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3 avril 2018

Instit ? Top model ?, par Jean-Claude Boyrie

Mannequin

Je me souviens de ce vendredi 13 avril. Il y avait du printemps dans l’air. Quelque chose me disait que ce jour-là ne serait pas tout-à-fait comme les autres. Allez savoir si ce vendredi 13 me porterait bonheur ou bien la poisse…. Il n’y a que la Française des jeux pour soutenir que c’est le moment ou jamais de tenter sa chance et tirer le Millionnaire gagnant. N’ayant jamais rempli de ma vie une grille de loto, je n’ai jamais pu vérifier cette affirmation. Ne lit-on pas cette mise en garde affichée en gros caractères dans les bureaux de tabac : « Moins de dix-huit ans, zéro jeu d’argent » ?

Atteignant justement mes dix huit ans, âge de la majorité, je ne me croyais plus tenue d’obéir à mes parents. Ceux-ci m’auraient bien vue institutrice, ils m’incitaient après le bac à faire deux ans de licence et passer le concours de l’ESPE. C’est l’acronyme de l’École supérieure de professorat et d’éducation, mais on peut y voir aussi les deux premières syllabes du terme « espérance ».

« Faire de ses élèves des citoyens instruits et éclairés », y a-t-il un plus louable but dans la vie ?

Moi, j’avais alors un tout autre projet : faire carrière dans le mannequinat. Je rêvais de suivre la trace de Twiggy, Naomi Campbell et autres Kate Moss. Pour y parvenir, il me fallait croire à ma bonne étoile. On dit que, dans cette profession, la concurrence est rude et que les places sont chères.

Je croyais n’être « pas trop moche », ayant remarqué que les mecs se retournaient sur mon passage en sifflant. Loin d’y voir un comportement vulgaire et dégradant, je trouvais dans ma candeur que c’était plutôt bon signe et j’en conclus que je pouvais tenter un galop d’essai.

L’occasion (de rêve) ne tarda pas à se présenter.

J’avais vu sur le site ElitemodelGF.com que les Galeries Farfouillette organisaient à Paris, quelque temps plus tard, un casting national de modèles amateurs. Atteignant (quoique de justesse, en me dressant sur la pointe des pieds) la taille minimum d’un mètre soixante quinze requise pour concourir, je subis avec succès les épreuves de présélection.

D’abord, le test de la feuille : il est bien connu que le bassin de l’impétrante doit disparaître derrière une feuille de format A4.

Puis, le test du crayon : posé sur la poitrine, un crayon doit tenir tout seul.

Le chef du rayon « lingerie féminine » aux Galeries Farfouillette me complimenta pour mes mensurations, qu’il tint à prendre lui-même, ajoutant que j’avais pour réussir dans la profession deux atouts de poids. Je suppose qu’il voulait parler de ma jeunesse et de mon physique avantageux.

Durant les semaines précédant la finale, je me contentai d’une feuille de salade et d’un yaourt par jour (non sucré) pour acquérir le fameux look « skinny ». Quant au maintien, qu’on tient pour capital dans la profession, je le travaillai sans relâche, accomplissant chaque jour, sans discontinuer, trente pas dans un sens, puis dans l’autre, un dictionnaire en équilibre au sommet du crâne et l’oeil rivé sur un point imaginaire à l’horizon : mon avenir en tant que Top model.

Et voici comment le mois suivant, la petite provinciale que j’étais débarqua à Paname avec, pour tout viatique : un sac à dos, sa casquette et quatre sous en poche. Le podium où j’allais défiler se trouvait au Champs de Mars, juste en dessous de la Tour Eiffel, un endroit carrément « classe » à mes yeux.

Bon, je vous la fais brève. On me fit quitter presto mes frusques de voyage et enfiler un tailleur moulant gris souris, qui m’arrivait au ras des fesses. Durant le défilé, je sentis que le président du jury me dévorait des yeux. Ce quinqua grisonnant m’invita juste après dans sa garçonnière. J’avais capté, n’étant pas idiote, que pour réussir dans le mannequinat, il me faudrait en passer par là. Je cédai sans trop faire de chichis. Le théâtre de nos ébats se situait pas très loin de la Tour Eiffel, sur la rive droite, à l’endroit précis où le métro aérien cesse de l’être, où ce monstre d’acier, une fois franchie la Seine au viaduc de Bir Hakeim, s’engage en vrombissant dans la colline de Chaillot.

Plus tard, devenue accro des salles obscures, je saisis la connotation érotique de ce lieu. C’est là qu’avaient été tournées les scènes torrides du « Dernier tango à Paris » (*). Naïve débutante, je n’en étais qu’à mon premier pas (de danse). Après m’avoir menée en bateau, le chef de bord se lassa de moi, m’abandonna sur cette île déserte avec un passager clandestin dans la soute à bagages.

Je pris mon parti de cette fâcheuse situation, choisis de garder le bébé, ce qui m’ôtait toute chance de poursuivre une carrière de mannequin. Je suivis une formation accélérée - la « porte étroite », en quelque sorte - pour entrer (n’ayant pas les diplômes requis) dans l’enseignement.

Et voilà comment, un an plus tard – cela tombait comme par hasard un vendredi 13 – je fis mes débuts, en tant qu’instit’ suppléante, en charge des CP/ CE1, à l’École Dupleix, dans le quinzième, à proximité de la Tour Eiffel et de l’église Saint-Léon.

Le directeur de l’établissement, un quinqua bedonnant, me souhaita la bienvenue. Il ne tarit pas d’éloges sur moi (comment fallait-il les prendre ?), détailla mon anatomie ainsi que les missions que j’aurais à remplir sous sa coupe, ajoutant : « Vous verrez, mon petit, tenir une classe relève à la fois de la scénographie et de l’apostolat. Pour le reste, c’est plutôt cool. »

Décidément en verve après ce préambule, il me proposa de me prendre individuellement en « formation pédagogique ». Il m’apprendrait dans son bureau, seule à seul, soi-disant « pour améliorer ma performance », comment inculquer aux chères têtes blondes les premières notions de grammaire et de calcul.

Je déclinai poliment cette invitation, au motif qu’à la fin des cours, je devais récupérer mon gamin au plus vite à la crèche. Il parut déçu, mais n’insista pas trop. Pour cette fois, du moins, car ce n’était que partie remise. Il ajouta, pour me réconforter, que j’avais plusieurs cordes à mon arc : « Je ne sais si vous réussirez en tant qu’institutrice, mais, avec le physique que vous avez, vous pourriez faire un Top model ».

 Piste d’écriture : jeu d’Unanimo. Personnages : Top model, bébé/ Lieux : Tour Eiffel, école/ Objets : sac à dos, casquette/ Évènement : vendredi 13.

(*) « Le dernier Tango à Paris », film franco-Italien de Bernardo Bertolucci (1972) avec Marlon Brando et Maria Schneider.

 Illustration : modèle (détourné) de Madame Grès, édition française de Vogue.

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