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28 juin 2007

De la vamp au vampire

De la vamp au vampire.

(nouvelle fantastique)

 

« Quelle horrible noce feras-tu? »

F. W. Murnau : Nosferatu – 1922.

 

FELICITATIONS!

 

   Delphine Breton, dite « Finette » ou « Finou » est toute fière d'avoir obtenu -avec les félicitations du jury, s'il vous plaît!- son D.E.A. de vampirologie à l'université Paris XII.

    Normal, car c'est une étudiante brillante. Certes plutôt brouillée avec l'accord des participes, mais pas plus que la moyenne. Beaucoup de thésards maltraitent la syntaxe, ça ne les empêche pas de réussir à l'examen. D'autant que le correcteur d'orthographe arrange parfois bien les choses.

    Pour le reste, que dire de Finette? sinon que c'est une grande fille toute simple, jolie, sportive; sa mince silhouette attire immanquablement les yeux des garçons, tout comme son abondante chevelure blonde qu'elle relève en chignon sur sa nuque.

    Voici donc notre jeune lauréate à la veille des vacances d'été. Qu'elle se prépare à passer en famille à La Baule (Loire-Atlantique). Avant de rendre les clés de sa chambre au gardien de la Cité U, Delphine balaye une dernière fois sa messagerie au cas où....

    Tiens! Justement! Que vient faire à l'écran ce nouvel e-mail de son maître de thèse (fromRobertodarc@cnrs-antony.org to Bretondelphine@aol.fr)? [La soutenance passée, ije n'en ai plus rien à cirer, de celui-là! D'ailleurs, je le croyais déjà reparti en Roumanie....]

 

INVITATION:

 

    « Bonjour Melle. BRETON... »

    [Toujours aussi cérémonieux, ce Roberto! Au bout de deux ans, il pourrait quand même m'appeler Delphine ou Finette...]

  « Plaisir vous proposer poste actuellement vacant de directrice adjointe du Parc naturel régional de Transylvanie. La résidence administrative est à Brasov (Cluj). La rétribution mensuelle, calculée en lei, équivaut à 1500 € (correct pour un début, surtout là-bas...).

   Poste à prendre de suite. Si l'offre vous intéresse, prière me le faire savoir par retour de mail et me rejoindre sans délai à Bucarest. Frais de voyage et de séjour pris en charge par les autorités locales.

« Bien à vous,

Robert d'Arcula. »

 

HESITATION:

 

    Delphine s'interroge: elle ne s'attendait pas à cela. D'accord, cette offre est dans le style de Roberto: plus qu'un universitaire pur et dur, c'est un homme de terrain. Un fonceur, quoi! Il ne perd pas une occasion de dire à ses étudiants qu'il ne faut pas se reposer sur leurs lauriers, qu'il faut tout de suite mettre en pratique leurs connaissances, et patati et patata. Alors, quand une occasion comme celle-ci se présente: celle d'une première embauche, on ne la laisse pas passer. Surtout lorsqu'on a vingt trois ans et peu de ressources. Et qu'on pratique une spécialité (vampirologie appliquée) qui n'offre a priori que peu de débouchés....

    Evidemment, la Transylvanie, c'est loin. Le climat local a moins bonne réputation que celui de l'ouest atlantique: on y gèle en hiver, on y brûle en été.

    Mais tant pis pour les vacances gâchées! Zut à la famille et tant pis pour les copains! Ils se passeront fort bien d'elle pour la tournée des boîtes. Sans regret, Finette clique sur « répondre à l'auteur » pour formuler un laconique: « J'accepte ».

    Puis elle se connecte sur « lastminute.com » et s'enquiert des prochains vols à bas coût en partance pour la Roumanie. Voilà. C'est tout vu: « Ryanair, demain matin 10 h 15, Orly ouest, 175 € ». A peine plus cher qu'un trajet Paris La Baule! Inutile de chercher davantage, on ne trouvera pas mieux. »

 

EMOTION:

 

   Sitôt la décision prise, Delphine a le coeur qui bat la chamade. Elle le connaît bien mal, Roberto d'Arcula. Pour avoir au quotidien, durant ses deux ans de thèse, côtoyé son professeur, elle n'a finalement eu que peu de contact avec lui. A peine ont-ils échangé trois mots personnels. Mis à part le fait qu'elle est vendéenne et lui d'origine roumaine, ils ne savent rien l'un de l'autre. Se carapater  au fin fond des Carpates pour retrouver ce patron taciturne, exigeant, n'a rien d'une perspective affriolante.

