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11 mars 2023

Loïc et le tunnel, par Bernard Delzons

Ce texte a été écrit à partir d’un court extrait du roman « L’île Haute » de Valentine Goby. Voici le contexte: Pendant la guerre un jeune garçon, Vincent, est sur le point de traverser la frontière vers la Suisse, avec un groupe d’adultes qui ont tous besoin d’échapper à la barbarie nazie. Éloi, leur guide, vient de leur faire passer un passage difficile et les laisse continuer vers le tunnel qui les amènera en Suisse. Surpris par le cri étouffé d’un adulte qui a glissé au passage de la rivière, Vincent a lui aussi glissé et n’a pas réussi à mettre à l’abri le trésor qu’il portait caché sous sa chemise. Tant bien que mal, Il récupère ce précieux almanach et encore tout trempé, il le remet à sa place, cette fois bien coincé dans la ceinture de son pantalon. La suite que j'ai imaginée commence, avec celui que j'ai renommé Loïc. 

 Il fait encore nuit, et il faut se presser avant le lever du jour. Ils marchent en file indienne derrière Loïc qui guide la troupe. Après deux années passées dans cette campagne de haute altitude, il sait mieux que les autres se diriger dans la montagne. Malgré tout, ils avancent lentement n’ayant que les rayons de la lune pour les éclairer, et aussi à cause de la pente assez forte à cet endroit. C’est particulièrement difficile pour le jeune garçon qui doit compter avec l’asthme qui le taraude depuis l’enfance, mais qu’il a réussi à canaliser pendant le long séjour qu’il vient de passer dans les Alpes françaises.  

Ils ne sont pas loin du tunnel, mais Ils doivent s’arrêter à un endroit que lui a indiqué Éloi, pour s’assurer qu’il n’y a pas d’ennemis pour les cueillir à leur arrivée. Ils sont cachés derrière des buissons et doivent rester, ainsi en silence, un long moment avant de prendre la décision de s‘avancer vers l’entrée du tunnel. Chacun est chargé de scruter une parcelle de terrain, d’écouter tous les bruits de la nuit, les crissements des branches… Si rien d’inquiétant n’est perçu, alors il faudra vite courir jusqu’au trou noir qu’ils aperçoivent dans cette demi-obscurité. En espérant que personne ne les attende, invisible, au milieu du tunnel. Au-delà, ils seront en Suisse, et ne devraient plus craindre d’être surpris, mais c’est la guerre et dans ce boyau sombre rien ne garantit le respect des lois internationales.

Loïc demande à chacun de lui donner, d’un geste, son feu vert pour la traversée. Sept ont fait signe d’y aller. Seul Ian, celui qui l’a fait trébucher, semble réticent. Loïc, furieux, l’interroge du regard. Ils sont très près les uns des autres et ils doivent s’approcher encore pour distinguer les traits de l’autre. Ian lui chuchote à l’oreille qu’il a entendu un bruit bizarre. Ce bruit, comprend le garçon, est le hululement d’une chouette qui doit les observer depuis un arbre. Éloi lui a appris à reconnaître tous les chants des oiseaux de la montagne. Il est sûr que c’est bien un oiseau et pas une imitation. Alors il fait signe au groupe, ils s’engagent tous vers ce trou noir qui sera ou leur salut, ou leur fin tragique.

Tunnel est un grand mot pour se passage creusé dans la montagne afin de faire traverser d’un côté à l’autre des brebis, mais aussi certainement quelques contrebandiers. Loïc ne pense pas au danger, il doit impérativement faire passer de l’autre côté son almanach qui sera le témoin de ce qu’il a vécu.

Il entre le premier dans cette déchirure de la montagne. Lui peut se tenir debout, mais les autres ne pourront avancer que courbés pour ne pas se déchirer le cuir-chevelu. L’adolescent a du mal à respirer dans cette atmosphère humide. Le passage est étroit.

Tandis qu’ils s’éloignent de l’entrée, l’obscurité devient de plus en plus forte jusqu’à se transformer en noir total. Il faut avancer en se tenant à la paroi dégoulinante qui les entoure. Le moindre bruit résonne, ajoutant encore de l’angoisse à cette traversée périlleuse. Justement, un bruit d’ailes inattendu fait pousser un cri étouffé à Ian qui marche derrière Loïc. Un écho sinistre se propage dans le tunnel, accentuant le désarroi de chacun. Loïc s’arrête un instant puis, sûr de lui, il chuchote simplement : « C’est une chauve-souris ».

