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9 juillet 2007

Nellie a la pêche.

                                                                                                      NELLIE A LA PÊCHE....

   Au fait... qui a tué Melba?

    Hôtel de Police de Pau, septembre 1997. A nouste -chez nous-, la Brigade criminelle ne se situe pas quai des Orfèvres, elle est 5 rue O' Quin, du nom d'un ancien maire.

    L'inspecteur Paul Sentucq, un as de la « Crime », fait la grise mine en sortant du bureau de son « patron ». Le commissaire principal Lucbernet vient de lui confier le dossier de Melba, l'ourse slovène abattue par un chasseur en vallée d'Aspe. Un « mahousse » dont il se serait bien passé.

  -  Attention, ne pas confondre! Je veux bien m'occuper de l'animal à deux pattes. Mais pour ce qui est des plantigrades, il y a de meilleurs spécialistes, chef ! "

  - Cette histoire fait des remous.  Les milieux écologistes s'agitent. Il faut ab-so-lu-ment que toute la lumière soit faite sur les circonstances de la mort de Melba. La ministre de l'Environnement l'exige et le fait savoir. L'affaire est politiquement sensible, hyper-médiatisée.

   -  Mais pratiquement élucidée, à ce que je sais. Le chasseur a déclaré aux gendarmes avoir tiré à bout portant pour se défendre, blessant mortellement l'animal. Que voulez-vous savoir de plus?

   - Tout et son contraire. A vous de voir. Votre avancement en dépend. Le mien surtout, d'ailleurs. On ne manque pas de postes vacants au commissariat de Limoges.

   Meurtre dans un jardin pallois:

    Les ordres sont des ordres. En bon fonctionnaire, Sentucq ne peut que s'incliner. Le « hic », c'est qu'il doit mener de front cette nouvelle mission avec une autre affaire qui lui est confiée, celle de la jeune Nellie. Un dossier qui lui tient plus à coeur que la mort (accidentelle ou non) de Melba! Diable! Le temps qu'il va devoir consacrer à cette maudite bestiole est autant de pris sur l'enquête concernant le meurtre de l'étudiante.

    Jeanne-Marie Baladère, surommée « Nellie » à l'Ecole de Musique, était ce qu'on appelle une fille sans histoire. Dix neuf ans tout juste. Elle a été trouvée par un promeneur, dans un bosquet du parc Lawrence. La gorge tranchée net. « Du travail propre » a dit le boss. Lui pense plutôt: l'oeuvre d'un maniaque. La gamine baignait dans une mare de sang: pas beau à voir, tout ça.

     Le plus troublant dans ce crime, c'est qu'il paraît gratuit. La fille n'a été ni troussée, ni détroussée. Le médecin légiste réfute le mobile sexuel. Rien ne semble avoir été pris dans le sac à main de la victime, trouvé intact sur les lieux du drame. Aucun indice n'a été relevé qui mène à la piste du meurtrier.

     Revue de presse:

    Décidément, songe Sentucq, la presse est une institution bizarre. L'étudiante n'a eu droit qu'à six lignes à la rubrique « faits divers ». Alors que « Sud-Ouest » (édition des Pyrénées-Atlantiques) consacre trois pleines pages, dont la « une », à pleurnicher sur le sort de Melba.

    L'éditorialiste parle d'une « catastrophe écologique ». La ministre dénonce « l'irresponsabilité de quelques chasseurs extrémistes ». L'Association de Protection des Animaux sauvages (ASPAS) hurle au braconnage  d'une espèce protégée. Elle s'est portée partie civile dans le procès du tueur de Melba qui va s'ouvrir. Un défilé de la S.P.A. et de W.W.F. est prévu samedi à 14 heures devant le Panthéon. Il serait même question d'inhumer les restes de l'ourse dans le tombeau de Jean Jaurès!