 Pourtant, sans savoir pourquoi ni vraiment s'en rendre compte, la jeune étudiante éprouve pour Roberto quelque chose comme de la fascination. Tout s'en mêle: la différence d'âge (il est de dix ans son aîné). La considération normale de l'élève pour son maître. L'auréole « exotique » de cet étranger, brillant intellectuel par surcroît.

 Mais joue aussi (pourquoi le cacher?) l'attrait physique qu'exerce sur elle un homme mûr, athlétique, séduisant (plutôt: qui le serait, s'il lui arrivait de sourire).

 Elle se sent toute gamine, Finou, lorsque Roberto la fixe de son regard bleu glacé, attentif au moindre solécisme, impitoyable pour une faute de raisonnement: à ses étudiants, il demande avant tout de la rigueur.

    « Je t'en ficherai, moi de la rigueur! »

   Elle déteste son flegme, sa froide politesse. Elle préférerait qu'il soit gauche et même brusque... ou plutôt non: pour être franche, osons le mot: qu'il la drague carrément. Mais rien de cela. Même quand il se penche sur elle (plus exactement son écran d'ordinateur, pour reprendre un texte virtuel) et qu'alors elle sent son haleine tiède au niveau de la nuque. Là, elle rougit, la Delphine. Elle fond. Peu s'en faut qu'elle tombe en pâmoison. Ce n'est pourtant pas le moment!

 

INFORMATION:

 

 « Mesdames, Messieurs, notre appareil survole en ce moment la basse plaine du Danube et commence sa descente vers l'aéroport de Bucarest, où nous atterrirons à 12 heures 45, heure locale. Vous apercevez sur votre gauche les contreforts des Carpates. La température extérieur est de 31° C. Vous êtes priés de rester sur vos sièges et de ne pas détacher vos ceintures avant l'arrêt complet de l'appareil.... Ladies and Gentlemen.... »

 Delphine n'écoute plus les avis que l'hôtesse débite d'une voix monocorde. Son regard est fixé sur  la montagne scintillante, ultime avatar de l'arc alpin. Que va-t-elle faire là-bas? Qu'attend d'elle son ancien professeur? Une chose est d'avoir mené à bien sous sa férule une thèse concernant « le sexe des vampires ». Une autre chose est de rejoindre Roberto « sur le terrain », en cette Transylvanie dont il est originaire et dont elle ne sait rien.

 Faudra-t-il l'appeler Monsieur le Comte? Ellle sait que la famille d'Arcula descend en droite ligne par les Daracul du cruel voïvode Cardalu, l'ennemi juré des Turcs [N.d.a.: en réalité, le prince Vlad III, dit « Tepes »: « l'empaleur », qui régna par intermittence de 1448 à 1476]. Ses armoiries figurent la silhouette d'un dragon [« dracul »], noir sur fond de gueules, id est en héraldique, de la couleur du sang.  Finette se représente, avec ses grandes moustaches, l'allure farouche de ce colosse, grand pourfendeur de janissaires, empaleur fieffé d'odalisques. Elle imagine assez volontiers le supplice du pal, si doux lorsqu'il commence et si désagréable lorsqu'il finit....

 

PREMONITION:

 

    L'atterrissage s'est fait en douceur. Au prix d'une sympathique bousculade, les passagers évacuent l'appareil, franchissent la passerelle et se présentent au poste de contrôle avant de se presser de part et d'autre du tapis roulant, vide encore de bagages. Ce n'est pas sa valise en carton que guette Delphine. Cet humble viatique ne peut faire envie à personne. Non. Son regard scrute plus loin le hall d'arrivée, au milieu du magma des accompagnateurs de groupes, correspondants locaux, chauffeurs de bus et de taxi, parents, amis, que sais-je...

 Finette manque défaillir. Elle reconnaîtrait entre mille cette haute silhouette qui domine la foule massée contre  la barrière. Il est venu. Il est là qui l'attend. Que du bonheur!

 - « Bonjour, mademoiselle, j'espère que vous avez fait bon voyage! »

 Toujours impeccable, Roberto! Sanglé malgré la chaleur ambiante dans son bleu croisé cravetouse. A la fois proche et distant. Limite inquiétant.