Le passage fait à peu-près cinq cents mètres. Il leur faut une bonne heure pour enfin arriver à la sortie. A mi-chemin, Loïc a touché l’excavation que lui avait décrite son ami Éloi et qui marque la frontière. Il s’était tu pour ne pas donner trop vite un espoir à ses compagnons. Bien qu’il soit à bout de souffle, il a dit qu’il fallait continuer.  

 

Ils ont réussi à passer en Suisse sans se faire prendre. Enfin à l’air libre, ils ont encore marché une bonne demi-heure puis, juste avant que le jour ne se lève, ils se sont assis dans une clairière pour se reposer un moment. Ils ont encore une longue route jusqu’au village où les attend celui qui doit les guider jusqu’à leur destination.

Loïc tremble de froid, il frissonne, il s’en aperçoit seulement maintenant que le danger est écarté. Il sent sa chemise mouillée et l’almanach qui dégouline dans son pantalon, mais peu importe, il a réussi à le sauver, au moins l’espère-t-il.

Alors dans ce moment, précisément, le soleil se dresse au-dessus de l’horizon, ne laissant apparaître qu’un morceau de lui-même comme un clin d’œil, derrière d’importants nuages rouge-brique de la couleur des plumes du coq de la ferme où il était caché depuis deux ans.

Il revoit tout ce qui s’est passé durant ces années, le récit justement qu’il a noté au jour le jour dans ce précieux almanach.

 

Il ne s’appelle pas Loïc, mais David. Loïc D., c’est le nom qu’il a pu lire dans les faux papiers que ses parents lui ont donnés, en le mettant dans le train pour la zone libre. Son père est instituteur et sa mère est une actrice. Même s’ils ne lui ont jamais rien dit, il a compris que ses parents sont dans la résistance. Ils devaient se séparer de lui pour éviter qu’il ne devienne un objet de chantage en cas d’arrestation de l’un ou de l’autre.

Il avait été envoyé dans une ferme de haute altitude des Alpes. Ses parents connaissaient les propriétaires. Là, il serait en sécurité, et en plus il pourrait soigner son asthme. Le couple qui l’avait accueilli était âgé. Il avait ri quand ils lui avaient donné leur prénom, c’était Marcel et Marcelle. Ils avaient un petit-fils, mais qui ne vivait plus avec eux, bien qu’il vienne souvent pour les aider. Ce garçon d’une vingtaine d’années l’avait pris en amitié et lui avait appris tous les secrets de la montagne, à l’exception de ce qui concernait sa vie clandestine. C’est Éloi, celui qui les a conduits jusqu’au passage dangereux.

« Loïc » n’avait que rarement des nouvelles de ses parents, c’était trop dangereux de s’envoyer des lettres. Aussi les nouvelles arrivaient il ne savait comment, mais c’était toujours Marcelle, la femme qui les lui donnait. Il avait alors compris qu’eux aussi, ils devaient être dans la résistance ; pourtant rien dans leur vie de simples paysans ne pouvait le laisser deviner, soigner les vaches, les cochons et les poules, cultiver les légumes du jardin, ramasser les châtaignes et les noix quand c’était le moment, telle était la vie qu’ils donnaient à voir aux autres villageois. Éloi fréquentait une fille qui ne se cachait pas de fricoter avec la milice. Loïc ne le comprenait pas, mais bien des années plus tard, il avait appris que c’était, pour le jeune homme, un moyen d’éloigner les soupçons que certains auraient pu avoir sur ses activités cachées. Cela lui permettait aussi de recueillir de précieux renseignements sur ce que les miliciens préparaient.

Pour le village, il était un neveu venu de Marseille pour soigner son asthme.  Les premiers jours à l’école, on s’était moqué de lui à cause de son accent et de son prénom, mais tout s’était arrangé quand il avait distribué un sac de billes qu’il avait ramené de Paris. Mais aussi parce qu’il arrivait à l’école suivi par le chien de la ferme et plus étrange encore, par le chat de la famille. Bien entendu, il n’avait pas l’accent de Marseille, mais celui d’un titi parisien. Heureusement dans ce village de haute montagne aucun des habitants n’était allé ni à Paris, ni à Marseille.

 

Il aurait pu continuer à rêver à ce passé proche, mais un rayon de soleil sur le visage le ramena au présent. Il se leva, sortit l’almanach de sa cachette, l’ouvrit délicatement. Devant son état lamentable, il eut envie de pleurer, mais avec ou sans, il savait que c’était le moment de repartir et il en donna le signal.

                

 

 

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