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13 décembre 2008

Cécité temporaire, par Nicole

CECITE TEMPORAIRE

Temporairement privée de vue à la suite de cette opération, je me rends compte peu à peu que mes autres sens sont exacerbés.

Je pourrais me laisser vivre sans rien faire, en attendant le retour à une vie normale, mais même en vacances, je n’ai jamais pu rester tranquille bien longtemps. Alors je m’entraîne à développer ces sens un peu mis en veilleuse dans le monde des voyants.

Peut-être aussi, est-ce par superstition, ou pour me garder du mauvais sort, au cas où, on ne sait jamais, je ne recouvrerais pas entièrement la vue.

Au début, je tâtonnais, craintive, les bras tendus devants moi telle une somnambule. Moi qui croyais connaître par cœur la géographie de mon appartement, voilà que je me cognais aux meubles, aux portes, aux fenêtres, incapable d’évaluer les distances. Je me suis fait un nombre incalculable de bleus et hématomes  divers que je ne voyais pas, mais qui se rappelaient douloureusement à moi.

Puis, peu à peu, j’ai fait des progrès, j’ai retrouvé ma place dans l’espace. Maintenant, je mesure les distances en nombre de pas, et j’évalue les largeurs avec l’envergure de mes bras.

S’habiller s’apprend assez vite. En palpant le vêtement, on trouve vite les coutures sur l’envers et les étiquettes qui indiquent le dos ou le côté gauche. Les agrafes et les boutons sont un peu plus difficiles à maîtriser que les fermetures Eclair, mais les doigts se délient très vite. Et puis, heureusement que nous sommes en été, je n’ai pas de collants ou chaussettes à enfiler.

Pour assortir les couleurs c’est assez simple aussi. Ma cécité étant récente, je me souviens fort  bien des vêtements composant ma garde-robe, et au touché, je reconnais le tissu, la forme et donc le vêtement et sa couleur.

Bien sûr, je ne suis pas encore capable de me diriger toute seule à l’extérieur, mais il y a toujours quelqu’un qui se porte volontaire pour venir faire une petite ballade avec moi. Qu’il est agréable de passer du soleil à l’ombre, de sentir la différence de température, la caresse de la brise sur la peau.

Ce que j’aime par-dessus tout au cours de ces promenades, c’est reconnaître l’odeur des pins dans la chaleur d’une fin d’après-midi. Cela me rappelle immanquablement mes vacances de petite fille. Cette senteur se manifestait juste avant Aix en Provence : les pins bordaient la petite route sinueuse que nous empruntions et cela marquait le véritable départ pour les vacances. Ces effluves de résine chaude présents ensuite pour toutes les vacances dans la pinède qui entourait la maison, étaient mêlées à l’odeur si particulière  du premier produit solaire et seul sur le marché à ce moment-là, l’Ambre Solaire.

L’odorat et le goût se développent lorsqu’on ne voit pas. Je respire plus à fond, hume l’air comme un chien de chasse, enivrée par  le sillage d’un parfum, ou dégoûtée par une odeur nauséabonde.

Je ne peux pas encore faire la cuisine toute seule, aussi  une personne vient m’aider pour la préparation des repas. J’ai pris la mauvaise habitude, ne pouvant voir ce que je mange, de renifler mon assiette. Ce n’est pas très élégant, mais me permet de discerner ce qu’il peut y avoir dedans. Il y a une appréhension à porter à la bouche quelque chose d’inconnu (et ce sans en répandre partout lors du court trajet de l’assiette à la bouche !) Malgré tout, certaines odeurs et saveurs m’échappent encore. Qu’il est agaçant de ne pouvoir mettre un nom sur quelque chose que l’on connaît.

Souvent, je goûte d’abord du bout des lèvres, toujours un peu suspicieuse. Je suis surprise du nombre de saveurs différentes que l’on peut déceler lorsqu’on y prête un peu d’attention.

Pour les fruits, je préfère ceux dans lesquels on peut mordre directement avec la peau, prunes au goût sucré et acide à la fois, pêches et brugnons dont le jus poisseux me coule sur le menton. Les plus faciles à manger proprement sont les bananes et les pommes dans lesquelles on peut mordre à pleines dents sans souci. J’aime aussi manger les fraises et les framboises avec les doigts (mais avant aussi), les écraser entre la langue et le palais, en faire durer les saveurs.

J’apprends à manier un couteau, j’en tâte le fil précautionneusement avec le pouce pour trouver le côté qui coupe. Parfois je rate l’aliment et fait grincer le couteau dans l’assiette. Comme ce son est désagréable, il ressemble à celui aigu de la craie sur le tableau et me donne la chair de poule.

Les sons, voilà une autre découverte. Bien sûr les bruits trop forts me sont toujours aussi désagréables, mais je me surprends maintenant à écouter le silence. Car il n’y a pas de silence absolu. C’est une expérience enrichissante, le corps et le cerveau recèlent des trésors insoupçonnés et une capacité d’adaptation assez fantastique.

Au réveil, un chant d’oiseaux annonce le lever du soleil. Dans la journée, les cigales chantent la chaleur et le soir les stridulations des grillons prennent le relais.

La rumeur de la ville me parvient par la fenêtre ouverte, parfois un coup de klaxon ou une sirène d’ambulance me font sursauter. Le voisin joue du piano en sourdine, un bébé pleure, un chien aboie, ce sont des bruits de tous les jours qui prennent plus d’ampleur dans le noir et témoignent de la vie.

Je tends l’oreille, attentive au moindre murmure, aux intonations des gens qui me parlent, à  leurs soupirs, au sourire dans leurs voix ou à leur tristesse. Je décèle  leur fausse pitié, leur vraie amitié, et je suis très fière de ce nouveau savoir.

Ma cécité temporaire m’apporte une nouvelle forme de lucidité…

Nicole Artaud

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