 Elle est là sur le quai, toute seule, désemparée. Mince! Il aurait pu la prendre dans ses bras... ou simplement lui faire la bise, plutôt que lui serrer la main.

 Voyant l'embarras de la jeune femme, il reprend presque affectueusement:

- « Mademoiselle... enfin Delphine, permettez que je vous appelle par votre prénom. Puisqu'à partir d'aujourd'hui vous devenez ma collaboratrice la plus proche. »

  Non! Roberto n'a pas ajouté, même mentalement: « Plus, si affinités... ». Loin de lui cette pensée triviale, on est là pour travailler! Des fois, le tutoiement lui échappe, mais il n'entre pas dans sa culture.

 

RESTAURATION:

 

   « A propos, vous devez mourir de faim! A ce que je sais, on n'offre aucune consommation, sur ces vols « low cost »! Ne vous avais-je pas dit que notre gouvernement prenait votre déplacement en charge sur la base d'un vol régulier classe affaires? [un instant de silence gêné]. Enfin, permettez que je vous invite à déjeuner. Nous en profiterons pour bavarder. »

 Delphine ne dit pas non. Elle s'installe à côté de son maître de thèse à la terrasse de la cafétéria. Pas vraiment l'intimité, mais déjà le tête- à- tête. D'ailleurs, Roberto fait tout pour la mettre à l'aise.

-  « Peut-être avez-vous du mal à supporter la chaleur. C'est vrai que nous traversons une période de canicule. Inhabituelle pour Bucarest, même à la fin juin. Vous ne regrettez pas trop la Bretagne? Enfin, vous apprécierez bientôt la fraîcheur des Carpates. »

 Elle balbutie:

-  « Vous savez, je suis si heureuse... »

Elle ne dit pas de quoi. D'ailleurs, il s'en fiche. Il poursuit comme s'il n'avait pas entendu:

- « Vous goûterez bien de ce pâté d'esturgeon sur son lit d'algues de la Mer noire. Spécialité locale! »

Sans attendre la réponse, il ajoute en roumain, à l'attention du garçon qui prend la commande:

- « Pour moi, ce sera un bifsteackescu saignantescu ».

Delphine ne sait pas pourquoi, mais le ton de Roberto la fait frissonner.

 

EXPLICATION:

- « Tout d'abord, permettez  que je vous complimente à propos de votre soutenance! »

- « Oh, pour moi, c'est du passé! Paris XII est déjà si loin... »

- « Pas tant que ça tout de même, corrige-t-il. Vous oubliez que la Roumanie fait désormais partie de l'Europe. Nous ne sommes pas des indiens d'Amazonie, ma chère! Bientôt, nous compterons en euros et reléguerons le leu (au pluriel « lei ») au rang de souvenir pour cruciverbistes et autres joueurs de "scrabble."

-  « Ce n'est pas ce que je voulais dire.... »

 

Il reprend doctoralement:

- « Le sexe des vampires demeure un sujet aussi controversé que le sexe des anges, au moins tant que quelqu'un n'aura pas misl'objet du litige sur la table de dissection. La difficulté tient à ce que si le vampire est abondamment cité dans la littérature, nul n'a vraiment décrit de spécimen vivant et qu'on n'en trouve pas dans les ménageries. A l'état de cadavre dans son cercueil, il s'agirait selon les auteurs d'un être mol, flexible, enflé et rubicond (cf. « le Mercure galant », 1694).  Peut-être vous ennuié-je avec ces digressions...    En tous cas, avec les éléments dont vous disposiez, je trouve que vous vous en êtes très bien tirée. Vous avez même obtenu les félicitations du jury, ce qui est rarissime! «

Elle rougit:

-  « Vous savez, je n'y serais pas arrivée sans votre aide. »

