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23 mai 2008

Mon premier plumier, Laurence Bourdon

 

Mon premier plumier m’a été offert lors de ma première communion, en même temps qu’un missel. J’ai égaré le missel, mais même à 60 ans révolus, alors que je n’écris plus qu’avec un Mont Blanc que je sors délicatement de sa pochette de cuir noir, Je dis premier plumier, sans doute en ai-je eu un préalablement ou bien une boîte qui en faisait office, toujours est-il qu’il ne m’en reste plus le moindre souvenir. Ce plumier là, je le considère comme étant mon tout premier et à ce titre, j’ai gardé une affection toute particulière pour ce cadeau, un attachement qui me relie à l’enfance. Je le conserve au fond d’un tiroir de mon bureau sans forcément l’en sortir, mais j’aime à le savoir là, à portée de main. Sa présence me suffit.

 


J’ai décidé de le laisser tel quel afin qu’il garde les traces de mon passé : le restaurer serait d’une certaine manière, renier ce temps révolu. Le haut du boîtier porte des ciselures. Elles ont aujourd’hui pris la poussière, il me faudrait au moins un coton tige si je voulais les désincruster, mais peut me chaut.

 


Les années l’ont marqué, tout comme moi. Peut-être suis-je moi aussi poussiéreux dans la tête, c’est du moins ce que doivent penser mes petits enfants. Le rénover lui ferait perdre la patine du temps passé, il est certes vieux, mais pas si abîmé que ça, il ne fait que porter les traces de mon enfance. Sur la paroi droite de mon plumier, on trouve là encore des ciselures. Je ne peux m’empêcher de penser à l’artisan aux mains calleuses qui l’a travaillé avec patience et amour (tous les artisans travaillent avec amour). Petit, j’avais crayonné la paroi gauche. A bien y regarder, ce ne devait pas être un jour d’ennui, mais de colère tant les traits sont vifs, je crois que si j’avais eu un canif en main, je l’aurais tailladé avec hargne. Ce n’était décidément pas du griffonnage, c’était une révolte qui se raconte devant mes yeux de sexagénaire. Que s’était-il passé ce jour là ? Je ne m’en souviens plus, mais elle est bien inscrite là. Aujourd’hui, je suis content d’avoir épargné le côté ciselé, mais l’aurait-il été que je n’y aurait tout de même pas touché.

 


L’intérieur du plumier présente un bois moins travaillé, il n’a pas été ciré, mais la gouge de l’artisan y a creusé deux sillons symétriques d’égale largeur, non polis. Dans chaque sillon pouvait se loger un crayon ou une craie. Là encore j’avais gribouillé de rouge le fond de la fente droite, mais visiblement avec moins d’amertume. Ce crayonnage aurait pu être fait de façon automatique, élève rêvassant en regardant la pluie tomber. Quant à la fente de gauche, quelques traits de crayon gris la balafrent. Ces gribouillis m’évoquent des photos de Doisneau, en noir et blanc, un enfant blondinet sans rien de spécifique, qui vivait sa scolarité sans grande contrainte, mais sans enthousiasme débordant pour autant.

 


Plumier d’exception pour une première communion, il avait deux étages : une vis à l’extrémité gauche permet de faire pivoter le premier niveau pour accéder à l’étage inférieur, formé d’une partie seulement, ce qui permet de ranger plus de crayons. Mes colères ou mon ennui n’ont jamais atteint ce niveau qui reste vierge de toute écriture.


« Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer » se demandait Lamartine ; il me suffit de regarder ce plumier, mon plumier pour répondre par l’affirmative.

 


Mon petit fils a voulu un jour que je le lui prête pour y ranger ses billes et monter un circuit, et moi, le papi gâteau, je lui ai refusé. J’avais peur qu’il ne me le détériore, ou plus grave, lui donne un coup de jeune avec ses jeux d’enfant.

 


-« Tu es égoïste papi !!! Tu ne l’utilises même pas !!! » m’a-t-il asséné.

 


Et soudain, je me suis retrouvé au pays de l’enfance, face au jugement négatif d’un comportement asocial à la différence près que c’était l’enfant qui critiquait l’adulte que j’étais avec justesse. Je n’étais pas très fier de moi mais ne voulais pas revenir sur ma décision.

 


-« Egoïste ou pas, je ne veux pas que tu abîmes mon plumier…

-Mais…

-Il n’y a pas de « mais », je ne prête mon plumier à personne, fin de la discussion. »


Le petit repartit en ratiocinant. Il est vrai que la décision de l’aïeul était totalement injuste, mais il savait qu’il était inutile de revenir à la charge.


Quant à moi, je me suis soudain retrouvé au pays de l’enfance, là où être égoïste est conspué mais existe bel et bien. J’assume bon an, mal an,  mon égoïsme car c’est moi l’enfant quand je regarde ce plumier du haut de mes 60 ans. Il vieillit avec moi et le bois qui se fendille correspond à mes propres rides que creuse le temps qui passe.


Oh ! Je n’y prête pas une attention particulière au jour le jour, mais le savoir là me rassérène. Je n’ai pas d’inclinaison spécifique pour le temps qui passe, mais alors que je n’étais encore qu’un gamin qui se croyait déjà grand et voyais dans ce plumier une porte qui s’ouvrait vers un monde à dévorer à pleines dents.

 

 

Laurence Bourdon

 

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