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3 janvier 2017

Un conte de pirates, par Rosalie Jeannette

 

pirate

Piste d'écriture: le jeu Il était une fois. les cartes tirées étaient :

3 Personnages :                       un meurtrier, un pirate, un vieil homme

 

2 Évènements :                         un défi, une bataille

 

2 Lieux :                                   une nuit, une plage

 

2 Objets :                                 un balai, un baiser

 

2 Aspects :                               gras, qui respire sous l’eau

2 Phrases de fin (au choix) :           « C’est le destin tragique qui attend les meurtriers. » et « Ils retournèrent ensemble dans son royaume sous-marin, à la nage. »

 

L’histoire débute sur une plage déserte dans une contrée très lointaine dont les livres de géographie ne connaissent pas l’existence. Une belle étendue de sable fin et doré, un paysage de rêve de prime abord, et bordée de palmiers fouettés par les vents violents et les tempêtes à répétition. Des lieux en apparence idylliques comme il en existe tant dans les contes pour petites filles sages. Pourtant, en cette nuit obscure où un fin croissant de lune peine à trouver sa place, où les étoiles si lointaines forment quelques timides points couleur or, aucune magie ne semble opérer.

Après avoir lutté contre les éléments déchainés, une tempête interminable, un vieil homme git à même le sable à côté des débris de l’embarcation de fortune qui l’a conduit en ce lieu. Son épuisement est tel qu’il ne peut dire depuis combien de temps il s’est échoué là, comme un vieux cachalot à bout de souffle. Mais peu à peu, ses lourdes paupières s’entrouvrent, ses jambes lourdes glissent difficilement sur ce sable qui cherche à l’avaler. Il lui faudra encore un certain temps pour arriver à relever sa carcasse endolorie.

Tu te rappelles quand je t’ai lu « Le vieil homme et la mer » ? C’est une très vieille histoire qui parle de marins hors pair qui ont écumé des océans, affronté des tempêtes et se sont toujours relevés, toujours plus costauds que la fois précédente.

L’homme, lui, connaît bien cette histoire, et d’autres encore. Il y pense très fort et ne s’avoue donc pas vaincu. Bien au contraire, il va vivre ces instants comme un nouveau défi à relever. Dès l’aube, il se mettra à la recherche de matériaux pour construire une nouvelle embarcation qui le ramènera vers les siens. Il commence à faire son check-list dans son esprit, mais l’épuisement a raison de lui et aussitôt il retourne dans les bras de Morphée ou plutôt de Lucifer, tellement son sommeil est agité, comme si cette tempête faisait encore écho à l’intérieur de son corps, dont les muscles atrophiés ne lui sont d’aucun secours.

*

La nuit est encore bien installée quand la barque de Mélanie. La pirate préférée de son capitaine de père resté sur le vieux bâtiment au pavillon noir, accoste silencieusement sur la plage habituellement déserte. Elle a pour habitude depuis des lustres de se ressourcer en ces lieux après avoir mené une rude bataille en pleine mer ; elle en profite également pour venir cacher sa part de butin sur cette ile inhospitalière, dans les grottes retirées de l’intérieur des terres. Hauts perchés, des trous dans la cavité poreuse de la montagne noire lui font office de caverne d’Ali baba, avec un sésame connu d’elle seule. C’est bien la première fois qu’elle découvre un homme ici. Elle est… un peu comme toi quand tu es sûr d’avoir trouvé la cachette idéale. Tu imagines bien ce qui se passe dans sa petite tête.

Heureusement pour elle, l’inconnu est inconscient et ne peut se rendre compte de sa présence. Mélanie met à profit ce moment pour vite déposer son trésor à l’endroit habituel. Chemin faisant, elle imagine une stratégie diabolique dans le but de s’assurer que sa cachette resterait introuvable. Ses petits yeux malicieux brillent, c’est le signe que son piège est bien en place. Elle n’a rien laissé au hasard, lui semble t-il.

De retour sur la plage, elle s’assoit près du vieil homme encore inerte ; sa respiration haletante et saccadée lui indique que le réveil du naufragé est proche. Elle commence donc à allumer un bon feu avec les débris qui jonchent l’étendue sableuse et, dès que les braises arrivent au rouge, elle enveloppe un énorme poisson-lune dans des branchages de palmier et place le tout au-dessus du feu. Par l’odeur alléché, le naufagé se réveille en même temps que son estomac. Il sourit à cette jeune femme avenante qui lui tend une portion encore fumante. Jamais il n’aurait imaginé se retrouver en si bonne compagnie sur une île qu’il pensait déserte (tout comme la jeune pirate, je te rappelle).

