de choisir un livre. Ceux rassemblés sur l'étagère sont tous à moi.

  Bien sûr, je prends un malin plaisir à tirer celui juste en bas de la pile, et patatras, ça fait tomber tous les autres. Ça me fait rire aux éclats.

   Papy dit que je suis diabolique, Mamie dit que je suis un chenapan, ça doit vouloir dire à peu près la même chose.

  Le livre que j'ai choisi s'appelle « Crocolou aime la cantine ». Sur une image au milieu du livre, on voit des enfants qui s'amusent avec les petits pois qu'on vient de servir. Le loup crocodile a renversé son assiette et les petits pois tombent par terre en faisant : « Ding ! Ding ! Ding ! »

  On me dit que c'est mal de jouer avec la nourriture. Il ne faut pas faire des bêtises comme Crocolou. Maintenant, les dégâts sont réparés. La dame de service a remis des petits pois dans l'assiette avec du jambon. Moi, j'aime bien les petits pois, mais je ne touche pas au jambon, c'est beurk, c'est du cochon mort. Le Grand méchant loup mange les petits cochons vivants. Il souffle sur leur maison pour les dévorer. Pffff ! La maison faite en paille s'envole. Celle en bois résiste un peu, celle en brique tient bon. Après, je ne me souviens plus bien. Le Grand méchant loup se déguise en grand-mère et quand le Petit chaperon rouge apporte la galette et le pot de beurre frais, il dit : « Tire la chevillette et la bobinette cherra ». C'est une formule magique. La porte s'ouvre et le loup-grand-mère affûte ses grandes dents : « Dis Grand-mère, pourquoi tu as de grandes dents ? 

- C'est pour mieux te manger, mon enfant ! »

   Papy me dit que je mélange tout, que mon attention s'est envolée. Au fait, c'est quoi, l'attention ? Si ça vole, ça ne peut être qu'un oiseau ou un avion.

   Bon. Je ne sais plus où j'en suis… Mes paupières sont lourdes, lourdes… Je sens qu'elles vont se fermer toutes seules. Là, c'est parti, je sens que vais m'endormir pour de bon.

   Je me réveille entre Papa poule et Maman chérie d'amour. Il me demandent de leur raconter comment s'est passé mon après-midi chez Papy et Mamie, mais je ne me souviens de rien. Je ne suis pas le Grand méchant loup. Je suis le p'tit loup gentil, qui ne dévore pas les agneaux, ni les trois petits cochons, ni le petit Chaperon rouge. Il est végétarien.

 

Piste d'écriture : Imaginer un personnage à partir de son nom, d'une caractéristique, d'une situation. Synonymes, acronymes.

 Illustration : "Crocolou aime la cantine" Ophélie Texier, Actes Sud Juniors, 2014.

 

 

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