    Quiconque a joué au nounours petit enfant garde un souvenir attendri de sa peluche au berceau. On oublie qu'une fois devenu grand, le sympathique plantigrade est un fauve qui commet des dégâts. D'accord, les ours, les vrais, ceux en chair et en os, il n'y en a plus beaucoup. Quinze individus tout au plus, qui se baladent entre Hendaye et Bourg-Madame. Mais enfin, pour que l'espèce ait quasiment disparu de versant français des Pyrénées, il y a de bonnes raisons: l'activité pastorale, entre autres. Pour que les bergers ferment leur g..., on indemnise à tout va. La sauvegarde de l'ours n'a pas de prix, mais elle a un coût. Et si l'on demandait enfin l'avis du contribuable?

    Le terrain d'abord!

    En flic chevronné qu'il est, ou plutôt en disciple de Saint Thomas, Sentucq ne croit que ce qu'il voit. Il ne se fie qu'au terrain. Donc il se rend sans tarder au village d'Urdos, sur la route du Somport (cent habitants), qui fait tant parler de lui en ce moment. Urdos, cela dérive d'ursus: l'ours. Un véhicule Nissan Patrol flambant neuf l'attend, il est dûment escorté par deux gardes commissionnés. Décidément, la Direction de la protection de la Nature a bien fait les choses. Plus exactement, un coup de fil du Cabinet de la Ministre a prévenu le Préfet local de réquisitionner tous les moyens disponibles. Passé les « Gorges du Pont d'Enfer » (les bien nommées), le lieudit « Prats Balaguer », théâtre des évènements, se situe au fond d'une ravine adjacente  à la vallée d'Aspe. Rien de très instructif. Archi-décrit par les journalistes, photographié sous toutes les coutures, le site donne une impression de « déjà vu ». C'est un invraisemblable fouillis végétal que les écologues baptisent du pompeux nom de « ripisylve ». Rien d'étonnant à ce que l'ourse acculée dans ce bas-fond avec sa nichée ait montré tant d'agressivité. Surprise par le chasseur, elle ne pouvait se défendre que par l'attaque, il n'y a pas besoin d'un spécialiste pour trouver ça. Bon, mais que venait faire le chasseur en ce lieu reculé, classé « zone de tranquillité »? Donc interdit aux battues!L

    Les gardes font lire à Sentucq le procès-verbal d'infraction. Les faits dont il s'agit sont prévus et réprimés par l'article 415.3 du Code pénal. Le délit peut occasionner pour son auteur six mois d'emprisonnement et 60000 F d'amende. Terrifiant!
   L'inspecteur ne s'attarde pas sur la citation des articles répressifs. Il s'intéresse au contenu concret du P.V. , qui comporte selon lui des lacunes. Par exemple, on n'y trouve aucune précision sur la position du corps de l'animal (immédiatement transporté pour dissection au laboratoire vétérinaire). Pas un mot non plus sur des objets éventuels qui auraient pu être trouvés à proximité du cadavre. Il n'y est question que de l'arme du crime, un fusil de chasse calibre 12, saisie par la Gendarmerie et consignée au Parquet. Le procès-verbal mentionne aussi « des indices frais de crottes et des sites de couche qui auraient normalement dû mettre en garde le chasseur sur la présence de l'ours, donc éviter une confrontation prévisible. »

    Facile à dire après coup... mais pourquoi n'est-il pas fait mention de cet objet insolite qui traîne dans la broussaille tout près de l'endroit où le corps de l'ourse a été retrouvé? Des tenailles. Nul ne les a remarquées! Que viennent-elles faire ici? Paul Sentucq note ce détail, on verra bien s'il a un rapport quelconque avec les faits.

    -  Il y a une hutte de charbonnier pas loin...  font observer les gardes.

-  Tiens donc! Les charbonniers, cela existe encore?

- On préserve les vestiges de l'activité charbonnière en raison de son intérêt patrimonial.

- Intéressant. Mais les tenailles?

- Peut-être cet outil a-t-il servi à bricoler au refuge...

    L'inspecteur demande à ses deux acolytes de récupérer l'objet (« avec des gants, s'il vous plaît, pour préserver d'éventuelles empreintes ») et de l'emballer en paquet cacheté sous cellophane. Les gardes s'exécutent en maugréant. Sont-ils assommants, ceux de la P.J., avec leur manie de couper les cheveux en quatre! Pendant ce temps, leur propre travail n'avance pas!