Mélanie ne dévoile rien de son plan diabolique, encore moins la raison de sa présence ici. Elle incite son hôte à conter l’histoire qui la conduite jusqu’en ces lieux. Il ne faut surtout pas qu’il ait envie de découvrir son île et son trésor – oui quand on découvre quelque chose, on a tendance à se l’approprier, c’est humain et donc c’est pareil pour elle-

Le vieil homme est aux anges ou, lui semble-t-il, avec un ange. Aucune autre explication plausible. Aurait-il échoué au paradis des marins ? Peut-être qu’il n’envisagera plus alors de construire un nouveau radeau. Les siens, ceux qu’ils voulaient retrouver, sont aussi vieux que lui ; quelle assurance a-t-il qu’ils seront toujours en vie à son retour ? – Même si tous les rêves sont permis, n’est-ce-pas ?-

La jeune pirate, dotée d’un don divinatoire, s’aperçoit que sa stratégie ne va pas prendre la direction escomptée. Oui, elle le lit sur le visage du vieil homme, ses pensées sont limpides et ne laisse pas de place à une interprétation différente. La bataille à livrer va être plus rude qu’elle ne le pensait mais c’est la force aussi de la jeunesse, elle y croit dur comme fer et se prépare à changer son fusil d’épaule.

*

L’aube se lève enfin. En même temps que la lueur du jour, apparaît un étrange homme sortant de l’eau. Ses doigts palmés se rétractent en un éclair, ses branchies se referment, laissant place à des oreilles humaines. Ce n’est décidemment plus l’ile déserte que Mélanie a connue. Alors qu’elle se demande encore d’où peut bien venir ce monstre marin, l’étrange créature mi-homme, mi- poisson, se rue aussi sec sur le vieil homme et serre ses étranges mains parsemées d’écailles autour de son cou, jusqu’à lui ôter son dernier souffle de vie.

Après quoi, la créature attend quelques instants que ses yeux injectés de sang s’adoucissent ; alors ses lèvres affichent un sourire possessif et il se tourne vers la jeune fille, un peu terrifiée tout de même.

La bête-homme, croyant s’être débarrassée du père de la donzelle, cherche à voler à celle-ci un baiser. Il vise plus : il souhaite l’attirer dans son royaume sous-marin, ce qui annulerait le sortilège qui lui fut jeté dans un temps très lointain. En effet, alors qu’il écumait les océans à la recherche de territoires à conquérir, la fille de Neptune n’avait eu d’autre choix que de lui lancer un sort, afin de lui faire ravaler sa cruauté et son avarice qui n’avaient d’égal que sa laideur. Comme il est de coutume, la malédiction pouvait être rompue à la seule condition d’obtenir la bienveillance d’une jeune-fille.

L’esprit leste de Mélanie cherche comment déjouer ce piège et ne met pas longtemps à trouver une solution. Ne dit-on pas rusé comme un pirate ? - Bon, oui ! Fourbe, si tu préfères - Elle feint donc de remettre de l’ordre dans sa tenue comme le ferait toute jeune fille de bonne famille, se retire un peu plus loin et introduit discrètement, à l’intérieur de sa bouche, une nuée de bêtes rampantes, prélevées le long d’un tronc de palmier. Puis, elle se rapproche du monstre, ouvre une mâchoire aussi large qu’un four et lui lance un baiser empoisonné. - Ah ! il va sans dire que les bêtes de l’île sont dotées de pouvoirs magiques. Attention ! Il s’agit là de magie noire ! Celle qui dérange les esprits et transforme les êtres humains en pantins idiots.-

La créature de l’océan est aussitôt envoutée par le charme de la jeune pirate. Il prend pour argent comptant tout ce qu’elle lui raconte, notamment qu’elle rêve de découvrir son monde sous-marin et qu’elle le suivra à la nage. –Je suis d’accord avec toi, il faut être bête pour le croire. Mais n’oublie pas qu’il est ensorcelé !-

Effectivement, c’est sans savoir que ce fameux baiser a supprimé sa faculté de respirer dans l’eau, qu’il plonge dans les flots froids et profonds de cette mer, de nouveau soudainement agitée. Pris au piège, il s’enfonce dans les abysses à jamais, abandonnant au passage son royaume sous-marin au monde animal.

C’est le destin tragique qui attend les meurtriers.

L’histoire ne dit pas ce qu’il est advenu de Mélanie, la jeune pirate – ni si le naufragé était vraiment tout à fait mort.

 

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