-  « Allons, Delphine, ne soyez pas modeste! Au fait, que je vous parle de votre nouveau poste: Le Parc naturel de Transylvanie, où vous allez résider, est une zone préservée de création récente. L'équipe scientifique s'efforce actuellement de recréer des zones dites « de pleine nature » et/ ou « de tranquillité ». En clair, un écosystème favorable à la réintroduction raisonnée des chéiroptères géants: comme vous le savez, il s'agit d'une espèce protégée car en voie de disparition. Bon, je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout cela. Vous superviserez nos équipes sur site, mais ce n'est pas la base de votre travail. Car voyez-vous, l'enjeu d'un Parc naturel régional n'est pas seulement scientifique ou patrimonial, il est aussi économique et touristique. Il nous faut drainer ici des flots de visiteurs que l'image forte de la Transylvanie et le concept de vampire attirent. Intriguer à bon escient les touristes, susciter leurs questions sans pour autant leur fournir des réponses, voilà ce qu'il faut faire, mais qui n'est pas à la portée de tous. Mon ancien assistant Jonathan s'y est cassé les dents, si j'ose dire. Il avait la nuque un peu raide.»

-  « Un Anglais? »

-  « Oui. Il vient de repartir à Londres. Pour rejoindre sa fiancée Mina, laquelle (allez savoir pourquoi...)  ne voulait pas venir ici. »

-  « Qu'est-ce qui vous donne à penser que je réussirai mieux que lui? »

Roberto sourit:

-  « Mais, Delphine, vous étiez mon élève la plus brillante! [elle esquisse un geste de protestation]. Et puis [il hésite un peu] je vous ai choisie « au feeling ».

 Elle n'ose traduire son franglais par « cote d'amour » ou « sentiment ». Des sentiments, cet être impavide en éprouve-t-il? Nul ne le sait, surtout pas elle. Finette lui demande seulement:

-  « Quand partons-nous? »
-  « Tout de suite. Les billets de train sont déjà pris. »

 

CIRCONSCRIPTION:

    La Transylvanie, au coeur des montagnes carpatiques, a fait l'objet de suffisamment de descriptions par  les divers voyageurs, romanciers, cinéastes... qui se sont passionnés pour cette étrange contrée, pour qu'il n'y ait nul besoin d'y revenir. A l'époque de Bram Stoker, le chemin de fer allait jusqu'à à Bistritz, ville de relais et terminus de la ligne. Il fallait ensuite trouver une calèche pour se rendre à Cluj, la capitale, par une mauvaise piste. Aujourd'hui, le chemin des « citadelles du vertige » est accessible aux seuls 4 x 4, qu'on vous loue d'ailleurs une fortune. Mais il y en a pour tous les budgets. A l'usage des simples randonneurs, le Parc a multiplié les sentiers pédestres balisés. Ils serpentent dans un décor hallucinant, parsemé de chapelles gothiques en ruine et de cimetières à l'abandon.

    Les rares autochtones sont peu communicatifs encore moins hospitaliers. Ils fuient le regard des touristes (cela fait partie de leur rôle) échangent entre eux des propos furtifs dans un dialecte moins latin que magyar: la frontière hongroise n'est pas loin.

    L'hébergement se fait en cercueils capitonnés dans des relais-hôtels trois étoiles, ci-devant forteresses médiévales. Délabrées certes, mais juste ce qu'il faut.

    L'agriculture en « zone Parc » est assujettie à un cahier des charges très strict. Par exemple, sur les rares terrasses qui s'échelonnent à flanc de coteau, la culture de l'ail est proscrite. Car, c'est bien connu, la moindre gousse d'ail éloigne les vampires. Lesquels ne souffrent pas non plus la vue d'un simple crucifix. La Charte du Parc exclut aussi les pieux et les maillets: ces ustensiles, employés au moment opportun (le douzième coup de minuit), peuvent causer l'éradication de l'espèce. Ce qui a bien failli se produire.

 

SUBVENTIONS:
-  « Mais comment, avec tout ces interdits, les gens d'ici font-ils encore pour vivre? » interroge Delphine avec curiosité.

-  « Beaucoup s'en vont. Quant à ceux qui restent sur place, on les subventionne! »

-  « On en fait des jardiniers de l'espace, en somme? »

-  « Si l'on veut, observe Roberto. Oui, l'on peut dire les choses comme ça. Vous savez, le vampire de Transylvanie est un proche cousin de votre chauve-souris. Si l'Europe crée une prime à la vache, ce chéiroptère montre ses mamelles. Si l'on institue une prime à l'oiseau, il s'écrie: voyez mes ailes! »

 

     

 

TREPIDATIONS:

 

   Le train qui relie en brinquebalant Bucarest à la Transylvanie ressemble plus à nos tortillards des années cinquante qu'à nos modernes T.G.V. « Au moins, on a le temps de distiller le paysage! » songe Delphine, accoudée à la fenêtre. Roberto n'a cure du brimbalement des wagons qui s'entrechoquent (tagadi... tagada...) chaque fois qu'on passe d'un rail à l'autre, absorbé qu'il est par l'écran de son ordinateur portable.