    Visite aux Réparatrices:

    Sentucq met provisoirement en sommeil l'enquête sur la mort de « Melba », pour reprendre ses investigations sur le meurtre de Nellie.
   Les faits se sont produits le 17 septembre à 17 heures. L'étudiante avait cours à l'Ecole de Musique ce jour-là. Jusqu'à quelle heure? Au fait, qui l'a vue? Et qu'a-t-elle fait entre temps?

    Le Conservatoire de la Ville de Pau est somptueusement installé dans les locaux rénovés de l'ancien couvent des Réparatrices (les bien nommées!)

    Embarras évident des personnes interrogées: les descentes de police, cela ne fait pas « classe » en ce lieu d'art et de culture.

    Difficile aussi de se retrouver dans les témoignages un peu conventionnels de ses ex-professeurs sur feue Jeanne-Marie:

      - Une élève assidue... remarquablement douée...

  - Une jolie voix haut placée, pure, claire, légère... un registre de soprano colorature naturelle bien posée... Nellie avait « la pêche », autant dire un moteur de formule 1 dans le gosier! Encore faut-il savoir le piloter! En continuant à travailler, elle aurait pu réussir dans le répertoire baroque.... Et si gentille avec ça!

  - Mais pourquoi ce surnom?

  - A cause de Nellie Melba, la célèbre cantatrice australienne du siècle dernier. Vous n'avez jamais entendu parler d'elle? Ni du dessert glacé dont elle inspira la recette à son chef cuisinier?

  - Si, bien sûr! La « pêche Melba », il suffisait d'y penser! Sentucq relève une troublante coïncidence : Melba, c'était aussi le nom de l'ourse slovène...

    Mais lorsqu'il s'agit d'obtenir des renseignements sur les us et fréquentations de la victime, le travail de l'inspecteur se complique. Ses anciens amis ou camarades, traumatisés par l'événement, restent sur leur réserve, leurs réponses sont évasives. Surtout sur ce point délicat mais essentiel: est-ce que Marie-Jeanne avait un amoureux? Oui, bien sûr, comme tout le monde! Toujours le même? Vous voulez rire! elle en changeait souvent.... Le dernier qu'on lui connaissait? Un certain Julien... Julien qui? Allez savoir... Comment était-il? Plutôt baraqué, d'allure gothique! D'allure quoi? Vous voyez le genre: crâne rasé, piercing au nez et à l'oreille, tatouage et tout....

  - La dernière fois qu'on les a vus?

-   Le 17, après les cours... Soi-disant qu'ils allaient faire des courses au Complexe de la République. On n'en sait pas plus.

     Le Complexe de la République... Tout le monde connaît ce centre commercial à Pau. Le Parc Lawrence est à deux pas de là...

    L'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours:

     Huit jours plus tard, dans le cabinet du Juge d'instruction, Sentucq assiste à l'audition du témoin n°1 dans l'affaire de l'ours.

    Le chasseur qu'on interroge pour la énième fois s'appelle Serge Lanusse, dit « Le Bitos». Il doit ce surnom à son béret basque enfoncé droit sur le crâne. Lanusse considère ses interlocuteurs avec des yeux ronds, ça lui donne un air  ahuri. Peut-être que pour se disculper, il en rajoute un peu   dans le style « trou de balle » se dit l'inspecteur.

       Comme d'habitude, il ne fait que répéter la même version des faits, qui n'apporte rien. Non, le susdit chasseur n'était pas prévenu de la présence d'ours dans ce secteur. Non, il n'avait pas conscience de commettre un « acte de chasse en zone protégée ». Ben voyons! Quid des panneaux signalant la réserve? Et qu'y faisait-il avec son fusil chargé? Il ne les a pas vus, ces panneaux, il ne savait rien, ce pauvre Bitos! Nul n'est pourtant censé ignorer la loi. Passons à la suite. Le chasseur s'est trouvé en présence de l'ourse en colère, il a déchargé son arme tout à trac. Pan! Pan!  Légitime défense? « Allez donc expliquer ça au Tribunal! » fait le juge agacé.

