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28 décembre 2016

De Philante à Elyséeleau, par Florence Chaudoreille

 

galilee-sphere-armillaire

D'après les Villes invisibles d'Italo Calvino: créer un monde… ou découvrir un monde.

 

A Philante tous ont le goût du passé, chaque parcelle de souvenir est couvée, répertoriée, remémorée et éternellement mâchonnée. Chacun prend bien garde à ne vivre que le meilleur, puisque chaque moment laisse des traces éternellement. Finalement la vie y est d’un ennui constant.

 

 

 

A Réverbe les micro-événements, tels la soupe trop chaude, la glissade sur une feuille de laitue au supermarché, ou le retard à un rendez-vous de travail, prennent des proportions étranges, et hantent vos nuits de friselis lancinants.

 

 

 

A Futuramile les êtres vivants prennent bien garde à ne pas penser, de crainte de se fabriquer un futur encombrant, compact et indigeste. Bailler la bouche ouverte, brasser de l’air, bader, sont les activités les plus assidûment poursuivies.

 

 

 

Vespéralune est baigné par la lumière de la lune, même en plein jour, si bien que personne ne bronze ; les événements s’y effilochent et une terreur molle engloutit les passants.

 

 

 

Ratural est zébrée de traits de plume, coups de scalpel et fines failles, en tout sens. Le moindre pas s’avère difficile. Il y a toujours le risque d’échouer sur la page d’un écrivain en herbe, de choir dans un organe béant pendant une opération chirurgicale, ou de verser vers un espace inconnu.

 

 

 

A Ranuchak le peuple éternue constamment. Pris de transes en fin de journées, chacun donne à autrui des noms d’oiseaux en se pinçant le nez, pour éviter l’épistaxis.

 

 

 

Ranilatouli est bercé par le vent dans les étendues plantées de niaoulis. Les grenouilles y grossissent, grossissent à la saison des pluies, puis se dessèchent à la saison sèche. Tombant en poussière elles fertilisent le sol qui nourrit les niaoulis.

 

 

 

A Néantdeville personne n’existe pour personne. Les nouvelles se déversent en vain. Les échos mêmes se sont tus.

 

 

 

A Tanzanika les rayures des zèbres ont déteint sur le paysage : savanes, lacs, zones cultivées, sont alternativement clairs et foncés. Il est possible à tous de s’abstraire de la vie quotidienne en se tenant dans les zones sombres, le temps nécessaire. Certains ne s’en privent pas.

 

 

 

Arsituhante a érigé en art de vivre l’usage des drogues psychotropes. En proie à des délires peu doux, des distorsions de perception et des noeuds gordiens de complexes, les habitants s’y prennent le chou avec constance et détermination.

 

 

 

Alzheimris est marqué par l’oubli. L’on y oublie ses lunettes, son conjoint au marché ou à la laverie, et même la liste de ses douleurs. Vers midi un rire gigantesque enfle, grossit, agite la foule de tressautements spasmodiques. Puis chacun s’endort pour une petite sieste, là où il se trouve.

 

 

 

A Voyatura chacun voyage constamment. Un sac de voyage toujours prêt précède la volonté de prendre le large. Comme c’est parfois lassant, il n’y a qu’un seul remède, prendre un bon bol de datura.

 

 

 

A Théâtrallure il a été décidé une fois pour toute que chaque acte doit laisser des traces, marquer les esprits et servir à mettre les dieux dans sa poche. Mettre ses chaussettes, manger sa soupe ou commander une pizza tiennent du mélodrame. Chaque amoureux doit se produire à Broadway pour proclamer son amour, une saison durant. Les théâtres ont leur programme plein pour les 200 prochaines années.

 

 

 

A Humfaire la devise c’est « Humer l’air, et ne rien faire ».

 

 

 

Le blason de Vénerievenette est de merlettes écartées d’azur, semé de laies, au heaume fragile sur bancs de lagune.

 

 

 

A Diturandrakhanseketuaressu il n’est qu’une seule règle : temporiser, temporiser tant qu’il est temps.

 

 

 

La marque de Mardeoro, à l’extrême sud de l’Espagne, est une sphère armillaire constellée de pépites d’or, gobées par des méduses translucides.

 

 

 

A Elyséeleau le service du protocole n’a pas trouvé comment gérer la valse marine qui gagne, se répand, et s’infiltre, au gré de la décomposition d’algues nauséabondes. Des éminences grises songent sérieusement à annuler les élections. Musique de fin.

 

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Commentaires
J
Un texte poétique, aérien, concis, remarqablement logique dans l'absurde, et qui fait penser au délicieux "Ailleurs" d'Henri Michaux, le tout servi par une excellente mise en page.
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