 « Il pourrait tout de même s'occuper un peu de moi! » poursuit-elle, engagée dans une réflexion qui s'apparente au songe érotique. Effet sans doute des trépidations du chemin de fer: il est bien connu qu'elles tendent (si leurs réflexes sont normaux) à projeter l'un contre l'autre les genoux des voyageurs, vague prélude au rapprochement des corps.

 Mais en ce pays fruste de frustrés, les gens sont d'un naturel rude et prude. Ils ont même l'air de trouver que sa mini-jupe d'étudiante « taille court ». C'est vrai que la position assise découvre un large pan de cuisse. Elle attire le regard concupiscent des hommes, alors que les femmes détournent le visage d'un air réprobateur.

 

ABOMINATION:

 

 Tuuut... Tuuut... Après avoir marqué tous les arrêts possibles et imaginables sur la ligne, le train entre en gare de Timisoara. A peine est-il arrêté qu'une odeur infecte envahit le compartiment.

 - « Que se passe-t-il? »

 Delphine est saisie par la nausée, son compagnon lui, ne bronche pas. Vite, elle ferme la fenêtre, malgré la chaleur ambiante aggravant la puanteur.
-   « Regardez sur le quai, vous comprendrez! » répond laconiquement Roberto.

  Effectivement, la gare est envahie par une nuée de loqueteux qui balancent les bras, se déhanchent, s'agitent frénétiquement. Comme sortis d'une « danse macabre » du Moyen-Âge. Ou de « La Nuit des morts-vivants. »

  • « Ils ont des têtes de déterrés! » fait-elle.

  • « Vous ne croyez pas si bien dire! »

    Ayant eu dans sa courte existence l'occasion d'assister à l'exhumation d'un parent défunt, la jeune femme identifie enfin cette odeur âcre et douce caractéristique des corps décomposés. L'horreur! Elle supporte mal la vue de ces étranges créatures -autant dire des zombies- hideuses avec leurs orbites vides et leurs membres décharnés.

 

MANIPULATION:

 

    Il essaie de la réconforter.

-   « Ces pauvres diables sont plus à plaindre que vous et moi. Pas méchants, mais utiles, dirais-je! »

-  « Pourquoi portent-ils des médailles sur leur haillons? »

-  « Parce que le prétendu charnier de Timisoara nous a rendu naguère un signalé service en nous débarrassant de Ceaucescu!  Je ne vous raconte pas cette histoire de cimetière, elle est à présent d'ordre public.... Bof! N'en parlons plus... une chose après l'autre: on déterre les cadavres d'abord. Ensuite, on les décore!

    Vous en penserez ce que vous voulez, mais pour venir à bout de l'ancien régime, il fallait recourir aux grands moyens. Plus que le poids des mots, comptait le choc des images! Je passe sur les détails. On a rouvert la fosse commune, aligné les cadavres,  convoqué la presse pour une méga photo de famille. La mystification vous paraît grossière? Plus c'est gros, mieux sa passe! Ce n'est pas moi qui dis ça, c'est votre ancien Président. Enfin bref, ça a marché. Les journalistes du monde entier et d'ailleurs ont dénoncé dans ce charnier le sinistre ouvrage de Ceaucescu.

    Vous connaissez la suite, il a fallu des années pour qu'on établisse la vérité sur cette affaire. Elle n'est pas reluisante. Après tout, les contempteurs du régime n'avaient pas tort: notre ancien dictateur était loin d'être un saint! Mais brisons là! Je ne veux pas hurler avec les loups!  »

 

DESOLATION:

   Hurler avec les loups....  Une seule parole de ce cocher d'enfer qui la conduit en Bukovine aura suffi pour calmer ces fauves! Pour faire plus « authentique », le Comité du Tourisme a rétabli le trajet de rigueur en calèche jusqu'à Bistritz. Quant au colosse engoncé dans un chapeau à larges bords qui dirige l'attelage d'une main de fer, il doit rappeler plus d'un souvenir à certains.