   - Inspecteur, avez vous des questions à poser au prévenu? » demande-t-il avant de clore la séance.

  - J'en ai deux. La première concerne les tenailles qui se trouvaient à proximité du cadavre de Melba. Reconnaissez-vous cet instrument?

  Cette fois, la stupeur de l'homme n'est pas feinte:

- Ben non! J'en aurais fait quoi?
- Savez-vous à qui appartiennent ces tenailles?
- Pas à moi! J'ai même rien remarqué qui y ressemble...
- Je poursuis: pensez-vous qu'un autre que vous ait pu se trouver sur les lieux?

    Le Bitos hésite, il bafouille. Durant les interrogatoires précédents, il affirmait qu'il était seul. Maintenant, il n'est plus vraiment sûr.

- Tous comptes faits, j'ai p'têt' ben vu quelqu'un s'approcher.

- L'occupant de la hutte?

- Cela s'pourrait. J'affirme rien. Tout s'est passé si vite!

- J'insiste. C'est un point capital. Qu'avez-vous vu?

- Est-ce que j'sais, moi? J'étais mort de trouille, j'avais les yeux rivés sur l'ourse. J'me suis escampé dès que j'ai pu. Ce qui s'est passé ensuite, j'en sais rien.

    Le greffier consigne ces non-réponses, le magistrat fait un geste de lassitude.

- L'interrogatoire est terminé. Nous nous en tiendrons là pour aujourd'hui.

    Le prévenu sort de la pièce entre deux gendarmes. Le juge poursuit:

-  Qu'en pensez-vous, Sentucq?

-  Moi? Rien de particulier.

- Vous avez raison. Pas grand chose à tirer de cet « espouti ». D'ailleurs, le délai légal de garde à vue expire. Je dois mettre Lanusse en liberté provisoire. Lui devra se tenir à la disposition de la Justice. Vos priorités pour la suite de  l'enquête?

-  Fouiller la cabane. Nous renseigner auprès des gens d'Urdos sur son occupant. Peut-être en saurons nous plus sur le mystérieux témoin. Le suspect n°2, si vous préférez.

La puce à l'oreille:

    L'inspecteur se rend aux services vétérinaires pour questionner le chef de laboratoire, un certain Georges Bismuth, qui a pratiqué l'autopsie du cadavre de Melba.

        Le Dr. Bismuth (un petit homme jovial et rubicond) le reçoit sans protocole.

-   Excusez-moi si ça pue le formol. Hormis le congélateur et l'immersion dans ce produit, je ne vois pas d'autre moyen de conserver les résidus anatomiques.

-  J'ai l'habitude des cadavres. Ils font partie de mon quotidien comme du votre.

-  Que désirez-vous, au fait?

-  Votre avis sur un point précis. Comment l'ourse est-elle morte?

-  Pas sur le coup. Après avoir reçu la décharge presque à bout portant, la bête s'est traînée sur une centaine de mètres avant d'aller crever à l'endroit où on l'a trouvée.

-  Combien de temps a-t-elle agonisé?

-  Difficile à déterminer. J'aurais tendance à dire entre une demi-heure et une heure.

-  Le temps de se vider de tout son sang?

-  Surtout le temps que quelqu'un l'aide à mourir.

-  En clair, le coup de fusil du chasseur ne serait pas directement cause de la mort?

-  Pour moi, c'est d'une totale évidence. Le corps de l'animal était criblé de balles, mais celles-ci n'ont pas touché les organes vitaux.

-  Mais alors?

-  Alors, l'ourse a été frappée avec un instrument contondant.

-  Des tenailles, par exemple?

-  Ou n'importe quoi d'approchant.

-  J'aimerais bien pouvoir identifier l'outil. Mais surtout la main qui le tenait.

-  C'est votre travail, Monsieur l'inspecteur.