 La nuit tombe sur les Carpates.

 Epuisée par son périple mouvementé, Delphine s'est installée à l'hôtel de la Couronne, où sa chambre est depuis longtemps réservée. Une chambre occupée naguère par Jonathan Harker, son prédécesseur. Ladite « couronne » n'a jamais orné la tête d'un roi. Et l'hôtel n'en est pas un. Il s'agit d'un ancien manoir savamment démantelé. Un décor qu'elle trouverait même romantique si de violents courants d'air ne faisaient pas claquer les volets à tout moment.

 Détail prévisible, mais ennuyeux: il n'y a pas l'électricité. N'ayant pas de prise où brancher son portable, l'étudiante relit ses notes à la lueur d'une chandelle. Sa flamme fuligineuse éclaire médiocrement le catafalque qui tient lieu de bureau: conditions de confort discutables, mais l'occasion tout de même de réapprendre que l'acte d'écrire ne nécessite qu'une plume, un peu d'encre et une feuille de papier.

COPULATION:

 

 Delphine en profite pour « revisiter » ses propres conclusions quant au sexe des vampires:

 « En attendant l'observation directe du « sujet », qui reste à faire et seule trancherait le débat, on peut déduire de leur comportement que les vampires n'ont pas de sexe. En effet, leur sinistre pouvoir se transmet (avec leur génome) par une simple morsure au cou de la victime qu'ils ont choisie.

 Autrement dit, ce qu'on appelle communément « baiser du vampire » constitue en quelque sorte un acte copulatif. C'est ni plus ni moins que la procréation d'un individu génétiquement identique. Ce dernier, par la même voie (reproduction végétative) engendrera plus tard d'autres vampires et ainsi de suite.

 Au sein du règne végétal, à titre de comparaison, le bouturage d'un rameau de saule ou de peuplier aboutit au même résultat. On peut mettre à l'actif de ce mode de reproduction -non sexuée- qu'il met l'espèce à l'abri des passions amoureuses. En contrepartie, du fait qu'il n'y a pas croisement des gènes, les rejetons -qu'on peut qualifier de « clones »- ressemblent en tous points à leurs parents. Aucune évolution n'étant possible, les vampires perpétuent donc sans le renouveler leur patrimoine génétique d'un siècle à l'autre, pour le malheur de l'humanité. »

 

TRANSFIGURATION:

 

   Les douze coups de minuit sonnent. Au loin l'orage gronde, un éclair illumine la pièce. Illusion ou réalité? Delphine, somnolente, a juste le temps d'entrevoir une créature fantastique qui s'engouffre avec le vent par la persienne ouverte. Des pas feutrés se font entendre derrière elle.

 Elle ne se retourne pas. A quoi bon? Rien qu'à la sensation d'un souffle chaud sur sa nuque, elle a reconnu l'être qu'elle attendait. « Nosferatu » veut dire en roumain: « celui qui n'a pas de nom ».

 Pas de nom, mais un prénom: Roberto.

 Son ex-maître de thèse a troqué son costume bon chic bon genre et sa cravate contre une redingote noire et un jabot de dentelle. Son visage est d'une pâleur livide. Ses canines proéminent, telles les dents d'un enragé sarkozyste [n.d. a. pourquoi ce pléonasme?] en train de rayer le parquet.
- « Vous n'avez rien compris, Delphine, ou bien vous avez trop bien compris ma vraie nature. Mon ancien assistant l'avait devinée avant vous, lui j'ai du me défaire à cause de son excès de curiosité. La réponse à votre question se trouve dans cette réalité terrifiante: le vampire est hermaphrodite. Un être humain (homme ou femme) représente pour lui, soit un adversaire, soit un partenaire sexuel. Jonathan a cru pouvoir m'affronter. Bien en vain, il n'était pas de taille: aujourd'hui, c'est lui qui de retour en Angleterre contamine sa Mina chérie. [Le ton du monstre se radoucit]. Et vous, chère, que ferez vous? »

 Delphine ne répond pas. Elle est là, comme figée. Seule. Vulnérable. Face à son destin.

 Le comte Roberto d'Arcula aura-t-il pitié d'elle? Qu'importe! L'étudiante amoureuse n'a pas besoin de sa pitié. Elle tend gentiment sa nuque au vampire.

VAMPIRE

 

 

 

 

 

 

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