-  Mon boulot, je le connais mieux que personne. Selon vous, il y avait donc un tiers sur les lieux?

-  Lisez mon rapport. Vous en aurez la preuve. Pour ce qui est du rôle des tenailles, j'ai mon idée.

-  A savoir?

-  Escamper la puce électronique. Melba portait un signal agrafé à l'oreille. Ce marqueur permettant  de suivre ses déplacements par G.P.S., or quelqu'un l'a arraché! Avec une pince. Ou des tenailles! Ainsi, le tueur a pu opérer tranquillement sans que sa victime soit localisée. Ni lui par la même occasion.

-  Incroyable...

- Mais vrai. J'ai fait un autre constat, plus stupéfiant encore ...attention, je risque de dépasser les limites que la bienséance impose en consignant ça dans le rapport d'autopsie.

-  Dites toujours....

-  Melba portait des traces d'agression sexuelle!

-  Un congénère?

-  La piste humaine n'est pas écartée.

-  J'hallucine! Le criminel serait donc doublé d'un zoophile!

-  Employez le mot que vous voudrez. Moi, j'ai rendu ma copie. Seule une analyse d'A.D.N. permettrait d'en savoir plus, nous tenons des échantillons d'organes à votre disposition.

    « Toque y se gauses... » (Touches-y si tu l'oses)

    Bizarre qu'on ait retrouvé dans la cabane, entre une casserole et un Butagaz, l'almanach 1997 du chasseur béarnais! On y trouve tout, même une citation du « Traité sur l'art de la vénerie » de Gaston Phoebus. Ecrit il y a sept cent ans, ce n'est pas un livre d'actualité! Quelqu'un a souligné certain passage, il s'agit du conseil que donnait le vicomte de Béarn à son fils : « Diou biban, moun hilh, si tu veux devenir un homme, il te faut violer une fille et tuer un ours! » (le Nemrod en question venait de découdre dix de ces plantigrades en une seule partie de chasse).

    Le calendrier n'a pas livré tous ses secrets. Figurent en date du 17 septembre deux numéros de téléphone à identifier: 05 59 27 45 72 et 06 22 34 37 50. Suit un espace vierge.

    Interrogé sur le mystérieux occupant de la hutte, le président de la société de chasse d'Urdos  dénie un lien quelconque du suspect avec ses affiliés: sans doute un marginal... un squatter... doublé d'un braconnier.

    La brigade de gendarmerie, qui connaît tout le monde ici, n'a pas de mal à faire le tour des « possibles » et à identifier l'individu. C'est un « gavatx » (habitant des Gaves), un « courayat » (vagabond). Il s'agit de Julien Besace, l'ancien facteur d'Urdos qui vient de purger un an de taule. Au départ, selon le maire, ce n'était pas un mauvais garçon. Mais influençable: il a mal tourné depuis qu'il s'est laissé embrigader dans le mouvement « Tradition, vénerie, corrida ».

   « La politique lui a monté à la tête comme un coup de gnaule », commente son ancien instit', qui lui faisait chanter les parties pour ténor à la chorale de l'école.  Ah, si vous l'aviez entendu dans « Bet ceu de Paü »! Quel organe!

    « Deche dise... » (laisse dire...)

    En ce début du mois d'octobre, les commentaires vont bon train sur la place du village, en même temps que tombent les résultats des analyses - telles les feuilles des marronniers à cette saison.

    Les empreintes digitales relevées sur les tenailles de Prats Balaguer sont les mêmes que celles qu'on a trouvées sur le chemisier de Jeanne-Marie. Quant à l'analyse de l'A.D.N. prélevé sur un fragment de matrice de l'ourse, elle identifie formellement le même individu: l'« impossible » Monsieur Besace, encore et toujours lui! Ce n'est qu'une demi-surprise. Notre homme est déjà connu des services de police pour outrage aux bonnes moeurs et faits de zoophilie. Il a même été condamné à deux ans de prison, dont un ferme, pour avoir profané les tombes du cimetière canin de Lescar. La police vient de l'arrêter pour un nouveau délit. Besace a été pris « la main dans le sac » (en flag. de vol à l'étalage) par un vigile du Complexe de la République.

    Epilogue: une tragique méprise!

    Lorsqu'il reçoit la convocation du Juge d'instruction pour assister à l'ultime confrontation de témoins, le commissaire principal Lucbernet annote ce document d'un stylo rageur: « Monsieur Sentucq voudra bien me représenter ». Puisque son zélé collaborateur a mené sa double enquête sans le tenir au courant de rien, eh bien qu'il continue de se débrouiller seul! « Verem bé »: on verra bien, marmonne-t-il en langue d'oc et en lui-même.

    Après les vérifications d'usage, le magistrat demande à Serge Lanusse s'il reconnaît en Julien Besace l'homme qu'il croit avoir vu à Prats Balaguer.

-  Sans hésitation! » affirme le chasseur, croyant tirer ainsi son épingle du jeu.

- Vous étiez moins sûr de vous au début de l'instruction! Enfin, j'admets la version nouvelle. Passons à vous, M. Besace. Reconnaissez-vous avoir occupé la cabane le jour des faits et utilisé ces tenailles pour achever l'ourse et lui soustraire son émetteur?

    L'homme bafouille, essaye de nier l'évidence, puis s'enferme dans un silence accablé. Le magistrat poursuit:

-  Avez-vous entendu parler d'une certaine Jeanne-Marie Baladère, dite « Nellie »?

-  Je l'ai rencontrée au Conservatoire. On est tous les deux de la « haute »: elle soprano, moi ténor.

-  Elle était. Vous ne pouvez ignorer que Nellie a été assassinée. Il y a suspicion de crime à votre encontre. Vous en répondrez lors d'une prochaine instruction.

-  Cette fois, Julien Besace explose:

-  Vous n'avez aucune preuve d'un lien quelconque entre le meurtre de Nellie et la mort de Melba!

-  Inspecteur Sentucq, poursuivez je vous prie.

-  Elémentaire. Ce lien existe, je puis même le démontrer. Voici comment. Les tenailles trouvées sur le site m'ont fourni un premier indice: elles m'ont conduit vers le mot « ténor », qui a la même racine latine « tenere ». Or, les témoignages se recoupent: Nellie fréquentait un ténor, vous venez de reconnaître que c'était vous. Mes soupçons se sont confirmés quand j'ai trouvé consignés, sur l'almanach traînant dans la cabane, deux numéros de téléphone faciles à identifier. L'un, sur poste fixe, correspond à l'accueil du Complexe de la République. L'autre est celui du portable de Jeanne-Marie Baladère.

-  Cela ne veut pas dire que j'ai tué Nellie!

-  Certes, mais laissez moi terminer. L'étau (pour ne pas dire les tenailles) se resserrant, vous avez fait preuve d'imprudence... ou d'impudence. Ce qui vous perd. A la chaleur d'une ampoule, j'ai testé -rien que pour voir- le feuillet de l'almanach en date du 17 septembre. Un truc vieux comme le monde! Par cette simple opération, j'ai fait apparaître un commentaire à l'encre sympathique. De votre main. Vous souvenez-vous de ce que vous avez écrit?

-  Non! éructe le suspect
Je vais vous rafraîchir la mémoire (il lit d'une voix posée): « Aujourd'hui 17 septembre 1997, j'ai décidé de me conduire en homme. L'ourse m'a donné du fil à retordre. J'ai galéré, mais  c'est fait. Où est maintenant la fille que je dois tuer? »

Fébus Davan.

 

OURS

Nota: cette nouvelle est destinée au concours "Noires de Pau"  2008 les envois devant répondre aux conditions ci-après:
  - l'ambiance doit être "noire" dans les limites de la bienséance
  - l'héroïne s'appelle Jeanne-Marie
  - l'histoire se passe à Pau ou dans la région
- l'indice principal est représenté par des tenailles
- le "Complexe de la République" doit être cité parmi les lieux de l'action.

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